ÉDITORIAL

« OH WHEN THE SAINTS GO MARCHING IN»

Je me promenais récemment à Séville dans le barrio de Triana, quartier populaire typique au bord du Guadalquivir. J’étais séduit par l’ambiance harmonieuse de ces rues où l’on trouve à tout à la fois le côté enchanteur de certaines maisons marqués par los azulejos et les céramiques avec les tablaos flamencos, les bars et le singulier mercadillo près du célèbre pont qui relie le quartier populaire au centre de la cité. Les quartiers bourgeois, les palais des grandes familles, les magnifiques monuments surmontés par le clocher de la Giralda, ancien minaret hispano-mauresque rattaché à la monumentale cathédrale Notre-Dame construite au XVème siècle. Je marchais seul dans la rue silencieuse et je me suis pris à imaginer ce quartier dont l’histoire artistique est marquée par les toreros majeurs : Gitanilla de Triana, les Chicuelo, Cagancho, Juan Belmonte, créateur de la corrida moderne, sans oublier Emilio Muñoz ; et de nos jours, les célèbres chanteurs de la période moderne, les rockeurs du groupe Triana (Abre la Puerta) sans oublier le classique flamenco Naranjito de Triana et les Gypsies flamencos.
La douceur de ce quartier et de la ville me rappelle une autre grande cité près du grand fleuve du Mississippi aux États-Unis : New Orléans ou La Nouvelle Orléans créée par les colons français au XVIIIème siècle, imprégnée par de nombreux artistes tant dans la littérature que dans la musique. Cette promenade m’a rappelé l’historique chanteur trompettiste Louis Amstrong (Satchmo) qui fit connaître son talent dans le monde entier. Je m’imaginais entendre son interprétation avec sa voix si particulière du fameux negro spiritual qui, étrangement, m’a ramené à la tauromachie sévillane, à la Real Maestranza et à la Porte du Prince.

Oh when the saints go marching in
Oh when the saints go marching in
Oh Lord, how I want to be in that number
Oh when the Saints go marching in

Oh, quand les saints entreront en marchant,
Oh, quand les saints entreront en marchant,
Oh, Seigneur, je veux être du nombre
Oh, quand les saints entreront en marchant.

Le chant de cet hymne gospel a été transformé par l’interprétation exceptionnelle de Louis Amstrong comme celle de « What a wonderful world » (quel monde merveilleux).

Cette flânerie me ramena sur terre quand j’aperçus la statue de la Musicienne Flamenca du Pont Isabelle (Pont de Triana) et le monument à Juan Belmonte (El Pasmo de Triana). Franchissant le pont, nous entrons sur l’autre rive plus bruyante et agitée qui nous attend avec la Plaza de la Maestranza qui est le but de ma présence à Séville pour la fameuse Feria d’avril. Cet évènement majeur de la saison, tant économique que festif pour la capitale andalouse, accentue encore plus la différence entre Triana et le reste de la cité comme les abords de la Cathédrale, le Barrio de Santa Cruz, l’Alcazar, l’Hôtel Colon et les casetas du campo de feria. Cette année, l’empresa et l’aficion étaient satisfaites de retrouver leur vraie feria, aux dates habituelles de la Primavera après la réouverture officielle des festivités, notamment des férias taurines qui avaient tant souffert en 2021.

L’indisponibilité d’Emilio de Justo, après son impressionnante cojida du 10 avril à l’estocade du Pallares, premier de sa corrida à Madrid contre six toros de ganaderias différentes, a marqué ce début de feria. Les fractures des vertèbres cervicales vont l’écarter de l’actualité alors qu’une temporada importante l’attendait suite à ses succès de 2021.

La substitution de Séville fut finalement euphorique pour le public sévillan puisqu’elle a permis de voir triompher son remplaçant Daniel Luque qui coupa 3 oreilles avec sa première sortie par la Porte du Prince. Nous remarquerons particulièrement sa première faena devant un grand toro de Victoriano del Rio bien complétée devant son deuxième Alcurrucen. Même si cela n’enlève rien à ce grand succès qui marque la carrière de Luque, il faut noter que le public de la Maestranza est devenu bondadoso vis-à-vis des toreros dans la pétition des trophées. Cette feria a enregistré les sorties triomphales de Luque, Guillermo Hermoso de Mendoza, l’étonnant jeune toledano Tomas Rufo et El Juli. Par contre, le Président volera le succès de Roca Rey en enlevant une oreille à son 2ème toro. Le toujours jeune Andrès, qui vit à Gerena comme Luque et Escribano, n’est peut-être pas assez sévillan ou bien le Président voulait-il rattraper certaines oreilles antérieures que l’on pouvait discuter ? J’ai été surpris par l’actuation du Juli devant ses toros préférés de Garcigrande. Julian n’a pas toujours répondu à l’attente des aficionados ces derniers temps. Le public était venu pour voir deux des toreros préférés de la Maestranza, Jose Maria Manzanares et Pablo Aguado. Avant le paseo, j’ai aperçu sur son visage une concentration et une marque de volonté inhabituelles alors qu’après 25 ans d’alternative au plus haut niveau il paraissait avoir perdu son ambition. Ses deux concurrents ont paru tellement impressionnés par sa première faena qu’ils ont paru décontenancés dans des interprétations banales, sans imagination et hésitantes par moment. La qualité inférieure de leurs toros n’explique pas tout.

Quand on voit les photos de sa sortie par la Porte du Prince ave son visage illuminé, on comprend l’importance de ce succès dans la carrière des matadors de toros (le 6ème pour El Juli). Cette envie que nous rappelle cet extrait du chant d’Amstrong « Je veux être de ce nombre – I want to be in that number ».

La corrida n’est pas une activité banale. C’est un évènement où la passion et l’émotion sont prépondérantes. Certes, il a fallu créer un règlement pour éviter les dérives. Il faut le respecter mais comment un président de corrida peut, à Séville, priver Andrès d’une oreille méritée aux yeux de la grande majorité des spécialistes, le dépossédant d’un succès majeur avec une pétition unanime comme, à moindre titre, le 2ème du 5ème Miura de Manuel Escribano, avec une pétition très largement majoritaire. Les défenseurs du pouvoir incontestable et du respect imposé de la décision du président ne m’empêchent pas de penser que d’autres éléments ont un rôle prépondérant dans ces décisions que je juge abusives. J’ai présidé trois ans, sans le moindre incident, les corridas aux arènes de Béziers et j’ai laissé parfois mes sentiments et mon aficion orienter ma décision (sauf pour la première oreille demandée majoritairement par le public) lorsqu’elle paraissait méritée dans l’esprit.

La Plaza n’est pas un tribunal et le président a pour mission de maintenir l’ordre et de récompenser plus que de condamner. N’oublions pas que la corrida, même dans une plaza de 1ère catégorie, est une fête du toro et de son combat avec l’homme qui l’affronte. Nous devons être exigeants sur la défense de l’intégrité de la corrida mais je pense que nous devons aussi lui conserver son esprit festif et sensible et pas inquisiteur. Je n’ai jamais été un admirateur béat des maestros. Je sais apprécier leur comportement lorsqu’ils donnent, en plus de leur technique, un engagement physique et mental pour triompher devant un public connaisseur et sans à priori. Les échecs sincères à l’épée ont toujours existé. Ils ne doivent pas effacer des faenas importantes. Le public, par ses attitudes, doit savoir démontrer au maestro déçu ou même abattu après tous ses efforts, sa reconnaissance. Ce fut le cas dernièrement d’Andrès Roca Rey à Séville le 6 mai et d’El Juli à Madrid ce 11 mai 2022.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 106 – 2022

éditorial fevrier 2022

« LOS CALIFAS DE CORDOBA»

L’Andalousie est considérée par la majorité des aficionados européens comme la zone de prédilection du toro bravo et de la corrida sur le vieux continent. Séville est la capitale de la Province et de la Communauté Autonome Andalouse, tant pour son importance administrative et politique des zones urbanisées de la basse plaine du Guadalquivir, que pour la richesse de son agriculture, ses riches territoires touristiques, notamment des rivages océaniques. Si de nos jours, cette préséance indéniable a apporté à la capitale Bética beaucoup de prérogatives sur toutes les autres capitales provinciales d’Andalousie, on ne peut nier le prestige des autres territoires majeurs maritimes, Cadiz et Malaga. De même, les cités de Cordoue et Grenade qui ont connu l’influence maure pendant leur occupation de l’Espagne du Sud, ont gardé les traces indélébiles de la culture hispano-mauresque démontrant la richesse économique et culturelle de ces régions pendant plusieurs siècles, se prolongeant pendant la Reconquista majeure du XIIIème siècle à partir de la victoire de las Navas de Tolosa en 1212. Cette époque luxuriante pour Cordoue est reconnue par tous les spécialistes, notamment par le classement du centre historique au patrimoine mondial de l’UNESCO. La devise espagnole de la ville Casa de guerrera gente y de sabiduria clara fuente (Demeure d’une guerrière population et de sagesse claire fontaine) exprime tout à la fois la capacité de lutter de cette cité et la richesse de ses penseurs historiques dont les philosophes d’origine romaine Sénèque et Lucain et les penseurs du monde arabe, Averroès et Maimonide. Cela sous-entend Cordoue comme une cité plus austère que Séville. On rattache à Séville dans l’expression de sa culture et de sa tauromachie, un caractère plus facile, plus léger malgré son imposante Semaine Sainte. L’aficion taurine marquée par l’histoire et les toreros historiques du XIXème siècle, décida de décerner le titre honoraire de CALIFE à des toreros exceptionnels cordouans de naissance, marqués par une carrière hors du commun. Ils ont fait l’histoire de cette terre en souvenir du Royaume Maure de Cordoue et dans le monde taurin. Il est vrai qu’ils ont marqué leur époque :

1er Calife de Cordoue : Lagartijo (1841-1900)

Comme de nombreux toreros des XVIIIème et XIXème siècles, il commença sa carrière comme subalterne de cuadrilla. Il fait remarquer son élégance unique et sa perfection artistique. Torero complet, admirable à la cape, inégalé aux banderilles, à la fois dominateur et artiste avec la muleta. On remarqua avec sa cape, sa larga cordobesa pour conclure les séries en s’éloignant lentement avec la cape sur l’épaule. Son point faible resta son coup d’épée même si sa media lagartijera placée dans le haut du garrot était efficace. Elle est utilisée parfois encore de nos jours. Il commença sa carrière dans les cuadrillas infantiles avant de passer par toutes les étapes de la profession jusqu’à son alternative à 24 ans. Matador de toros pendant 28 ans, il participa à 1632 corridas et tua plus de 4500 toros. Il était admiré par ses compagnons de cartel, notamment Frascuelo, le torero de Grenade ou son compatriote le jeune Guerrita qui déclara : on est payé du prix de sa place à le voir seulement au paseo. Son surnom de Lagartijo (petit lézard) correspondait certainement à une habileté supérieure.

2ème Calife : Rafael Guerra Guerrita (1862-1941)

Son nom est inséparable de l’histoire des toreros originaires de Cordoue. Son père étant concierge des abattoirs, il commence très jeune dans des capeas et continue comme subalterne de matadors. Banderillero extraordinaire, il débute dans les cuadrillas de figuras historiques : Fernando El Gallo et Lagartijo qui l’appréciait pour ses actuations dans le ruedo. C’était la représentation idéale du torero largo qui dominait toutes les suertes avec aisance et sa connaissance des bêtes. Maître incontesté de la tauromachie de 1888 à 1899, sa carrière va être marquée de triomphes importants. Comme souvent, cette supériorité qu’il affichait, commença à lui apporter l’hostilité d’une partie du public au point qu’il décida tout à coup de se couper la coleta. Il déclara ce jour-là en 1899 : Je ne m’en vais pas des toros, on me chasse.

3ème Calife : Rafael Gonzalez Machaquito (1880-1955)

L’arrêt inattendu de Guerrita laissa un vide et en l’absence de figuras, le jeune cordouan employé des abattoirs va démontrer un courage exceptionnel affrontant les toros les plus forts. Les empresas compensèrent la période artistique défaillante par le combat exceptionnel du Cordouan qui réduisait les toros les plus violents dans des corps à corps impressionnants qu’il concluait par des estocades spectaculaires en se jetant sur les cornes. Il sut maintenir ce comportement et cette émotion pendant les treize années de sa carrière (temporada 1904 : 100 corridas). Il se retira en 1913 après avoir donné l’alternative à Juan Belmonte.
Son nom reste toujours à la mode grâce à la marque fameuse d’un anis sec imprimée de la photo du Maestro.

Nous arrivons dans une autre génération née au début du XXème siècle :

4ème Calife : Manuel Rodriguez (1917-1947).

Il porte l’apodo de MANOLETE comme son père et son grand-père et issu d’une famille de toreros dans une situation précaire après le décès du père et de ses oncles dans le ruedo. Comme les jeunes du quartier, il jouait dans les arènes et fit partie rapidement d’une troupe de toreros comiques. Sa rencontre avec son futur apoderado, Jose Flores Camara, aura un rôle majeur dans son comportement dans le ruedo. Nous sommes en pleine guerre civile en Espagne qui traverse des années agitées depuis 1936 avec la création de la République Espagnole. Ancien matador cordouan lui aussi, Pepe Camara va profiter de la période particulière que vit l’Espagne divisée, pour faire évoluer le toreo du jeune Manolete vers le spectaculaire que paraît suivre le goût général du public. Dès que les arènes ouvrent, il constate que le résultat est supérieur à ses espérances puisqu’il remplit les gradins. Après son alternative à Barcelone, la confirmation en octobre 1940 à Madrid est triomphale. Dès 1943, Manolete est le premier à l’escalafon. Contrairement à ses prédécesseurs Lagartijo et Guerrita qui se caractérisèrent par une tauromachie élégante, parfaite dans toutes les suertes, même en banderilles, qualifiée de l’adjectif largo, Manolete se distingue par un répertoire corto, avec une émotion unique dans sa faena de muleta. Ce n’est pas une appréciation qualitative mais technique pour son répertoire. Son admirable courage lui apportait la force morale d’attendre la charge des toros jusqu’à la limite du possible, certains parleront de l’impossible !!! C’est un changement total dans l’évolution du toreo que le sévillan Belmonte avait devancée par son toreo ferme, recevant la charge. Manolete lui, par une marche anticipée en direction de la corne contraire, oriente d’avance la trajectoire du toro. Quand le toro ne chargeait pas, Manolete marchait littéralement sur lui, se positionnant à la pointe de la corne pour déclencher l’attaque du toro. Il ne faut pas négliger l’interprétation artistique exceptionnelle, le corps droit, le geste lent, la gravité de son visage et sa sérénité austère et héroïque. La mort tragique de Manolete suite à la cornada du Miura Islero dans les arènes de Linarès, va créer une onde de choc énorme en Espagne et au Mexique. Même si le torero de Cordoba n’a jamais toréé en France à cause de la guerre civile, de la deuxième guerre mondiale et de la fermeture des frontières par Franco, il est admiré par l’aficion française auprès de laquelle il conserve un impact spécial. A partir du 8 juillet, Béziers et l’Union Taurine Biterroise vont honorer, au Musée Taurin, le 75ème anniversaire de sa mort par l’exposition Soñando de un sueño soñe du sculpteur madrilène Jose Puente Jerez.

5ème Calife : Manuel Benitez El Cordobès (1936)

Il naît dans la province de Cordoue à Palma del Rio. Orphelin de père et de mère, il est élevé par sa sœur Angela. Il est passionné par le combat avec les jeunes toros dans le campo, de nuit (furtif) mais il est confronté à beaucoup de problèmes pour toréer au point de sauter dans le ruedo, espontaneo. Sa rencontre avec Rafael Sanchez El Pipo lui permet de faire ses débuts avec picador à Cordoue le 7 août 1960. Le public est étonné par son courage inattendu, incroyable… malgré plusieurs volteretas. Le Pipo est surpris par la réaction des aficionados et investit dans une grande campagne de communication et publicitaire qui a des effets importants et rapides dans toute l’Espagne. El Cordobès attire aux arènes un public populaire dès son alternative en 1963 à Cordoue confirmée en 1964 à Madrid. L’engouement des cordouans pour la corrida a fait naître les nouvelles arènes El Coso de los Califas avec une capacité de 17000 places qui fut inaugurée par El Cordobès en 1965. Manuel Benitez Perez a inventé un style totalement différent de celui de ses 4 célèbres prédécesseurs cordouans. Peu présent à la cape, il va étonner avec la muleta par des passes surprenantes et personnelles basées sur ses qualités physiques et une grande capacité de flexibilité de ceinture qui va lui permettre un toreo spectaculaire avec le liant de ses passes de muleta. Son comportement dans la lidia le distingue de ces « ancêtres » où la maîtrise était prioritaire. Il apporte une sensation de tremendisme avec ses attitudes typiques qui portent sur le public. Manuel Benitez El Cordobès a marqué cette époque. Il fut le premier à recevoir le titre de Calife du Toreo de son vivant, tant son impact fut important sur l’ensemble de la population. L’attribution de ce titre honoraire et prestigieux fut l’objet de critiques de la part des aficionados puristes qui ne retrouvaient pas le style de l’andaloucisme cordouan, marque de fabrique des toreros déjà revêtus du titre de Calife del Toreo.
Depuis le début des années 70 qui vit l’arrêt réel de la carrière d’El Cordobès (malgré des reprises intermittentes), Cordoue n’a pas connu de torero avec le même impact, le même caractère typique, avec ce style d’andalous des hautes terres plus rudes que ceux de Séville et de Jerez. Ils correspondaient bien au titre symbolique qui leur fut attribué.
Cependant, au début des années 90, Juan Serrano Finito de Cordoba, descendant d’une famille du campo cordouan, prit une alternative massive à Cordoue. Je me rappelle ses seguidores qui venaient le soutenir à la Real Maestranza de Sevilla. Il marqua l’aficion dès son début en novillero par la qualité de sa tauromachie, son temple et la classe de sa fameuse main droite. Les premières années de sa carrière ont déchaîné une passion exacerbée chez ses compatriotes qui voyaient en lui le nouveau Calife. Finito fut un excellent torero dont la finesse, comme le dit son apodo, lui permit de grandes tardes (premier de l’escalafon en 2001 et 2002 avec plus de 100 corridas). Sa carrière est marquée par de nombreux indultos adaptés à son style face à des toros braves et nobles. Malheureusement, Finito de Cordoba, torero élégant dans le ruedo jusqu’à ses trajes de tercio pelo (habits de velours), n’avait peut-être pas le caractère endurci des porteurs du titre célèbre.
Quelques temps après, un jeune cordouan intéresse l’aficion par son style classique. Jose Luis Moreno se présente comme novillero à Madrid en 1995 et prend son alternative en 1996 à Cordoue avec Enrique Ponce comme parrain et Finito de Cordoba comme témoin. Cartelazo ! Il commence sa carrière brillamment et intéressait aussi bien l’aficion que le monde professionnel. Fin 2001 il totalisait 160 corridas. Jose Luis Moreno ne put confirmer à son niveau des qualités indéniables qu’avaient remarquées les aficionados classiques. Il est pourtant sorti 7 fois en triomphe du Coso de los Califas (arènes de 1ère catégorie).

Les cinq personnages extraordinaires, détenteurs du titre honorifique de Califa de Cordoba, ont démontré dans leur vie un comportement extrême. Leur personnalité est attachée au territoire qui les a vu naître où les civilisations après des siècles d’affrontements, ont su créer ce caractère cordouan si particulier.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 105 – Février 2022

éditorial janvier 2022

« El Toreo es de brazos no de pies»

Cette déclaration attribuée à Pedro Romero, torero historique né en 1754 à Ronda, représente parfaitement le début de la tauromachie moderne où l’homme va affronter à pied dans un ruedo, le toro sauvage des terres andalouses. Il était le fils de Francisco Romero né en 1720, considéré comme un des premiers de ces hommes à faire partie de cette tauromachie qui apparut après l’arrêt de la corrida à cheval que pratiquait la noblesse espagnole pour affronter et tuer le toro à la lance. Cette pratique eut un coup d’arrêt brutal après l’interdiction au début du XVIIIème siècle par le Roi Philippe V, Bourbon d’origine française. Après cette prohibition, certains anciens peones des chevaliers, appuyés par la volonté du peuple, décidèrent de maintenir ce combat similaire à pied sous une forme plus proche de ses origines millénaires. Lorsqu’on essaye d’imaginer ce que devait être le comportement de l’homme chargé de tuer le toro, on comprend pourquoi Pedro Romero a pu affirmer la nécessité de n’utiliser que les bras. Cet homme exceptionnel devait s’approcher, avec le minimum de mouvements de son corps, muni d’une épée et d’une muleta simpliste enroulée autour d’un support en bois pour attirer ou dévier le toro de la main gauche, alors qu’il devait maintenir la main droite très ferme pour exécuter l’estocade, le plus souvent à recibir. La corrida a évolué progressivement pour permettre au torero, aidé au préalable par le combat sauvage et héroïque du piquero sur un cheval dépourvu de protection, d’apporter une expression artistique avec la cape. Il pensait progressivement satisfaire son esprit créatif et attirer ainsi plus de spectateurs vers ce nouveau combat d’un homme face au toro. Lorsque Pedro Romero ajoute sin valor, para ver llegar el toro no hay nadie que ejecuta bien las suertes – sans courage pour voir arriver le toro, il n’y a personne qui puisse bien exécuter les suertes.

On comprend que le torero ne limite pas ses actions à porter l’estocade pour essayer de déplacer le toro sur des trajectoires maîtrisables. Il est évident que, sans courage, le torero ne peut, pour dominer ses propres gestes et les allures de son corps, détourner ou esquiver le toro. La lecture de certains ouvrages anciens nous confirme que le torero devait s’entraîner à exécuter toutes ces actions et ses attitudes. Si nous ne pouvons que confirmer la nécessité du courage du torero, on ne peut se limiter à une générosité héroïque qui serait suicidaire. Ce courage doit lui permettre de maîtriser la charge, de la conduire et de l’adoucir, de la templer . Quand on examine la carrière de Pedro Romero, on comprend facilement son insistance sur le rôle du courage. A son époque, le métier de torero consistait à diriger l’ensemble du combat avant de mettre à mort avec l’épée et l’aide de son palliatif de muleta. Le courage était sans aucun doute sa principale vertu, lui dont on dit qu’il avait tué plus de 5000 toros dans sa carrière ! Il est vrai qu’il tua son premier toro adulte à 17 ans pour terminer officiellement à 45 ans, sans oublier plusieurs réapparitions. Cette expérience, reconnue de tous, lui permit de diriger l’Ecole Royale de Tauromachie de Séville en 1830.

Si je ne puis revendiquer la moindre expérience de toréer, j’ai assisté, tant au campo dans les tientas que dans les becerradas, au début de jeunes toreros accompagnés d’anciens maestros expérimentés. J’ai vu de jeunes débutants améliorer leur technique et accepter progressivement la charge symbolique du toro de salon et garder leur maîtrise grâce à leur capacité de toréer les becerras alors qu’à leur début presque tous se les renvoyaient dessus par réflexe naturel de protection.

Deux toreros historiques de la tauromachie sévillane ont démontré un courage de référence dans leur carrière avec une technique différente. Ils ont laissé dans leur histoire un souvenir inoubliable :

– le torero prestigieux qui, à mes yeux, se rapprochait le plus des ancêtres du toreo, est Juan Belmonte né en 1892 sur les bords du Guadalquivir qui a eu une longue époque d’apprentissage à la tauromachie. Il s’est forgé un toreo basé sur l’immobilité des jambes dans toutes les suertes en les maintenant près du toro. Il faut dire qu’il avait surtout un répertoire de muletero. Sa technique s’appuyait sur une utilisation maximale de ses bras et un temple qui lui permettait de maintenir le toro et de le conduire près de son corps. Je ne vais pas décrire l’exécution personnelle de toutes ses suertes qui sont restées dans l’histoire. Nous disposons, heureusement, de quelques images qui marquent ce style si particulier. Il a évolué avant d’arriver à la quintessence de cette magnifique mais exigeante tauromachie. Il fallait cette maîtrise, faite de classe et d’entrega, pour pouvoir entrer en competencia avec Joselito qui prit l’alternative à 17 ans et étonna tout de suite le public qui a vu ce gamin montrer plus de savoir que ses aînés alors qu’il réclamait des bêtes respectables qui faisaient ressortir sa précoce maîtrise.

– Jose Gomez Gallito « Joselito », était déjà connu dans les tientas et fit son premier spectacle à 13 ans vêtu de l’habit de lumières. Sa tauromachie est opposée à la déclaration initiale de Pedro Romero. Il a une connaissance exceptionnelle des toros, qu’il a forgée dans toutes les fincas andalouses, ajoutée à des qualités physiques et esthétiques uniques. Joselito surclasse rapidement tous les toreros de son époque jusqu’à l’apparition en 1913 de Juan Belmonte. Le torero de Triana a un style complètement différent avec sa tauromachie ferme statique mais émotionnelle alors que Joselito torero largo par excellence avait un répertoire important dans tous les tercios. N’oublions pas ces banderilles que lui permettaient sa connaissance des toros et ses capacités physiques hors du commun. Le surdoué Joselito et la tauromachie extraordinairement émouvante de Belmonte, vont créer cette concurrence entre ces deux jeunes prodiges qui au lieu de les séparer, va les rapprocher en les poussant à l’excellence, dans leur style si différent mais tout autant authentique face aux toros imprévisibles de l’époque.

On peut dire que les toreros actuels avec leur précision, leur temple, toréent mieux que jamais. Mais reconnaissons que les toros actuels sont différents qu’au début du XXème siècle avec des comportements plus inattendus d’autant plus qu’il existait beaucoup plus d’encastes. Certes, de nos jours, dans les arènes de première catégorie, les toros ont plus de trapio mais leur comportement est plus standardisé par l’invasion des Veragua Domecq. La technique des toreros actuels est travaillée au millimètre, tant au niveau des bras, du poignet, de la ceinture et des déplacements des jambes qui les positionnent dans des conditions idéales, travaillées pour des séries puissantes templées et des remates spectaculaires. Il est certain que les déclarations de Pedro Romero correspondaient parfaitement à son époque. Je pense que la confiance apportée progressivement, tant par le travail permanent au campo que par les répétitions du toreo de salon ajoutés à la détermination, a permis au torero de s’approcher encore plus pour maîtriser son estocade.

De nos jours, dans le ruedo, l’efficacité du déplacement millimétré du torero – pour se croiser, citer les toros sur l’œil contraire, maîtriser la jambe de sortie – lui permettent de se repositionner pour lier les séries. Il est évident que sans sa bravoure, même devant un toro plus brave et plus noble, cette maîtrise des suertes est impossible. Certes, l’habileté et la technique du torero pour tromper le toro sont essentielles tant qu’elles n’enlèvent pas la sincérité qui apporte d’autant plus d’émotion que sa vaillance permet la domination du toro bravo.

J’aurais pu vous proposer d’autres toreros qui ont fait face à l’agressivité et à la force de ce toro bravo. Nous en connaissons même qui l’ont fait en maintenant l’authenticité de ce combat tout en lui en lui apportant leur personnalité. Les déclarations prémonitoires de Pedro Romero sur les principes du toreo, ont été confirmées par la nécessité de base de tuer le toro en faisant appel à ces vertus. Il ne pouvait pas prévoir que des Maestros, grâce à leur confiance, apportent autant à la tauromachie en profitant pendant près de 3 siècles, de l’évolution de la bravoure du toro.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 104 – Janvier 2022

ÉDITORIAL DÉCEMBRE 2021

« SALUT, SALUT, ÇA FAIT LONGTEMPS QU’ON SE CONNAÎT »

Ces premiers jours de la nouvelle année me laissent nostalgique de notre passé. J’écoutais Michel Sardou dans son succès symbolique SALUT, dans lequel je retrouve des sensations qui me sont propres dans un monde qui me laisse toujours plus circonspect, avec un horizon incertain. Comme lui, je vous lance ce cri :
SALUT, SALUT
Je suis venu vous dire Salut
Et puis merci d’être venu (de m’avoir lu)
Une autre année, un autre endroit
Adieu jusqu’à la prochaine fois
SALUT
J’ai choisi cette strophe de Sardou sur la fin de sa carrière où l’on retrouve la mélancolie du contact avec ses fidèles. Elle me parait correspondre à mon état d’esprit nostalgique dans ces moments traditionnels qui auraient du apporter tant d’illusions au début d’une nouvelle année.
Je n’y arrive pas même si vous savez que je suis toujours prêt à me battre pour mes idées. Je pense avoir tout dit depuis longtemps et les lumières que j’attends ne s’allument pas. Heureusement, j’en ai gardé une pour moi précieusement. De nos jours, il ne vaut mieux pas parler de ceux qui nous gouvernent. Je ne puis que dire qu’ils me désolent. J’ai toujours évité de mêler notre association aux guerres politiques pour garder notre indépendance. Vous me direz arrête de pleurer ! Nous t’avons connu plus vaillant. Certes, les conséquences des conditions sanitaires sont en partie à l’origine de mon blues, surtout quand la majorité du peuple taurin reste en place dans les plazas majeures, avec leur immobilisme classique. Nous pouvons démontrer que ce combat né depuis l’Antiquité entre l’Homme et le Taureau sauvage ne peut s’éteindre par la volonté de certains nouveaux penseurs sous des prétextes divers incohérents qui vont de motifs politiques à des discours inadaptés d’écologistes et de végans. Cet affrontement avec le taureau a évolué depuis près de 2000 ans quand des hommes exceptionnels ont voulu dans les terres du sud, affronter en public cet animal puissant et agressif qu’il avait appris à admirer dans des combats pour sa vie et la subsistance de son groupe. J’estime que la corrida a encore un avenir si les hommes qui la dirigent, les pouvoirs publics, les associations d’aficionados, les organisateurs, les éleveurs, savent lui maintenir son intégrité. Quand je vois le jeune Marco Perez (12 ans) sortir en triomphe sur les épaules de César Rincon à Manizales, je peux dire les toreros eux seront là comme dans les écoles taurines.

En France, j’en appelle aux élus de nos villes taurines. Même s’ils font appel à des organisateurs professionnels, ils doivent s’appuyer localement sur des aficionados connaisseurs et intègres qui aiment leur ville et la tradition qui a marqué l’histoire de leur cité depuis près de 200 ans. Le grand aficionado Claude Pelletier a su écrire dans son « Histoire des arènes de Bayonne », que la participation active de l’aficion locale est indispensable, tant pour concevoir des corridas adaptées à leur ville que pour la défense de leur intégrité. Il savait de quoi il parlait. Les villes de Dax, Céret, Vic et Bayonne ont déjà annoncé le choix de leurs toros et même certains cartels pour 2022. La présence des aficionados est encore plus nécessaire aujourd’hui pour faire pression sur les empresarios qui sont devenus souvent des apoderados de toreros. Vous avez certainement remarqué qu’ils utilisent les échanges avec d’autres professionnels pour compléter les cartels, même si ces accords mercantiles donnent souvent des résultats décevants, tant pour l’image des arènes que pour le déroulement et le succès des corridas. Ils utilisent trop souvent nos arènes pour faciliter leurs négoces, toros et toreros. Je fais une exception pour le grand Manolo Chopera disparu il y a 20 ans. Il savait organiser, dans ses intérêts professionnels, tout en pensant aux arènes et aux aficionados locaux. Certaines municipalités n’ont pas manqué de sanctionner les commissions taurines et leurs collaborateurs professionnels défaillants pour défendre l’image de leurs arènes et la vérité de leurs racines.

Pouvons-nous rêver d’un retour à la normale après les élections des mois d’avril et juin prochains ? Cette année, les organisateurs disposent d’un choix important de toros et de toreros pour nous faire revivre des moments passionnants. Ils n’auront pas d’excuses. Je suis surtout inquiet pour tous ces jeunes novilleros qui ont si peu toréé depuis près de 3 ans. On peut considérer qu’il y aura cette année sur le marché, trois générations de ces jeunes méritoires et passionnés.

Carlos OLSINA

Nous connaissons bien chez nous les cas de Carlos Olsina et du Chiclanero-Biterrois Christian Parejo qui a été blessé au moment de sa préparation mexicaine et de ses débuts intéressants en Espagne.

Christian PAREJO

Il a perdu plus de 10 novilladas avec picador qui lui faisaient espérer une temporada décisive pour son avenir immédiat. Il est indispensable que ces jeunes passionnés soient restés confiants pour obtenir une alternative avant la fin de l’année ou même au début 2023. Je n’en reste pas moins soucieux.

Notre Union Taurine Biterroise prépare de son côté une temporada de qualité, tant au Musée Taurin qu’au campo avec un projet de déplacement prestigieux en Espagne. Je laisse à la présidente le soin de vous la présenter dans le détail lors de notre prochaine assemblée générale. Vous devez penser que j’ai déjà retrouvé la flamme de mon aficion. En fait, je garde confiance tout en étant lucide, car j’ai vécu tant de joies mais aussi tant d’histoires douloureuses dans la vie de nos arènes et de nos associations d’aficionados biterrois depuis plus de 50 ans. C’est dans cet esprit que je nous souhaite à tous une temporada 2022 excellente.

Je rêve après toutes ces années car je pense encore à nos folles organisations passées mais aussi à nos propres désillusions. Nous avons su y faire face en maintenant le patrimoine légué par nos anciens que nous avons su conforter et mettre en valeur. Restez déterminés comme Sardou qui a su résister tout au long de sa carrière au comportement injuste à son égard de l’intelligentsia. Il a su faire face avec succès, persévérant dans ses adieux sans écouter les sirènes de la facilité.
Comme lui, je vous dis : SALUT
Et même si on ne s’est pas toujours compris
Restons unis pour défendre nos acquis
SALUT, SALUT

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 103 – Décembre 2021

ÉDITORIAL SEPTEMBRE 2021

ENTRE LA GIRALDA ET LA TORRE DEL ORO

Séville avait dû annuler sa Feria d’avril 2021 pour cause de pandémie. L’empresa Pagès a porté ses efforts sur sa Feria de San Miguel en organisant 14 spectacles de qualité, dont une novillada piquée, entre le 18 septembre et le 3 octobre. Si l’on se réfère aux commentaires des professionnels et de la presse, il est regrettable que certains ganaderos aient envoyé des lots préparés pour la feria d’avril avec des toros de plus de 5 ans. Outre le fait que certains avaient près de 6 ans, le trapio, tant en masse musculaire que leur structure, était excessif avec un poids dépassant les 600 kg pour des toros de l’encaste Domecq, en particulier les Santiago Domecq et les Fuente Ymbro. Combien de toros de la majorité des encastes actuels supportant 630 kg avec deux vueltas du ruedo à sa sortie, deux puyazos, 50 capotazos, 3 paires de banderilles peuvent maintenir leur fond de race pendant la faena de muleta ?

Plusieurs toreros ont pu exprimer le fond de qualité espéré de certains toros, habituel dans le toro de Séville bien connu des aficionados de la Real Maestranza. Ma disponibilité et mon envie de retrouver Séville et cette ambiance si spéciale de la Plaza des bords du Guadalquivir où je fus abonné pendant 10 ans, m’ont amené à cette feria atypique. Les succès populaires concernaient surtout les fines de semanas notamment le vendredi 1er octobre et surtout les 2 et 3 octobre qui clôturaient la San Miguel 2021 avec la double présence de Morante. Par contre, les corridas de la semaine ont été contrariées, malgré la qualité des cartels, par l’absence des festivités et de l’ambiance de la rue. J’ai pu assister aux 5 dernières corridas qui m’ont inspiré ces 3 titres représentatifs de ces personnages symboliques dans le lieu mythique de la Maestranza :

El Catedratico : la corrida présentée par la famille Matilla (Garcia Jimenez) était certainement par sa présentation sérieuse, la plus harmonieuse de l’encaste Domecq de cette feria. Juli reçut Ateo III, premier de la tarde, avec une précision et une maîtrise qu’il avait un peu abandonnées les années antérieures mais que nous avons retrouvées à plusieurs occasions dans cette temporada atypique. Bien que portant le nom d’Athée, il crut immédiatement au langage exprimé par Julian Lopez pour qu’il l’accompagne durant toute sa faena. Après ses véroniques douces et templées, ses chicuelinas basses et le tercio de pique, Juli le reçut avec sa muleta par une série de doblones exceptionnels par leur douceur, leur lenteur, leur harmonie dans un palmo de terreno (un pouce de terrain). Je n’avais jamais vu une telle interprétation. Sa faena de muleta se poursuivit par des séries droitières lentes marquées par la grâce et l’harmonie qu’il sut reprendre pour conclure la faena après des naturelles plus compliquées. Il se disait dans les couloirs de la Maestranza que Juli se ressentait de douleurs dorsales suite à une forte voltereta à l’entraînement au campo. Malgré ce, le Maestro sut accompagner Ateo III, toro d’une grande qualité, respectant ses charges dans son rythme et sa fluidité. C’est plus difficile à réaliser que la facilité trompeuse peu faire croire à certains. Le public accompagna, avec la musique, la faena par les fameux Olé légers de la Maestranza de Séville. C’était parfait et même son estocade, pourtant souvent critiquée, respecta la qualité de la faena et la qualité du toro. L’oreille demandée et octroyée correspondait parfaitement à l’excellence et à la maîtrise du Maestro. C’était la faena du grand maître en tauromachie qu’il est devenu. A mes yeux, il correspond bien au Catedratico de las Universidades.

Morante, artista genial : la Real Maestranza a vu dans cette San Miguel des moments artistiques notables comme ceux de Jose Maria Manzanares, Andrès Roca Rey, Juan Ortega et Diego Urdiales sur lequel je reviendrai. C’est l’actuation de Morante de la Puebla, face à Jarcio, toro de Juan Pedro Domecq, qui marquera cette feria inhabituelle avec les contraintes sanitaires et les dates réparties sur 3 semaines.
Le torero de la Puebla del Rio a démontré cette année un comportement aux antipodes de sa carrière où trop de tardes médiocres contrariaient des moments brillants. Premier de l’escalafon européen avec plus de 50 corridas, il a accepté des cartels, des élevages, des plazas inhabituels pour lui. De même, après Séville, il a confirmé à plusieurs occasions des moments intéressants, de génialité comme ce dernier 12 octobre à Madrid où il a coupé une grande oreille et le 16 octobre 3 oreilles à la feria de Jaen. La tarde du vendredi 1er octobre restera dans les mémoires de l’aficion andalouse, sans oublier l’aficion française présente à Séville malgré les réservations difficiles pour les cartels des dates fortes. Ceux qui voulaient voir l’Arte de Torear ont vu un artiste unique, génial, à la hauteur des grands maestros andalous de l’histoire : Rafael El Gallo, Juan Belmonte, Pepe Luis Vazquez, Chicuelo, Curro Romero, Rafael de Paula… qui ont marqué l’histoire de la tauromachie.

Je veux distinguer l’Arte de Torear que la majorité des toreros de qualité qui ont affronté le toro bravo ont utilisé et maîtrisé, ce sont les bases dominatrices et esthétiques de ce combat et le Torero Artiste qui démontre une personnalité unique, réalise des gestes inattendus, magnifiques par leur caractère et leur beauté face au toro bravo. Morante ce vendredi 1er octobre était vêtu d’un costume baroque, inesthétique à mes yeux, de couleur rose bonbon avec des broderies d’or et noires. Il m’apparut, ainsi qu’à la majorité du public, que le torero de la plaine sévillane du Guadalquivir avait des intentions majeures. Un premier inutilisable, le 4ème Juan Pedro Domecq Jarcio restait la dernière chance de Morante avant les Miura du dimanche. Il ne laissa pas le public réfléchir. Il se présenta immédiatement à genoux face au toro le long des barrières, pour réaliser un geste taurin dans une arène que personne n’avait vu de nos jours. C’était indescriptible. Il commença apparemment par une larga ( ?) tout en entourant la cape lentement, avec maîtrise, sur le haut de son corps en dessous des épaules. Il répéta cette suerte inconnue, a priori sortie de la saga des Gallo. Le public resta interdit d’autant plus qu’il enchaîna immédiatement par 5 véroniques exceptionnelles en gagnant vers le centre : exceptionnelles de rythme, d’élégance, sans oublier cette puissance qui semble aspirer le toro. Il ne m’est pas possible de vous décrire dans le détail ce moment qui mettait le public en folie qui réagit au quite exceptionnel pour amener le toro au cheval, les mains croisées à la hauteur de la ceinture comme des ciseaux qui s’ouvrent et qui se ferment. Après ces tijerillas et le remate final, la musique joua mais elle fut étouffée par une foule en délire qui exultait debout sur les gradins. Morante réalisa avec la muleta une faena inspirée se positionnant progressivement très près du toro qui le prit pour l’élever, sur la pointe droite dans l’entrejambe, à plus de 2 mètres de haut, heureusement sans conséquence grave. La plaza en folie se tut pour l’exécution d’une bonne estocade entière efficace. L’attribution des 2 oreilles par la présidence était obligatoire, exigée par un public déchaîné. Les aficionados comme enivrés par cette faena, resteront un moment interloqués avant d’acclamer Morante pendant sa vuelta al ruedo avec les deux oreilles. Oui, nous venions de voir un Torero Artiste incomparable par les temps qui courent.

Il est dommage que Pablo Aguado, durement blessé au genou, n’ait pu défendre ses chances. La Feria terminée, il me paraît le seul, dans un style plus classique, à pouvoir s’approcher de la sublime actuation artistique de Morante. Juan Ortega me paraît un peu léger dans cette recherche, même si son exécution des véroniques est parfaite.

Certains me diront, étonnés, que j’oublie de parler du succès de Diego Urdiales. Ce n’est pas le cas mais tout en considérant sa tarde de 2 oreilles comme importante, je préfère qualifier le toreo du riojano de Logroño comme une expression parfaite de l’Art de Torear auquel il manque cette émotion qu’apporte l’exécution artistique de Morante ou dans un autre style, celle de Jose Maria Manzanares. Certains diront qu’il torée avec éducation. Sa tauromachie est reposée, délicate et élégante. Fils spirituel de l’historique Curro Romero, il a retenu chez lui ce toreo vertical, calme et templé, sans l’expression unique du Maître de Camas. Cela correspond plus à un classicisme épuré qu’à une expression artistique éclatante.

Le Spécialiste : le 22 avril 2013, Manuel Escribano, torero sévillan de Gerena, remplaça El Juli blessé pendant la Feria, dans le cartel de la miurada qui la clôturait traditionnellement. Il triompha ce jour-là en coupant les deux oreilles du Miura Datilero. Sa carrière prit ce jour-là un nouveau départ alors qu’il avait vécu 10 années difficiles après son alternative. Les circonstances et les succès l’ont amené souvent à faire face à ces types de corridas dites dures et exigeantes : Miura, Victorino Martin, Adolfo Martin, La Quinta… face auxquels il a subi des blessures graves. Il a connu aussi, heureusement, des triomphes importants, comme celui de l’indulto à Séville de l’excellent Cobradiezmos en 2016 dont il sut mettre en valeur les qualités ainsi que celui du Miura Tahonero, en 2019 à Utrera, premier de l’histoire de l’élevage de Zahariche. Ceux qui ont suivi la termporada 2021 du torero de Gerena savent qu’elle a été satisfaisante qualitativement. Pourtant, malgré l’excellente faena du 26 juin à Madrid devant son deuxième Victorino, limitée abusivement à une oreille après une magnifique estocade sans pinchazo, il n’a pas été répété à Las Ventas. Il n’a pas été invité à toréer dans d’autres arènes de première catégorie (pourquoi ?) tant en Espagne qu’en France, avant celle de clôture de la San Miguel le 3 octobre alternant avec Morante et Pepe Moral.

Le Miura Cuajadito sortit en deuxième position. Escribano le reçoit à Puerta Gayola dans ce ruedo qu’il connaît bien. Il enchaîna directement une très bonne série de véroniques, encouragé par le public sévillan. Il réalisa une faena classique qui permit de mettre en valeur les qualités de Cuajadito qui a obtenu le prix du meilleur toro de la Feria. Sa faena de muleta sur le côté droit, fut excellente sur plusieurs séries conduites avec temple, citant de loin, donnant l’avantage à ce toro bravo. Il utilisa parfaitement cette charge même si le côté gauche était impossible, ce qui fut confirmé par une voltereta sans gravité. La qualité de l’ensemble de la faena et une très bonne estocade lui permirent de couper 2 oreilles exigées par l’ensemble du public. C’était un triomphe mérité dans ces arènes mais il ne put conclure devant le 5ème impossible. Il peut espérer que les succès de Las Ventas et de la Maestranza lui ouvriront à nouveau les portes des arènes, tant en Espagne qu’en France.

Je voulais vous décrire ces évènements qui ont marqué cette San Miguel de l’espoir. Je ne dois pas oublier le triomphe d’Emilio de Justo, devant les Victorino Martin, coupant deux oreilles au quatrième, dans son mano a mano avec Antonio Ferrera, décevant en fin de temporada. N’ayant pas assisté à cette corrida du 23 septembre, je n’ai pu l’ajouter aux autres titres pour les actuations majeures que j’ai pu admirer.
Cela restera pour moi un grand souvenir ajouté à la magie du ruedo sévillan et à la chaleur de son public.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Edito n° 100 – Septembre 2021