ÉDITO – JUILLET 2017

Et pendant ce temps-là, 
La Méditerranée 
Qui se trouve à deux pas 
Joue avec les galets. 

(« La corrida » de Gilbert Bécaud – 1956)

Louis Amade, écrivain et parolier* catalan natif d’Ille sur Têt, proposa ces paroles à Gilbert Bécaud pour sa chanson « La Corrida » qui s’ajouta au répertoire à succès de « Monsieur 100 000 volts », comme celles qu’il écrivit pour lui : Les croix, la ballade des baladins, l’important c’est la rose, les marchés de Provence, l’absent…

En ce mois de juillet je me réjouis des succès de la récente Feria de Céret organisée depuis 1988 par les Aficionados de l’ADAC, qui se réunirent pour le renouveau de leurs arènes. Les arènes de la capitale du Vallespir se sont remplies avec les toros des élevages historiques : Miura, Escolar et Saltillo qui correspondent aux critères des Cérétans. Le mano a mano face aux Escolar vit un bon Robleño malheureux à l’épée et le triomphe d’Alberto Aguilar. Ils maintiennent, avec la novillada concours de Millas, l’aficion dans cette partie française de la Catalogne alors que les élus catalans du Sud, pour montrer leur volonté séparatiste avec l’Espagne, n’ont pas trouvé mieux que d’interdire la corrida. A contrario, c’est avec une profonde tristesse et mélancolie que j’écoute cette chanson car Louis Amade l’écrivit en pensant au symbole des traditionnelles corridas de Collioure (Cotlliure). En effet, la municipalité a décidé « de suspendre temporairement » en 2012 les spectacles taurins. Les vraies raisons répondent à des motifs fonciers et urbanistiques… Les arènes métalliques inaugurées à l’état neuf en juillet 2001 par une corrida mixte organisée avec le cartel : Richard Millian, Sébastien Castella et le rejoneador Alvaro Montes, ont été démontées. Oui, j’ai organisé pendant 6 ans ces spectacles taurins et j’ai conservé un attachement viscéral à la tradition taurine de ce magnifique site de la Côte Vermeille, entre la chaîne des Albères et la Méditerranée. Elle a inspiré l’émotion du poète attaché à l’histoire et à l’origine catalane et latine de ce lieu unique. Quelle image inoubliable de cet ancien port de pêche et de sa magnifique baie abritée par l’église de Notre-Dame des Anges et son fameux clocher, le Château Royal modifié par Vauban et protégée par le château Saint-Elme du 16ème siècle. J’ai fait une première connaissance de Collioure, de ses fêtes et de sa tradition taurine, enfant, dans les années 50 grâce à mon grand-père Andreu qui aimait bien y revenir avec mon père, amoureux de son familial Roussillon catalan, qu’il quitta en 1932 pour venir travailler à Béziers. Quand vous écoutez Louis Amade, chanté par Gilbert Bécaud, vous vous rendez compte que cet homme avait tout compris au mystère de la Corrida, grâce à la tradition taurine de Collioure à laquelle il avait participé plusieurs fois comme on l’imagine devant la vérité et la sensibilité de son texte jointes à l’émotion qui le reliait à la Méditerranée.

C’est l’enchevêtrement de deux monstres qui bougent. 
La lutte a commencé, hissée par les bravos, 
Dans les valses de bonds, de bonds à cape rouge, 
Qui donc est le plus seul de l’Homme ou du Taureau ? 

Et pendant ce temps-là, 
La Méditerranée 
Qui se trouve à deux pas 
Joue avec les galets. 

Cette tradition taurine très ancienne, commença par les jeux taurins et les capeas qu’organisaient les garçons bouchers et la jeunesse colliourenque, avec les toros et les vaches sauvages de la race Negra (nègre en catalan) des Albères appelée race Massanenque qui vivaient sur les hauteurs des monts de la Massane qui surplombent Collioure et Port-Vendres. Il reste actuellement huit cents à mille animaux vivant en semi liberté dont certains s’efforcent de conserver leur race. Ces animaux sont à l’origine de cette tradition. L’histoire dit qu’ils étaient amenés en petits troupeaux par le Rec de Doui (torrent à sec, violent lors des orages) qui se jette dans le port au centre du village et au pied du Château Royal. Ils étaient alors toréés dans des arènes de charrettes et de bois qui s’appuyaient sur les remparts du château. Certains se retrouvaient ensuite aux abattoirs proches. Progressivement, avant 1900 ces arènes de bois, partiellement démontables, se sont inscrites dans la vie et la sociologie locale avec l’organisation de véritables novilladas ou corridas pour les Fêtes d’août (4500 personnes). Elles étaient fameuses pour le platane situé au milieu du ruedo. Brûlées par les Allemands en 1944 et reconstruites en 1946, le premier déplacement des arènes vers les terrains de la gare SNCF en 1960 se fit pour laisser le parking de la place de la mairie s’implanter officiellement.

Après cet échec de 2012, je préfère parler des solutions d’avenir. Il y a toujours de l’espoir si on le souhaite vraiment. Collioure est un lieu magnifique, avec des vues inégalables, qui a abrité des artistes illustres : des peintres historiques de réputation mondiale y ont vécu et travaillé. Matisse et Derain suivis par Braque, Duffy, Chagall et même Picasso ont fréquenté Collioure. Ce fut l’origine de l’aventure Fauve, comme l’aventure Cubiste trouve ses origines dans les terrasses cérétanes.

Tous ces grands artistes ont accepté de vivre dans la culture taurine de Collioure, sans montrer leur dédain ou leur rejet. Nous n’oublierons pas aussi que le grand sculpteur Maillol, natif de la Côte Vermeille (1861) où il résidait souvent entre ses voyages à Paris.

Je m’adresse aux actuels édiles et aficionados Colliourenqs et j’ose leur dire : Si votre port reste un lieu résidentiel magnifique, il ne peut se permettre de perdre ses origines – même les pêcheurs par force sont partis à Port-Vendres et la tradition des fameuses salaisons de Collioure (anchois) n’est plus maintenue que par la volonté de ceux qui s’accrochent à leur métier ancestral. Vous vous devez d’imaginer ou faciliter la création d’un lieu de spectacles multi usages adapté à la corrida et aux jeux taurins. La spéculation immobilière et le règne des parkings ne peuvent être une fin en soi. C’est un DEVOIR pour l’histoire de vos anciens qui a plus de valeur que les cris et les insultes de quelques antis qui, dans leur grande majorité, sont étrangers à votre vie et à votre histoire. Vous êtes restés officiellement VILLE DE TRADITION TAURINE. Confirmez-le par des décisions courageuses et innovantes. Vous ne pouvez rester insensibles à ces textes du poète catalan :

Demain quand sonnera à l’heure catalane, 
Le Midi au soleil éreinté de repos, 
Vous verrez, j’en suis sûr, à l’église romane 
Entrer le matador pour dire son credo, 

Et pendant ce temps-là 
La Méditerranée 
Qui se trouve à deux pas 
Joue avec les galets 

B
écaud changea plus tard le dernier vers de la chanson par « Joue à l’éternité ». Est-ce un présage ?

* Louis AMADE fut aussi haut fonctionnaire de la République et notamment préfet de Versailles.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 51 – juillet 2017