ÉDITORIAL MAI 2018

PARLONS DE LA SUERTE DE PIQUE

Nous avons souvent mis en valeur la nécessité de la bravoure du toro de combat pour maintenir l’intérêt de la corrida, tant dans l’agressivité naturelle, la combativité que la noblesse de la charge du toro bravo. Le comportement du toro à la pique est considéré par la majorité de l’aficion comme le test de base de la bravoure.

Revenons aux origines de la pique :
Dans la première moitié du XVIIIème siècle, la noblesse espagnole est poussée en dehors du combat du toro hispanique dans les plazas de l’époque par les décrets royaux du roi Felipe V, Plaza Mayor des villes, des pueblos ou dans les plazas organisées pour le combat taurin comme les Reales Plazas de Caballeria. Le nouveau combat en public de l’homme et du toro amène le peon à combattre le toro sauvage dans un lieu fermé, progressivement conçu pour l’organisation, en présence de spectateurs. Le peuple conserve sa passion pour ce combat parfois dantesque avec l’affrontement, les cornadas, l’hécatombe des chevaux et la mise à mort du toro par l’homme. Les membres des cuadrillas accompagnant les seigneurs afin qu’ils puissent approcher ce toro qui ne devait pas être propice à la collaboration, devinrent ensuite les premiers à s’organiser pour préparer et donner la mort au toro avec l’épée, munis d’un leurre : cape puis muleta pour leur faciliter leur tâche. Ils ont bien entendu compris que l’homme à pied ne pouvait pas l’affronter physiquement à cuerpo limpio. Dès le début, l’homme à cheval conserve le rôle primordial dans le combat. Les piqueros sont encore de nos jours, vêtus d’une chaquetilla et d’un chaleco parés d’or ce qui montre bien que dans la tauromachie d’avant 1750, ils jouaient un rôle protagoniste majeur. Certes, progressivement le piquero n’est plus comme les seigneurs du XVI, XVIIème et début du XVIIIème, les « varilargueros » porteurs de longues lances. A la différence de leurs prédécesseurs, ils ne s’attaquèrent plus ou n’évitèrent plus le toro à cheval mais ils l’attendaient, l’arrêtaient de sa lance avant l’intervention du torero qui avait mission de le tuer avec l’épée.

C’est vers 1750 que le rôle du piquero change pour devenir un subalterne du matador. C’est l’époque des sévillans Costillares, Pepe Hillo, qui se faisaient concurrence ave les frères Romero de Ronda qui, dans des styles différents, furent les protagonistes de la corrida jusqu’à Madrid. Les Rondeños, notamment le fameux Pedro Romero, ont mis au point la technique du coup d’épée a recibir, alors que Costillares inventa le volapie pour pouvoir tuer les toros qui arrivaient fuyards ou figés à la fin du combat. La pique a évolué dans le temps pour s’adapter à l’évolution de la corrida et du toro lui-même. Le toro évoluant dans son comportement combattant, il devint un adversaire mortel pour le groupe équestre, en particulier les chevaux. Le dégât sur la cavalerie devint de plus en plus inacceptable humainement et financièrement. Les Français les premiers, dès la fin du XIXème siècle, inventèrent un tablier de cuir épais garni de barres de fer. Progressivement ils utilisèrent une vraie protection du corps du cheval et même du poitrail. En Espagne, le caparaçon n’a été imposé qu’en 1928 par le général Primo de Rivera, premier ministre du roi Alphonse XIII.

La pique elle-même évolua avec la protection du cheval. Quand le toro affrontait avec bravoure le cheval, à partir de 1791, ils positionnent au bout de la hampe d’une longueur de plus de 2,50 m, la pique afin de limiter la pénétration dans le dos et même le corps du toro jusqu’en 1880 par une pelote de corde en forme de citron (pica alimada) où était fixée une pointe de fer qui fut remplacée plus tard par une pyramide aux arêtes coupantes. Cette pique qui peut rentrer (malgré le limon) de plus de 35 cm, est modifiée en 1917. Toujours surmontée d’une pyramide montée sur une hampe ficelée de 2 cm de largeur et de 30 cm de longueur, on installera ensuite une rondelle rajoutée sous la partie cylindrique encordée pour freiner la pénétration. Cette pique fut utilisée jusqu’en 1962 où le règlement taurin instaure la « cruceta » (la croix) de 14 cm pour empêcher la pique de pénétrer plus profondément. Le toro était devenu plus brave et la pénétration beaucoup trop importante avec cette rondelle inefficace. C’est la pique moderne qui, avec quelques modifications récentes, suivant les régions, est restée la même, la hauteur de la pyramide étant diminuée de 3 mm pour la novillada, alors que pour la corrida la pénétration est limitée (théoriquement) à 8 cm.
Le Musée taurin de Béziers (UTB) comprend une collection de piques très rares depuis 1917. Il manque seulement la pique « alimonada ».

La bravoure et la pique : Antonio Purroy que nous avons reçu à l’Union Taurine, considère que la pique est nécessaire et basique pour tester ou démontrer en public le combat, la volonté, l’allant du toro, mais aussi pour permettre et maintenir la charge et la noblesse indispensables jusqu’à la fin du combat. J’apprécie la charge magnifique d’un toro brave fixé à plus de 15 m ou plus, qui s’élance sollicité par le piquero sur la cavalerie, baisse la tête avant la rencontre et pousse par l’ensemble de son corps, morillo, reins, arrière train, sur le peto tout en acceptant la pénétration de la pique dans son dos. Une partie du public aficionado considère cette partie du combat comme l’essentiel de la corrida, oubliant trop que sans la deuxième partie de l’affrontement de l’homme à pied, la corrida perdrait une partie essentielle où le courage et parfois l’esthétique du torero ont permis de créer la corrida moderne depuis le XVIIIème siècle. Antonio Purroy lui-même, admet et demande que le rôle primordial de la pique soit, non seulement maintenu, mais accentué. Il est le fondement même de la race du toro bravo dans toute son acception : mobilité, agressivité mais aussi noblesse permettant une charge plus ou moins rectiligne si elle est dirigée par la muleta du torero et qui dure jusqu’à la mort. Moi aussi j’aime ce toro brave à la pique, je l’admire mais aussi sa charge, son galop qui permettent à un torero de le conduire, quand il en est capable, jusqu’au final de la faena. Mais j’aime moins le toro bravucon qui va s’employer avec beaucoup de volonté au cheval, démarrer la faena avec énergie et qui lorsque le torero aura pris le dessus, va progressivement « rajarse » enlevant tout intérêt au combat et coupant toute l’émotion de la première partie. Cher ami aficionado, les discussions et parfois oppositions entre l’aficionado torista et torerista, nous desservent : la bravoure, la caste, la charge et la noblesse sont un tout. L’essentiel est de conserver la volonté de combat qui peut s’exprimer de plusieurs manières suivant le type de l’encaste. Je respecte tous les goûts. Je n’aime pas les qualifications qui se terminent en « iste » lorsqu’elles classifient les défenseurs ou amateurs des extrêmes. Je comprends l’émotion du public devant une pique parfaite. Je la ressens aussi mais l’abus ne doit pas perturber la lidia ou la force du toro. La pique est un test nécessaire dans la sélection du toro bravo, tant au niveau de la tienta de macho que de vaca. Certaines ganaderias ont délaissé dans leur sélection, la partie de la pique dans les tientas et dans le ruedo au profit des faenas de muleta trop obéissantes. Beaucoup trop ont disparu pour avoir fait ce choix et pas seulement parce qu’elles étaient repoussées par les toreros. Il est facile de faire une liste. Les amoureux de la suerte de pique comme une fin en soi, aussi belle et spectaculaire qu’elle soit, ne doivent pas oublier qu’au départ la pique n’est pas un objectif propre mais une manière de permettre à l’homme de combattre le toro. Soyons défenseurs du toro bravo, soyons admirateurs de sa bravoure, de son agressivité, de sa charge, de sa solidité.

La pique est bien un élément de cette démarche, de ce désir mais n’en faisons pas une finalité. C’est mon idée mais je respecte lorsqu’on reste dans la dignité et la compréhension que la corrida a besoin de ses trois composantes :
Le Toro – Le Torero – Le Public

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 61 – Mai 2018

ÉDITORIAL – AVRIL 2018

MY WAY – A MI MANERA

L’historique Paul Anka se fit connaître à ses débuts par ses succès fameux You are my destiny DianaShe’s a lady – sans oublier la musique et la chanson du célèbre Jour le plus Long. Il a donné plus tard en 1969 à la chanson de Claude François Comme d’habitude, une autre dimension en réécrivant, sur la mélodie composée par Jacques Revaux, un texte avec une philosophie d’un tout autre niveau My Way qui devint rapidement au Mexique A mi Manera.
Cette chanson a été chantée par plusieurs interprètes qui en ont fait un succès mondial. Je considère que ce sont Franck Sinatra et le mexicain Vicente Fernandez qui, surtout à la fin de leur carrière, ont donné une profondeur à l’esprit du texte et ont su l’inscrire au plus haut niveau de l’histoire des chansons de ces 30 dernières années. C’est un personnage qui a vécu, qui revendique ses racines et son comportement qu’il voulait indépendant, sans se mettre à genoux. Je ne suis pas mégalo et je ne prétends surtout pas me comparer à ces compositeurs et à ces artistes historiques. J’ai cependant choisi ce thème, cette mélodie, ces titres que j’apprécie et que j’écoute souvent. Déçu par l’évolution du monde taurin qui nous entoure, j’aurais pu décider d’arrêter sur le chiffre symbolique de 60 (5 ans), mes éditos mais mon attachement à l’UTB et les attaques inacceptables des extrémistes anti me poussent à continuer. Ils avaient perdu devant la justice leurs tentatives lancées contre notre tradition. Confortés par la présence du chouchou de l’écologie française au Gouvernement, ils sont confortés dans leurs démarches pour nous imposer leur pensée unique par leurs derniers succès de Nantes. Il est vrai qu’il y a des parties très communes chez les extrémistes politiques de gauche et de droite (nous en avons connu dans l’histoire moderne) et les animalistes, végans et gauchistes reconvertis, sans oublier les bobos bien pensants qui ne connaissent rien à l’histoire réelle de nos traditions et de notre monde. Ils se satisferaient d’une société soft, sans aspérités ni différences. Je reconnais aussi que localement, je me désespère du comportement de nos aficionados qui, dans leur majorité, se contentent d’un monde taurin fade et sans âme, où ils ne jouent aucun rôle de contre pouvoir qualitatif à la médiocrité qu’exige l’appellation Aficionado. Ils ne comprennent pas que ce milieu est une lutte permanente entre les entreprises organisatrices modernes réunies en 2 groupes monopolistiques qui utilisent nos arènes pour faire fonctionner leur système tant qu’il y a de l’argent à gagner – toreros à leur solde – Négoce de toros à leur guise pour permettre de vendre quasiment des cartels tout faits pour maintenir leur marge et leur maîtrise de la situation. Il existe pourtant des arènes représentatives qui, tout en s’intégrant dans le système, gardent leur indépendance pour conserver leur personnalité qui permet à ceux qui les entourent de se retrouver dans une dynamique leur permettant de maintenir leurs racines. Ceux qui me connaissent vraiment savent que je ne supporte plus cette situation, cet immobilisme qui risque progressivement de nous ramener à la fin des années 60 ou au début des années 80, quand nos corridas avaient perdu toute leur substance vis-à-vis du travail de nos anciens et du prestige de l’édifice qui demanda tant d’efforts pour le réaliser et le sauver une 1ère fois.

Il faut se rappeler que la tauromachie à Béziers a connu des crises qui ont mis en danger la continuité de sa tradition et de ses arènes. Ce sont les aficionados biterrois qui, chaque fois, ont su prendre leurs responsabilités pour les relancer. Dès 1904, M. Cauba, grand aficionado biterrois, assura le financement et l’organisation des corridas de qualité qui permirent à Béziers de se faire connaître, au point de mériter le nom de Séville Française que lui reconnut l’aficion française. En 1919, ce sont Louis Azaïs et la Société Tauromachique qui surent convaincre Achille Gaillard et ses amis de constituer la Société des Arènes pour sauver l’édifice du Plateau de Valras qui était destiné à la démolition. En 1946, les arènes se remplissent lors des 2 corridas organisées avec des toros imprésentables de Pouly. Les 3 clubs taurins biterrois réagissent violemment et créer le Consortium présidé par Jules Durand qui fut autorisé par la Société des Arènes et la Municipalité à organiser la temporada 1947.

C’est Jean Cavaillès Perdigon, aficionado historique biterrois qui se déplaça au campo portugais pour donner son accord aux lots de toros de Claudio Moura et Infante de la Camara très bien présentés. En 1968, Jules Faigt, adjoint au maire, aficionado convaincu, relança l’activité taurine des arènes, quasiment arrêtée pendant 2 ans, en créant la Feria dont nous fêterons cette année le 50ème anniversaire. Ce fut aussi la création de l’UTB, réunion des deux clubs taurins biterrois. En 1980, déçus par l’organisation de l’empresa AYME, les aficionados de l’UTB furent, pendant 9 ans, associés par les municipalités à l’organisation des corridas par le Comité Feria et ensuite par la Régie Municipale des Arènes et de la Feria mieux adaptée à la gestion d’un tel budget. Ce fut le départ d’un renouveau de la qualité des spectacles taurins, de la fréquentation des arènes qui en découle toujours et de l’aficion motivée par des évènements exceptionnels et par l’émotion. Cela dura près de 25 ans. Ces années, sans être parfaites, enregistrèrent une qualité suffisante et des initiatives qui rempliront l’édifice et entraîneront une fierté et une dynamique de l’aficion biterroise. Par la suite,nous avons constaté progressivement, avec la complicité passive d’une partie de l’aficion (?), un tassement évident de cette dynamique et une baisse progressive de la qualité et de l’affluence dans nos arènes, entraînant une perte d’image auprès de l’aficion nationale et régionale que nous ne reverrons plus à Béziers. Pourtant, sur le plan local, nous n’avons jamais enregistré autant de clubs taurins et d’aficionados (diviser pour mieux régner).

En fait, à ce jour, je ne perçois aucune démarche concertée, aucune volonté parmi cette aficion pour inciter les responsables de la Feria et de ses arènes à apporter un souffle nouveau. Après les grandes déclarations d’intentions du monde taurin officiel biterrois qui suivirent les très décevantes ferias 2016 et encore plus 2017, nous constatons depuis des mois un silence assourdissant de notre aficion, soi-disant fédérée, de la Commission Taurine et de l’Empresa. Nous avions constaté en 2016 une déclaration de la Fédération qui nous paraissait réaliste mais elle fut rappelée à l’ordre. Je vous inviterai, si vous le souhaitez, à suivre les comptes-rendus des réunions de nos clubs taurins du passé, les interventions auprès des municipalités, les lettres et réunions avec l’empresa pour apporter des modifications qu’ils estimaient essentielles. Je ne puis accepter cette situation et cet immobilisme. Comment se contenter de voir et d’entendre des inepties sur ce monde qui les manipule et qui profite de cette situation ? Mon attitude n’est motivée par aucune ambition personnelle, ni aucun projet.

J’ai choisi les paroles des 3 dernières strophes de My Way pour illustrer mon état d’esprit devant cette situation désolante même si comme dans la chanson, mon âge devrait me pousser à la sérénité. On ne se change pas !

I’ve loved, I’ve laughed and cried
J’ai aimé, j’ai ri et pleuré
I’ve had my fill ; my share of losing
J’ai eu ma part d’expériences, ma part d’échecs
And now, as tears subside,
Et maintenant que les larmes disparaissent
I find it all so amusing
Tout cela me semble si amusant
And did it my way – A mi manera
Je l’ai fait à ma façon

To think I did all that
Penser que j’ai fait tout cela
And may I say – not in a shy way
Et je me permets de le dire – sans timidité
oh no not me
Oh non, la timidité ce n’est pas de moi
I did it my way – A mi manera
Je l’ai fait à ma façon

For what is a man, what has he got ?
Car qu’est-ce qu’un homme, que possède-t-il ?
If not himself, then he has naught
Si ce n’est lui-même, il n’a rien
To say the things he truly feels
Pour dire ce qu’il ressent sincèrement
And not the words of one who kneels
Et non les mots de celui qui est à genoux
The record shows I took the blows
L’histoire retient que j’ai encaissé les coups
nd did it my way ! A mi manera !
Et que je l’ai fait à ma façon !

Mais si vous le pouvez, retrouvez sur Internet My Way chanté par Sinatra, sous-titré en espagnol et A mi manera par Vicente Fernandez dans sa soirée d’adieu à 76 ans dans l’Azteca de Mexico (2016). C’est beau et émouvant. Ceux qui ont lu et écouté Reggiani après l’édito d’août 2016 Ma Liberté, comprendront.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 60 – Avril 2018

ÉDITORIAL – MARS 2018

LES BALADINS QUI SERPENTENT LES ROUTES
QUI SONT-ILS DONC DANS LEUR COSTUME D’OR ?
DES VAGABONDS OU DES DIEUX EN DÉROUTE ?

Ces vers, extraits de la Balade des Baladins que Louis Amade écrivit pour Gilbert Bécaud, ont marqué ma vie pendant près de 50 ans. C’était l’interprétation fétiche de Roger, un grand ami qui vient de nous quitter après plusieurs années de souffrances stoïques. Ce texte s’adaptait bien à la personnalité de notre inoubliable catalan, athlète de haut niveau, étudiant talentueux (sans effort), professeur de faculté atypique… Grand baladin au sens noble du terme. Cette triste journée m’a subitement rappelé que le monde de la tauromachie a connu des personnages exceptionnels qui, outre leur talent et leur courage de torero dans le ruedo, ont montré dans leur vie d’aventurier (au sens premier du terme), des caractères très divers, parfois imprévisibles que l’on peut rapprocher de la définition initiale du baladin : comédien qui voyage de ville en ville… Cette image se rapproche particulièrement de celle de ces toreros du XIXème siècle, avec leurs vies riches d’aventures, qui se sont faits remarquer par leur personnalité hors du commun. Je choisirai, parmi une longue liste, quatre toreros qui ont marqué cette époque de leurs capacités à affronter, le plus souvent avec succès, les difficiles toros d’alors et de conserver hors du ruedo, cette différence qui fait la classe et le mystère, sans oublier leur humour, leur bonté et parfois même leur compassion vis-à-vis de leurs prochains.

Luis Mazzantini Eguia naquit au Pays Basque en 1856. Jeune, il reçut une éducation bourgeoise et suivit son père italien, dans de nombreux déplacements professionnels, tant dans le sud de la France qu’en Italie. Ambitieux, il ne se suffit pas d’une bonne carrière dans les chemins de fer, qui lui était promise et aspire à davantage pour son existence. Après ses débuts dans le théâtre et l’opéra où il échoue, il se dirige vers la tauromachie. Ce n’est pas un trajet banal. On lui prête cette boutade : Dans ce pays de vulgaires pois chiches, on ne peut être que deux choses : ténor d’opéra ou matador de toros. Le jeune Luis choisit un parcours différent des autres aspirants à devenir matadors de toros qui commençaient par le poste de banderilleros. Il commence sa carrière en tant que novillero et se présente notamment à Béziers les 9 et 14 juillet 1882 dans des capeas espagnoles sans mise à mort. Il marque le public par sa forte personnalité, son allure dans et hors du ruedo. Adepte de la franc-maçonnerie, il est notamment reçu durant son séjour, dans une des Loges de Béziers. Il prend une alternative de luxe en 1884 à Séville, des mains de Salvador Frascuelo avec Lagartijo comme témoin. Frascuelo avait souhaité donner l’alternative à ce jeune torero atypique, notamment dans la conduite de sa carrière, en passant directement au poste de novillero. Dans le ruedo, Mazzantini, torero audacieux, brillait surtout dans l’estocade finale par volapié, fulgurante dans la plupart des cas. Bien que considéré par certains comme un torero banal, le public aimait aussi ses faenas dansées au cours desquelles il s’enroulait parfois dans sa muleta. Il avait gardé de son expérience théâtrale un fort goût de mise en scène. Son comportement de dandy dans la vie le rendit très populaire. Différent des autres toreros de l’époque dans son attitude en la calle, ils l’appelaient el torerito loco. Cultivé, il était reçu dans le Tout-Madrid. Riche de ses gains professionnels dans le ruedo, il vivait sur un grand pied. Nous avons la chance de le voir en habit avec canne et chapeau haut de forme sur des photos lors de ses sorties dans le monde. Il prenait soin de marquer sa personnalité et ses relations. Deux évènements vont marquer sa vie :  son séjour à Cuba, il arrive à La Havane en 1886 pour toréer. Il est reçu en grande pompe par la foule de ses admirateurs. Il devint, pendant son séjour, un personnage important dans la société de la capitale qui le recevait dans les salons les plus prestigieux.

Il actua plusieurs fois dans la Gran Plaza de La Havane dans la temporada 1886-1887. Mazzantini a tellement marqué les Cubains au point de répéter encore de nos jours le dicton Eso no lo logra, ni Mazzantini pour qualifier un fait, un acte impossible à réaliser, même pour Mazzantini. Quel personnage ! Le séjour du Maestro Mazzantini fut marqué par des interventions en faveur d’œuvres bénéfiques, notamment pour le collège de jeunes filles pauvres de Jesus del Monte, certainement dans le cadre des fraternités maçonniques cubaines très actives dans ce secteur depuis 1880. Mazzantini devait terminer son séjour à La Havane par un évènement encore plus populaire, on dirait aujourd’hui médiatique : son amitié amoureuse publique avec la fameuse diva française Sarah Bernhardt en tournée à Cuba pour jouer les grandes pièces de son répertoire : l’Étrangère, la Dame aux Camélias, le Sphinx… A son retour, Luis Mazzantini qui continua sa carrière dans les plus grandes arènes espagnoles, se fit remarquer en faisant imposer le sorteo des toros avant la corrida, alors que l’ordre de sortie des toros était jusque là décidé par le ganadero. Il toréa à nouveau à Béziers en 1899 face aux Miura. Notre musée taurin a l’honneur d’abriter dans ses murs, une tenue complète du Maestro, laquelle après son inscription au titre des monuments historiques d’objets mobiliers, est en cours de restauration. Luis Mazzantini participa aussi à une corrida à Roubaix (!) et surtout toréa plusieurs fois à Paris. A la fin de sa carrière taurine en 1904, il commence une toute autre vie avec une carrière politique importante. Après avoir été élu Adjoint au Maire de Madrid, il devient Gobernador Civil (Préfet) des provinces de Guadalajara et Avila. Cette période moins romantique n’enlève rien à sa personnalité première de baladin aventurier.

A la même époque, les frères Salvador et Francisco Sanchez Povedano Frascuelo, originaires de Granada, naquirent, contrairement à Mazzantini, dans une famille en difficulté où le père, ancien militaire de la guerre contre les français, se ruinait dans les jeux de hasard. Ils se déplacèrent dans la région madrilène pour survivre grâce à leur mère et aux menus travaux d’aide-berger qu’ils trouvaient dans le campo. Dans cette région de Cinco Villas, il y avait une grande aficion aux spectacles taurins populaires et aux lâchers de vaches pour les plus adroits et courageux. C’est l’aîné, Francisco (1841) qui le premier marque de l’intérêt pour la fiesta taurina et pour le toreo. Il passait le plus clair de son temps dans les fêtes de village pour participer aux lâchers de vaches pour les aficionados. Le peu qu’il apportait au revenu familial provenait de ce que les spectateurs de ces capeas leur jetaient à la fin dans les capotes. Dès ses 18 ans (1859), il entre comme banderillero dans la cuadrilla de Cuchares et participe à de nombreuses corridas avant sa première alternative en 1877. La tauromachie de Paco était surtout basée sur un mouvement spectaculaire de la cape (galeo) réalisé d’une manière parfaite et surprenante qu’il avait apprise dans les capeas. Par contre, tant avec la muleta qu’avec l’épée, il perdait beaucoup de son efficacité et de son renom auprès des spectateurs. C’est lui qui avait amené son jeune frère Salvador (né en 1842) comme spectateur dans les capeas de ses débuts. Celui qui devait devenir le fameux Frascuelo, fut subjugué par ce contact avec les vaches et les toros et décida de devenir matador de toros. Salvador qui avait connu une vie dure, avait des qualités physiques exceptionnelles et surtout une volonté et un courage hors du commun. Il démontre rapidement plus de sûreté que son frère dans toutes les suertes. Il existe de nombreuses anecdotes qui démontrent ce courage exceptionnel, hors du commun, on peut presque dire héroïque, qui lui fit prendre une alternative dès le 27 octobre 1867 des mains du Maestro Curro Cuchares. Il commença sa carrière dans toutes les plazas espagnoles mais c’est sa rivalité avec Lagartijo (alternative en 1865 à 23 ans) qui accentua l’impact de son personnage. La competencia entre Salvador Frascuelo et Lagartijo fut totale. Frascuelo montrait un courage sans fissures et une décision au moment suprême de tuer, fascinant tout autant le public que ses partisans. On peut voir au Musée Taurin une de ses épées et une très belle estampe ancienne montrant Frascuelo se préparant avant d’entrer a matar. Cette rivalité était si forte que lors d’une corrida où ils s’affrontaient et se mettaient en danger exagérément, le Président de la corrida dut les réprimander devant les prises de risques des deux phénomènes. Malgré cette rivalité, il y avait un grand respect entre les deux figuras. Lors d’une tertulia où l’un de ses partisans voulait censurer la tauromachie de son concurrent, Salvador Frascuelo l’interrompit publiquement : Cela vous le direz dans la rue parce que vous partez immédiatement d’ici. Pour moi, Lagartijo est le meilleur torero qu’une mère n’ait jamais fait naître. Salvador Frascuelo reçoit de nombreuses graves cornadas dans sa carrière. La plus notoire, si elle ne fut pas la plus grave, eut lieu à Chinchon en 1863 où il fut soigné pendant 3 mois dans une auberge mise à sa disposition par son propriétaire. Cette auberge est restée fameuse avec accès direct à la Plaza Mayor. Il ne l’oublia jamais puisqu’il partit vivre à Chinchon après sa corrida de despedida le 2 mai 1890, avant de revenir à Madrid où il décéda en 1898. Alors que son frère Paco eut une vie de bohème et presque sans domicile fixe, Salvador est adoré de tout le peuple mais aussi de l’aristocratie. On parle même d’une aventure amoureuse avec l’Infante Isabel de Bourbon qui était passionnée de corridas où elle faisait admirer dans les tendidos ses tenues spectaculaires de la tradition espagnole. Pourtant, Salvador va aider son frère et lui faire profiter de son prestige et de son nom. Francisco va ainsi toréer beaucoup et dans plusieurs pays, même en Uruguay, au Pérou et bien entendu en France. C’est ainsi qu’il se présente à Béziers le 9 juillet 1883 en remplacement de son frère, ce qui ne l’empêcha pas de triompher par son allure, sa facilité au capote et son efficacité à la mort. Le Maire, enthousiaste, organisa sur le champ une corrida imprévue avec Paco comme seul torero, le 14 juillet. C’est Francisco Frascuelo qui était au cartel pour inaugurer à Paris le 10 août 1889 les arènes de la rue Pergolèse (Bois de Boulogne) où le monde taurin espagnol attiré par le succès de l’exposition universelle (arènes du Champ de Mars 14 000 spectateurs) avait investi dans la construction d’un édifice exceptionnel pouvant contenir 24 000 personnes et couvert d’une verrière. Toutes les figuras vont y toréer jusqu’à la fin 1892 deux corridas par semaine (jeudi et dimanche) pendant 4 à 5 mois : Lagartijo, Salvador Frascuelo, Mazzantini, Angel Pastor, Guerrita. Malgré l’affluence (15 000 spectateurs en moyenne), les résultats économiques furent insuffisants. Paris ne vit plus en 1893 ces spectaculaires toreros qui, dans les lieux publics ou privés, faisaient l’admiration des parisiens et constituaient une véritable attraction, vêtus de leurs trajes cortos d’apparat ornés de fajas multicolores et chaussés de bottes magnifiques. Les plus aisés rajoutaient des bijoux, des diamants taillés comme boutons de chemises. On a pu voir Salvador Frascuelo avec des montres et chaînes en or, canne en ivoire avec pommeau en argent. C’étaient de véritables baladins aventuriers, comme nous les chantait Bécaud : Ces gens de vingt ans qui ressemblent à des dieux. Malheureusement, Salvador Frascuelo usé par tant de cornadas, toréa diminué physiquement alors que c’était un avantage principal pour lui. Il jugea que c’était le moment d’arrêter sa carrière en 1890. Son frère Francisco continua dans des arènes de différentes catégories, profitant de la renommée du nom Frascuelo jusqu’à sa despedida à Madrid en 1900.

Son concurrent Lagartijo naît à Cordoue en 1841, se faisait remarquer par un toreo harmonieux. Son contact avec l’aficion était différent de celui de Salvador Frascuelo. Il charmait le public par son physique, sa rapidité de l’esquive d’où son surnom de Lagartijo (petit lézard). Il prit l’alternative en 1868 et commence rapidement ses duels avec Frascuelo au cours desquels ils s’affrontent avec vaillance. A partir de 1875, sa tauromachie se perfectionne avec une meilleure connaissance de la lidia et la perfection à l’épée. C’est lui qui prit la décision de tuer sans autorisation le premier toro dans une arène parisienne. Lagartijo fit sa despedida en 1893 face à six toros du Duc de Veragua, après une carrière de mille six cent trente deux corridas dont quatre cent quatre à Madrid. Cordoue le nomma El Gran Califa, titre honorifique, premier des 5 califes de Cordoba. Lagartijo ne fut pas seulement un torero exemplaire mais un homme généreux, avec un grand sentiment humanitaire pour les nécessiteux et ceux qui lui demandaient de l’aide. Il aimait aussi faire la fête avec ses amis, particulièrement les livreurs de charbon nombreux à cette époque-là. Ses excentricités et ses commentaires incisifs dans son style andalou étaient fameux.

J’ai choisi ces quatre toreros pour leur comportement exceptionnel, mais j’aurais pu aussi vous narrer d’autres histoires similaires de cette époque, comme celle de Guerrita, leur concurrent principal mais plus suffisant et capricieux. De nos jours, nous pouvons voir des toreros de très haut niveau que nous admirons mais les temps ont changé dans le monde qui nous entoure et ils s’adaptent moins à la vie rocambolesque et extrême de leurs glorieux prédécesseurs.

Je resterai avec mélancolie sur les derniers vers du texte de Louis Amade, si bien interprétés par Bécaud qui composa la musique :
Mais tout cela n’était qu’un fragile mirage
Et je reste tout seul avec mes lendemains
Ohé les baladins
Vous partez ?
Emmenez-moi !

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 59 – Mars 2018

Editorial Février 2018

OUI, C’ÉTAIT AUSSI EN 68

Lorsqu’en France et même en Europe, la presse et l’opinion publique évoquent 68 (beaucoup ignorant le printemps de Prague qui se déroula aussi en 68 et pourtant…), ce sont immédiatement les évènements français de mai et juin 1968 qui sont mis en avant, en les considérant comme la base d’un changement de société. Cette période très agitée qu’a connue notre pays, a été alimentée au début par les étudiants gauchistes (officiels et marginaux) et les futurs bobos. Ils ont été soutenus, dans un deuxième temps, par le mouvement ouvrier qui bloqua le pays. Personnellement, étudiant en fin de parcours universitaire à Montpellier, je m’inquiétais surtout des rumeurs de suspension des examens. Il est vrai que l’agitation étudiante à Montpellier ne fut pas violente comme à Paris où certains voulaient déstabiliser le pouvoir en place. Dans les amphithéâtres des facultés, on parlait beaucoup dans des assemblées dirigées par les meneurs gauchistes et les éternels opportunistes qui mettaient en cause le capitalisme, le consumérisme, notre culture, l’autorité… Sans rentrer dans les querelles politiques et philosophiques, je ferai constater que la France paie beaucoup encore les pertes d’autorité et ses critères fondamentaux de société, surtout dans l’Éducation nationale où le mot d’ordre était il est interdit d’interdire qui n’était au départ qu’une boutade de l’humoriste Jean Yanne. En tauromachie, ces évènements, s’ils ont joué un rôle primordial dans la suppression de la feria 1968 et des corridas de Pentecôte à Nîmes, ont eu indirectement une conséquence inattendue dans la création de la feria de Béziers. Les évènements de mai et juin 68 avaient fortement atteint l’activité économique et le commerce biterrois. Jules Faigt, adjoint au maire chargé en particulier des corridas, proposa de créer la feria de Béziers dont nous fêterons cette année le cinquantième anniversaire. Il avait le double objectif de donner une impulsion à l’activité de la ville au mois d’août et d’essayer de relancer l’activité taurine qui était au ralenti depuis quelques années. En 1965 et 1966 les temporadas biterroises s’étaient limitées à une corrida de toros avec le phénomène de Palma del Rio, Manuel Benitez El Cordobès. En 1965 il avait rempli les arènes accompagné de Pedres et Zurito face à des toros d’une extrême faiblesse. Une seule novillada fut organisée en août. En 1966, la corrida du Cordobès en juillet, avec des compagnons de cartel secondaires, n’avait pas rempli alors que la novillada enregistra en août une demi-entrée. En 1967, l’activité taurine se limita à trois novilladas avec picador : 3500 spectateurs pour celles d’août et 2500 pour les vendanges. C’était la situation la plus catastrophique connue par nos arènes depuis leur rénovation en 1921, alors que l’aficion et la population biterroise avaient réagi avec passion, tant en 1946 qu’en 1947, après la guerre malgré les difficultés d’organisation inhérentes à la situation des frontières. Le prétexte des évènements de 68 permit de créer la feria, même si elle était plutôt limitée pour sa première édition à des animations en centre-ville avec des bandas, le corso et les lâchers de toros dans les rues, encadrés de gardians camarguais à cheval. Ce fut un point de départ, même si la temporada se limita à trois novilladas : les Yonnet en juillet et deux novilladas avec les bons Guardiola Soto pendant la feria les 14 et 15 août, avec une participation du public satisfaisante même si la deuxième novillada se déroula en nocturne. Par contre, le succès dans la rue fut impressionnant. La presse euphorique titra même Pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître. J’ai retrouvé une photo du Midi Libre prise de la porte des arènes qui montre une foule impressionnante qui remonte toute l’avenue jusqu’à la statue de Paul Riquet.

Nous étions encore loin du début des années 60 qui avaient enregistré des entrées, certes acceptables (7000-8000), mais inférieures à l’après-guerre malgré des cartels et des toros intéressants. En fait, il manquait une vraie dynamique aux arènes, l’aficion était ignorée. Nîmes avait déjà une feria depuis 1952 et organisait même des corridas début août. Je me rappelle avoir vu une corrida à Nîmes avec El Cordobès accompagné de Curro Giron (frère de César) : les arènes étaient presque pleines. Le Club taurin et la Société tauromachique s’inquiétaient depuis longtemps de la situation instable de l’activité taurine de nos arènes et manifestaient leurs préoccupations à la municipalité. Malheureusement, elles perdaient du temps dans des guéguerres d’aficionados dont profitait l’empresa. Les temps changent, les hommes changent mais les résultats sont les mêmes. Les responsables de ces deux associations comprirent qu’il fallait agir pour redynamiser l’aficion. La situation était devenue préoccupante pour l’avenir. Elle ne correspondait ni à l’histoire, ni aux références que nos arènes avaient su créer depuis 50 ans. Conscient de cette situation, Jules Faigt, après la feria de 68, prit l’initiative de réunir ces responsables pour les inciter à dépasser leurs différences afin de créer une action commune efficace qui puisse soutenir l’initiative de la feria. Comment pouvaient-ils accepter que des bourgs du sud-ouest de moins de 5000 habitants, comme Vic-Fezensac et Hagetmau, aient pu créer des ferias plus représentatives que les organisations dans nos arènes de plus de 10 000 places ?

Les deux associations décidèrent donc de fusionner sous la présidence du docteur Marc fin 1968, leurs moyens humains, leurs collections, sous le nom d’Union Taurine Biterroise qui grâce à eux aujourd’hui, dispose d’un patrimoine exceptionnel qu’elle continue d’améliorer tous les ans dans le Musée taurin. L’unité ne fut pas parfaite mais elle eut le mérite, autour du patrimoine, d’unifier une histoire qu’ils surent mettre en avant pour agir au profit de nos arènes. Dans un monde aussi complexe et sensible que la corrida de toros créée par des siècles d’histoires et de mythes, il est bon que l’aficion se concentre sur des causes valables de défense de nos traditions. L’actualité nous le démontre tous les jours.

C’est aussi en 1968 que j’ai commencé à suivre, avec quelques amis, la feria de Bilbao après celle de Béziers en août. J’y fus fidèle dix ans de suite que je n’oublierai pas, tant par le sérieux des toros, la qualité de son public, de sa banda de musica, la visite des toros lors de l’apartado journalier, avant d’apprécier les bonnes tables à des prix inégalables. J’ai eu la chance d’y rencontrer des personnages historiques de l’aficion française et des chroniqueurs taurins réputés. Grâce à Fernand Lapeyrère (Don Fernando), j’ai pu écouter leurs commentaires, participer aux discussions avec ces personnalités compétentes, cultivées, pleines d’expérience. Je n’oublierai pas Tio Pepe, Paco Tolosa, Monosabio, Pierre Dupuy… que nous lisions dans la presse spécialisée mais aussi dans l’Équipe et le Midi Olympique. J’ai forgé mon aficion à leur contact, approfondie plus tard par mes visites au campo avec les ganaderos et les mayorales. Mais rien n’est acquis. Mes dernières visites à Bilbao m’ont profondément déçu, tant au niveau de la qualité du public qui ne va plus aux arènes, que de l’ambiance. La présentation des toros et le cérémonial ne suffisent pas à garantir la qualité. Quant à la présidence intransigeante et soi-disant impartiale…

Si nous revenons à ces premières années, la feria de Béziers évolua lentement par le retour de la corrida de toros en août 69 qui vit le triomphe, avec quatre oreilles, de Manolo Martinez, le Mexicano de oro, et l’apparition de Damaso Gonzalez devant près de 10 000 personnes. Une bonne novillada de Pinto Barreiro complétait les cartels. L’empresa Aymé comprit enfin qu’elle devait profiter de cette nouvelle feria en 1970 avec une corrida de Juan Pedro Domecq et le numéro un, Paco Camino (deux oreilles) et le triomphateur de 1969 Manolo Martinez, dans des arènes combles. Devant le bon résultat des novilladas de juillet et de la feria d’août, l’Union Taurine décida, pour relancer la corrida des vendanges, d’organiser une novillada avec picador qui fit apprécier un très bon lot d’Albasserrada attirant 3500 spectateurs. Les ferias de 1971 et 1972 confortèrent l’idée de la feria de 1968.
– 1971 : le mano a mano de Paco Camino – Paquirri (suite à l’arrêt inattendu de la carrière d’Antonio Ordoñez), enthousiasma le public et fit de Francisco Rivera Paquirri, le torero de Béziers pendant 10 ans et quatorze corridas. C’était un torero poderoso qui savait séduire le public et qui remplissait les arènes.
– 1972 : 2 corridas de toros :
. 13 août : Paquirri, Miguel Marquez et Jose Antonio Galan,
. 15 août : retour de sa retraite (20 ans après) de Luis Miguel Dominguin, accompagné des mexicains Eloy Cavazos et Curro Rivera.
Sans oublier la corrida des quatre cavaliers : Angel et Rafael Peralta, Alvaro Domecq et Jose Lupi.

Oui, l’idée opportuniste de 68 était bonne, la feria même avec des hauts et des bas (de 1975 à 1980) était lancée. J’ai souvent dit et écrit ce que je pensais de la situation actuelle, avec une aficion absente de nos arènes, tant avant que pendant et même après les ferias. La passion de nos ancêtres a disparu et pourtant nous avons une école taurine officielle, bien organisée, qui a su prendre la suite de ses prédécesseurs qui ont permis l’éclosion d’une figura del toreo : Sébastien Castella. Deux jeunes Biterrois ont pris l’alternative : Tomas Cerqueira en 2012 et Cayetano Ortiz en 2014. Plusieurs jeunes Biterrois sont en Espagne dans les ganaderias andalouses avec de grands professionnels pour côtoyer ce monde tout en améliorant leur technique. Les jeunes aficionados practicos des années 50, que beaucoup de nous ont connus, auraient aimé assouvir leur passion dans les mêmes conditions. C’est la création de la feria et l’implication de la collectivité en faveur de la corrida qui ont permis cette évolution.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Edito n° 58 – Février 2018

ÉDITORIAL – JANVIER 2018

 » QU’ON ME DONNE L’ENVIE,
L’ENVIE D’AVOIR ENVIE « 

Les paroles de la chanson mythique que Jean-Jacques Goldman écrivit pour Johnny, écoutée plusieurs fois depuis qu’il nous a quittés, présentent pour moi une double actualité. Elles m’ont fait comprendre, qu’avec l’ENVIE, il existe une solution pour nous rendre la passion en ce que nous croyons, que nous aimons ou que nous avons aimé. Elles s’adaptent parfaitement à nos doutes d’aficionado à los toros ou tout simplement aux déceptions du public des corridas. Pourtant, je maintiens que les représentants officiels de la tauromachie française ont su défendre et conforter la corrida dans les territoires de nos traditions. Contrairement à nos voisins espagnols, ils ont été vigilants et se sont appuyés sur la légalité et le droit que défend la justice indépendante de notre pays. L’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse du 6 mars 2000, conforté par plusieurs autres décisions, reconnaît la corrida de toros dans notre sud gascon et méditerranéen. L’Observatoire National des Cultures Taurines a su conforter cette démarche par la création d‘Esprit du Sud pour que continue notre combat. Mais ce n’est pas suffisant pour me tranquilliser pour l’avenir.

1/ Le comportement de nos adversaires animalistes poussés par la haine qui caractérise l’Intelligentsia, quel que soit le domaine contre lequel elle se bat, nous exige la vigilance. Ils savent manipuler les foules crédules, maniables et sensibles. N’oublions pas que lorsqu’ils sont au pouvoir, ils savent utiliser la force et la coercition. Oui, cette Intelligentsia, même dans l’ombre, a beaucoup d’influence et ne serait pas gênée progressivement de nous imposer ses tendances totalitaires les plus contraignantes, restant toujours cachée derrière une bonne cause. Ce n’est pas la défense fondamentale des animaux qui motive les maîtres animalistes mais la perte de notre identité, afin d’imposer à tout le monde la pensée unique en utilisant la naïveté de certains. Pour lutter contre eux, en plus de la légalité que nous apportent toutes les décisions de justice, nous devons leur montrer notre détermination.
2/ Le monde taurin doit aussi avoir plus de rigueur et d’authenticité dans ses comportements. N’offrons pas d’arguments à nos adversaires. Il faut reconnaître que plusieurs de nos arènes montrent des lacunes fondamentales ces derniers temps. Cette tiédeur, pour ne pas dire cette fadeur, n’est pas propice à soulever l’admiration de nos foules surtout si les prix des entrées deviennent de moins en moins abordables. Oui, la corrida n’est pas un spectacle programmé. Oui, elle accepte l’incertitude et les difficultés inhérentes à son essence, mais pas la banalité et la médiocrité. Si elle ne garantit pas l’EXCELLENCE, elle exige l’EMOTION vraie. Etonnez-nous, ramenez-nous ces tardes qui ont marqué notre mémoire. Elles sont nombreuses, quelle que soit l’importance des arènes. Je me rappellerai toujours de la réaction d‘une spectatrice occasionnelle à la fin de la corrida du 15 août 1983 dans nos arènes, après l’affrontement des 3 Héros : Christian NIMEÑO, Victor MENDES et Richard MILIAN face aux toros de Miura « Quelle après-midi extraordinaire. Je suis prête à en revoir souvent ». Même si je considère cette tarde comme extrême, je pense que nous avons besoin de vivre plus souvent des exploits qui nous bouleversent, qui réveillent nos ardeurs et nos sensations pour croire à ces racines exceptionnelles. C’est en pensant à l’avenir difficile et préoccupant de nos arènes qui perdent trop de public, que le cri de Johnny m’a interpellé : « Qu’on me donne l’envie, l’envie d’avoir envie ». De son côté, l’immobilisme du monde taurin espagnol, trop attaché dans sa majorité à défendre ses intérêts particuliers égoïstes, a montré peu d’efficacité et risque de nous entraîner dans sa propre débâcle. J’espère qu’avec son arrivée récente à la tête de la Federacion del Toro de Lidia, Victorino Martin Garcia, homme de forte personnalité, ganadero prestigieux reconnu par tous, saura agir et réunir autour de lui suffisamment d’énergie pour faire comprendre :

– aux politiques, que le combat des animalistes contre la tauromachie est un faux combat, contraire à l’identité de l’Espagne, terre du toro bravo, que l’on ne peut pas faire disparaître pour des intérêts inavouables ou futiles,

– au monde taurin, qu’il doit s’unir pour agir sur des objectifs réalistes à tous les niveaux, pour être crédible et efficace. La solution est entre ses mains mais aussi dans celles des aficionados.

– aux ganaderos, qui doivent certes rechercher la noblesse dans la charge du toro mais sans oublier la bravoure qui lui donnera l’ENVIE de charger le leurre que lui présente son adversaire dans le ruedo,

– aux toreros punteros, qui ne doivent pas exiger le toro docile qui après quelques passes de muleta se sentent dominés et abandonnent le combat et se rajan (se défilent) vers les planches. Ce comportement, trop souvent constaté dans les élevages choisis par les figuras est inacceptable, tant pour le ganadero que pour les vrais aficionados. De nos jours, les toros tombent moins qu’il y a 20 ans grâce aux efforts d’élevage des ganaderos mais ils perdent trop souvent les fondements de la bravoure. Certes, il y a actuellement des toreros comme Juli, Enrique Ponce, Sébastien Castella… qui ont une telle technique et une telle connaissance de ce comportement, qu’ils savent les garder dans la muleta pour une faena quantitativement complète. Mais cela n’est plus un vrai combat de deux êtres exceptionnels que nous admirons encore, qui nous apporte une vraie émotion et a créé notre passion. Ne nous trompons pas. Il est évident que le toro bravo, même décasté, est dangereux pour le torero. Ces derniers temps, les fins tragiques de trois matadors de toros et les gravissimes blessures qu’ont connues des toreros confirmés, nous ont malheureusement ramenés à la dure réalité. Ce n’est bien entendu pas cela que le vrai public aficionado recherche. C’est une émotion saine, la reconnaissance du comportement d’un vrai toro bravo qu’affronte un torero qui a le pouvoir, par sa technique, de chercher à le dominer en ajoutant son sens esthétique et sa sensibilité.

– à l’Empresa, qui :
. ne doit pas organiser un monde taurin basé sur des arrangements avec ses collègues, qui ferment la porte à des toreros passionnés, authentiques et à des apoderados indépendants soumis à leur bon vouloir. Ils ne doivent pas ainsi décourager des illusions sincères et bloquer le système sans la competencia indispensable.
. doit amener dans les corrales des lots de toros dont le trapio correspond à la fois à la catégorie des arènes et permet de démontrer la prestance et la puissance. La taille, le poids et les armures doivent être caractéristiques de leurs origines (encastes), physiquement et dans leur comportement dans le ruedo.

– au bon aficionado, qu’il a lui aussi son rôle à jouer pour maintenir notre passion, notre ENVIE. Il a suffisamment de références pour avoir une opinion. Son rôle sur les gradins est important. Avec mesure, il doit faire connaître son opinion pendant et, surtout après, pour la faire partager. Non, je ne me trompe pas de combat. Je souhaite et je demande comme beaucoup d’autres, « Qu’on me donne l’envie, l’envie d’avoir envie ». Je suis persuadé que si tous oeuvrent dans ce sens, ils reviendront aux arènes. Ils sauront et devront défendre LEUR corrida face aux animalistes et l’Intelligentsia qui veulent détruire notre culture qui les gêne. On a vu dernièrement ces gens-là à Bordeaux, faire pression pour essayer de faire interdire l’exposition du Musée Itinérant des Tauromachies Universelles. Cela ne vous rappelle rien ? C’est le totalitarisme qui s’exprime comme par le passé, sous d’autres formes.
Nous devons être là pour défendre nos coutumes, notre histoire, face à la pensée unique qui cherche à les détruire et à récupérer les bien-pensants crédules. Ils viennent même de changer CARMEN. Pauvre Georges Bizet, pauvre de nous.

En ce qui concerne les corridas à Béziers, j’ai fait part en plusieurs occasions de mes inquiétudes sur l’évolution de nos arènes qui déclinent depuis près de 10 ans. Absent involontaire de la Feria 2016, j’ai constaté avec l’aficion biterroise, la déficience attristante des corridas de la Feria 2017, tant au niveau qualitatif que pour la quantité du public. Les informations financières qui ont suivi ne me rassurent pas. L’annonce inattendue de l’arrivée de Simon Casas dans l’équipe d’organisation des corridas, si elle peut être intéressante, ne me tranquillise pas pour autant car elle n’a pas été suivie d’informations sur la volonté et les intentions de l’empresa. J’ai déclaré sans ambiguïté depuis longtemps, que toute solution devrait intégrer une participation active de l’aficion biterroise à un projet, quel qu’il soit. Sans elle, ils ne feront rien d’efficace qui pérennise la corrida dans nos arènes.
Rendez-nous l’ENVIE…

Edito n° 57 – Janvier 2018 – le responsable de rédaction : Francis ANDREU

ÉDITORIAL DÉCEMBRE 2017

« O TEMPORA, O MORES »

L’illustre Cicéron de la Rome Antique, consul en 63 avant J.C., en prononçant ces mots, s’élevait contre la conspiration violente de Catilina et la complicité morale de la société qui permettait de banaliser les atrocités les plus énormes (pour l’époque) « O tempora, O Mores ». S’il fit échouer la conspiration, Cicéron ne fut pas pour autant magnanime en faisant exécuter les partisans de Catalina, malgré la fameuse intervention de Jules César encore sénateur. Comme nous le décrit leur contemporain Salluste, Cicéron paya plus tard cette décision et fut écarté du pouvoir et contraint à l’exil en 58 avant J.C. Cette référence tragique ne doit pas être prise au premier degré dans mes propos. C’est la fameuse déclaration latine de Cicéron « O Tempora, O Mores » que l’on peut traduire littéralement « O Temps, O Mœurs » ou « Quelle époque, quelles mœurs » qui m’intéresse. Nous pouvons appliquer cette fameuse locution latine à l’ensemble de la vie de ce début du XXIème siècle, mais ici je la limiterai à la tauromachie moderne et à son environnement. Je considère que sans le courage extrême et le talent des toreros, sans oublier la bravoure exceptionnelle des toros, la tauromachie ne serait rien et n’aurait pas intéressé le peuple espagnol pendant des siècles, qui l’a transmise à notre Sud et aux Amériques. Malheureusement, ce peuple admiratif n’est devenu qu’un public.

Ces temps-ci nous sommes envahis, à travers la complicité des médias, par des déclarations, des mises en scène, des réceptions dans des endroits branchés, des publicités du monde taurin et plus particulièrement des empresas qui se positionnent pour vanter leurs mérites et leur talent d’organisateur d’évènements et de spectacles. Le grand Manolo Chopera n’avait pas besoin de ce type de communication orchestrée. Ils oublient que ce ne sont pas eux qui nous intéressent mais leur volonté, leurs décisions qui devraient apporter au public l’émotion unique qu’est la corrida de toros et qui pourra ramener le public aux arènes et donc défendre sa survie face au monde communicant (lui aussi) des antis et des bons pensants par les tweeters et internet en général où nous pouvons lire toutes les absurdités, même non identifiées. Si nous voulons parler d’authenticité en tauromachie, nous avons deux exemples d’actualité que sont les récentes corridas triomphales de La Mexico et d’Acho. Loin de moi la volonté de décrier les toreros figuras qui sont, pour la plupart, des maestros incontournables au niveau de leur connaissance du toro et de leur technique. J’ai souvent déclaré et même écrit que sans émotion la corrida ne se justifie pas (et pourtant j’en suis un défenseur extrême).

La Mexico a connu deux évènements importants ces dernières semaines marquées par les actuations d’Enrique Ponce le 3 décembre et de Jose Tomas le 12 dans la Corrida de Bienfaisance en faveur des victimes du dernier terremoto meurtrier. Le toro mexicain d’origine Saltillo a évolué depuis plus de 3 siècles pour devenir un collaborateur particulier et même dans certains cas, un partenaire exquisito extrême qui permet aux maestros de réciter et d’exprimer un art qui peut plaire à un public moderne. J’ai le regret de penser et de dire que ce n’est pas le vrai avenir de la corrida de toros qui, dans ces conditions, va à sa perte – O Tempora, O Mores – Cependant, dans ces références récentes, nous distinguons :
l’actuation le 3 décembre d’Enrique Ponce devant le 7ème de regalo de Teofilo Gomez, qui a eu le comportement typique jusqu’à l’extrême du toro mexicain moderne. Après un comportement manso perdido dans les deux premiers tiers, il est devenu d’une obéissance extrême devant la technique optimum du maestro valencian. Ce fut une récitation comme si le toro était dressé, dont les caractéristiques étaient la délicatesse, le raffinement plus que la tauromachie. C’était une démonstration harmonieuse, esthétique, délicate… mais à aucun moment un affrontement. Je sens que je vais me faire des ennemis mais (même si l’abrazo exalté du maestro après son triomphe avec son banderillero Mariano de la Viña était sincère), j’ai le regret de dire que cela ne sert pas notre combat. « O Tempora, O Mores ».
par contre le 12 décembre, dans la corrida Monstruo de Bienfaisance avec 8 toreros, Jose Tomas revenait symboliquement en faveur des sinistrés. Ce personnage exceptionnel avait, lui aussi, choisi comme adversaire un joli toro présenté correctement. Il a su se montrer à la hauteur de la situation. Il fallait briller pour se justifier afin de donner de la dimension à son geste bienfaiteur, mais aussi lui donner une authenticité par la profondeur de sa tauromachie tout en conservant son humilité. Le maestro a voulu, face à un toro manso (sauf au cheval), réaliser un toreo à la fois humain et génial. Ce fut une grande faena, reconnu comme telle au Mexique où le torero en vint même à se jouer la vie d’une forme naturelle, très investi dans sa volonté de toréer supérieur en restant dans la simplicité adaptée à la circonstance. Ce n’est qu’après avoir fait une vuelta avec son oreille (après une estocade tendida), que son visage s’est ouvert par des sourires. Il fut HUMAIN et GRAND en même temps. La faena était visible en entier sur internet, je puis en attester. Je crains et c’est dommage qu’on ne le verra plus souvent « O Tempora, O Mores ». C’est de cela dont nous avons besoin pour que la corrida reste un mythe inexplicable qui puisse justifier, par les temps qui courent, que c’est bien un évènement unique qui se déroule dans le ruedo, où l’homme et cet animal (exceptionnels) s’affrontent jusqu’à la mort du toro. Si les maestros modernes ne comprennent pas cette nécessité de vérité et d’authenticité, le futur de notre passion est en danger. Il est certain que les figuras actuelles, dans leur majorité formés dans les écoles taurines, ont une technique impressionnante, il est vrai démontrée trop souvent devant des adversaires collaborateurs qui suivent l’engaño avec une docilité tonta. J’ai eu la chance, notamment à Bilbao de 1968 à 1978 (10 Férias), de voir les figuras de l’époque toréer le vrai cuatreño, avec peut-être quelques imperfections techniques mais avec quelle personnalité, quelle expression et une attitude qui manque trop souvent de nos jours. Récemment, j’ai vu sur internet, la comparaison entre les estocades parfaites de Paco Camino et celles du Juli (les Juli pies) artificielles. Ces dernières, certes efficaces, trompent une partie trop importante du public. Pourtant, il sait tout faire… C’était inacceptable et non accepté il y a 40 ans « O Tempora, O Mores ».

Autre exemple : la Plaza de Acho à Lima qui a toujours été un lieu prestigieux pour la tauromachie mondiale où la corrida représentait un symbole important devant un public important. Je l’ai vécu personnellement et j’ai ressenti cette ambiance spéciale qui positionnait Acho à un niveau supérieur. Depuis 5 ans, les organisateurs ont acheté des toros anovillados dans des ganaderias espagnoles réputées pour que les figuras acceptent de toréer dans cette grande feria péruvienne. Sur une vieille photo en noir et blanc du Maestro Antonio Bienvenida dans ces arènes, on s’aperçoit que le comportement du toro-toro donne l’image d’un vrai combat qui n’a rien à voir avec la corrida actuelle à Lima « O Tempora, O Mores ». Nos amis mexicains et les organisateurs actuels d’Acho, pour faciliter un spectacle, sont en train de quitter l’essence de la corrida, notamment sous la pression d’une partie du monde taurin. Nous savons que le toro est dangereux et que les ganaderos recherchent un toro brave et noble. C’est leur objectif mais attention, cette recherche a des limites qu’ils franchissent trop souvent depuis quelques temps et qui risquent de faire dégénérer ce combat unique. « O Tempora, O Mores ». Paco Camino qui était mon torero des années 60-70 (le Niño sabio de Camas avait un toreo moins froid que celui de S.M. El Viti), a répondu lors d’une conférence à la question : Il se dit qu’aujourd’hui on torée mieux que jamais ? me parece bien que lo digan, pero es que he visto torear antes… (cela me paraît bien qu’on le dise mais moi j’ai vu toréer aussi autrefois…). Le grand aficionado practico et écrivain salmantino et madrilène Felipe Garrigues concluait : Moi aussi j’ai vu toréer aujourd’hui et autrefois. Il y a de bons toreros, sans aucun doute, mais très semblables les uns aux autres. Ils manquent de charisme et de personnalité. Il y avait moins de technique mais plus de corazon et d’EMOTION. Sans cette émotion, il n’y a pas de CORRIDA « O tempora, O Mores ». Ceux qui me connaissent savent que je ne suis ni torista, ni torerista. De plus, je n’aime pas ces qualificatifs séparatistes ridicules. Je suis admirateur des toreros en général et ami de certains en particulier. Je ne puis être taxé d’adversaire à leur égard. C’est le rôle trop important des figuras sur les fondements qui me gêne.

Mais je dois arrêter de me plaindre. Dans ces jours de fêtes, compliqués dans beaucoup d’endroits dans le monde, nos amis mexicains, pourtant atteints de beaucoup de malheurs depuis des siècles, ont une philosophie particulière : Quand Mexico veut être Mexico et cela très souvent, elle ne pleure jamais. Mexico jura de ne plus jamais pleurer depuis que Quirino Mendoza composa en 1882 le fameux Cielito Lindo : Canta y no llores porque cantando se alegran Cielito Lindo los corazones ! (Chante et ne pleure pas parce qu’en chantant les cœurs se réjouissent Cielito Lindo).

Faisons comme eux. Fêtons Noël auprès des sapins et des crèches. Essayons d’oublier nos contrariétés. Terminons cette année médiocre et douloureuse pour certains par le traditionnel Bon Noël et Meilleurs Vœux. Nous parlerons plus tard de nos interrogations pour 2018.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Edito n° 56 – Décembre 2017