ÉDITORIAL DÉCEMBRE 2016

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120 ANS APRÈS

Ne vous méprenez pas, je n’ai pas l’intention de comparer notre histoire locale, si méritoire soit-elle, aux Vingt Ans Après des héros de l’oeuvre mythique d’Alexandre Dumas. La suite des Trois Mousquetaires reste pour moi la meilleure partie de la Saga écrite par Alexandre Dumas père, tant pour son intrigue politico-romancée que par la partie anglo-saxonne et son tragique Remember de Charles Stuart sur l’échafaud. Certes, nos quatre héros ont perdu la spontanéité qui nous les a fait connaître, mais cette partie de l’œuvre de Dumas est, à mes yeux, encore plus maîtrisée et inventive, comme celle des James Bond. Ils sont devenus plus ingénieux, plus calculateurs que les Mousquetaires de Richelieu et de M. de Treville, sans pour autant voir perdu leur goût du combat et de la prise de risque. Je me rends compte que la référence occasionnelle au titre de l’ouvrage mythique, n’est pas totalement étrangère pour nous à la mise en valeur culturelle des 120 ans de vie associative taurine car ce fut une véritable aventure.
Le chantier des arènes du Plateau de Valras commença dès janvier 1897 après l’incendie des arènes du Terrain Palazy le 6 septembre 1896. Il fallait une volonté exceptionnelle, un enthousiasme inébranlable qui les pousse à se lancer dans un tel chantier, dans un délai si court, peut-être trop court : janvier-juin 1897. Mais ils n’avaient peur de rien. Ils étaient motivés par la même passion de réussir un tel projet : voir des corridas formelles dans un cadre majestueux, pour la première fois à Béziers. Lors d’éditos antérieurs, j’ai fait remarquer le caractère volontaire et passionné de leur action en faveur de ce nouveau mystère qu’était l’affrontement total de l’Homme et du Toro Bravo qui a commencé surtout à partir des années 88 puis a gagné en connaissances à partir des années 90. N’oublions pas que la culture traditionnelle de notre Midi Languedocien avait une ancienneté récente de la corrida et même des jeux taurins, en comparaison des Provençaux, Camarguais et Landais. Et pourtant… Rappelez-vous l’étonnante revue taurine, Le Toreo Illustré, créée à Béziers dès 1893 (voir édito de janvier 2016) où l’on trouve l’érudition et les connaissances des collaborateurs de la revue, tant du Toro Bravo que de son combat, sans oublier la passion des aficionados concepteurs d’un projet si complet dès ses débuts. Il est regrettable que cette aventure ambitieuse n’ait pas duré faute de lecteurs et de financements. Cette qualité est d’autant plus étonnante que jusque là, le public biterrois qui allait aux arènes du quartier des abattoirs, voyait de nombreux spectacles (plus de 15 par ans de 1882 à 1885), avec des cuadrillas françaises du sud-ouest et d’Arles où la lutte avec le toro ne correspondait pas aux critères de la corrida formelle telle que l’avaient codifiée avant 1850 les toreros historiques Cuchares et Francisco Montes. Cela confirme que plusieurs aficionados se déplaçaient à Nîmes où plusieurs corridas authentiques se déroulèrent malgré plusieurs interdictions des pouvoirs publics parisiens, ou même à Barcelone. C’est cette Aficion qui progressivement a voulu implanter à Béziers la corrida authentique.
a-bz Que pensez-vous de nos aficionados de 1896 par rapport aux amateurs de spectacles taurins de 1875 ? Ils avaient déjà beaucoup évolué. Après le tragique incendie de Palazy, ils ont été suffisamment motivés et organisés et toujours aussi passionnés pour obtenir de la Ville les autorisations de construction de nouvelles arènes. La presse locale avait compris que ces gens étaient sérieux, décidés, motivés pour un grand objectif : donner à Béziers un monument digne de leur cité et de la volonté de grandeur de ses habitants autour de ce combat de l’Homme et du Toro, qu’ils avaient appris à connaître et qui les passionnait. N’oublions pas que ce projet n’excluait pas la volonté de faire de ce lieu un autre temple, celui du chant lyrique et les spectacles majestueux qu’il fait naître. Certes, la bourgeoisie viticole était une clientèle pour toutes ces manifestations mais je sais, pour l’avoir écouté de mes grands-parents qui vivaient déjà dans ce quartier, que la population en général était fière de cet édifice monumental, lieu de spectacles et de fête, qui ajoutait à la grandeur de leur ville. Malheureusement, deux évènements catastrophiques vont marquer le début du siècle : la crise viticole et les évènements tragiques de 1907 et l’effroyable guerre de 1914-1918, alors que la deuxième moitié du XIXème siècle leur avait déjà apporté la crise du phylloxéra qui faillit ruiner la ville avant la guerre de 1870. Regardez comment ils sont repartis après 1907 et 1914, comment ils surent terminer cet édifice en ruine en 1920 pour en faire le monument qui se remplit de près de 15 000 spectateurs pour la corrida de reprise du 29 mai 1921. J’ai eu la chance de consulter les archives de ces associations taurines depuis 1920 et de suivre l’action de ces personnages qui ont à la fois maintenu l’édifice et construit l’aficion, qui ont su susciter en son sein cinq présidents de la Fédération des Sociétés Taurines de France pour défendre notre aficion au niveau national, dans des périodes compliquées.

Pour montrer à la fois la passion et le sérieux, j’ai pu constater que quelques semaines après la Libération de Béziers le 22 août 1944, les associations taurines reprenaient vie. Plusieurs spectacles non répertoriés dans les statistiques furent organisés en 1945. Par contre, deux dates majeures pour leur symbolisme sont à retenir :
– la Corrida du 14 juillet 1946 qui enregistra 15 000 entrées payantes ;
– la Corrida du 6 octobre 1946 (Vendanges) qui fut présidée par Georges Bidault, Président du Gouvernement provisoire et par Vincent Auriol, Président de l’Assemblée Nationale Constituante, futur 1er président de la IVème République. Le Général de Gaulle ayant démissionné le 26 janvier, les plus grands personnages de l’État confortaient dans nos arènes l’importance de l’Aficion et de la Corrida dans le Sud de la France. C’était une reconnaissance inimaginable pour notre culture. Nous pouvons considérer que l’Aficion Biterroise a su faire face par le passé et même, renaître de ses cendres quand cela a été nécessaire et vital pour elle. Ne nous plaignons pas de nos temps difficiles, les leurs l’ont été beaucoup plus mais ils étaient animés par la passion et l’ambition (pour leur ville). Ces deux qualités, quand elles sont saines, ajoutées à l’efficacité, sont la base de la réussite.
Après avoir monté la Feria en 1968 pour relancer l’activité de la ville et celle des arènes, Monsieur Jules Faigt comprit que l’efficacité de son initiative viendrait en réunissant les deux clubs taurins historiques mais parfois concurrents :
– la Société Tauromachique (1898)
– le Club Taurin (1923)
Il leur demanda de redynamiser l’aficion en créant l’Union Taurine à qui il restera fidèle jusqu’à la fin. Les débuts furent tâtonnants mais dès 1970 et devant l’immobilisme de l’empresa Aymé, l’Union Taurine prit le risque d’organiser la Novillada des Vendanges avec picadors, devant du bétail andalou d’Albasserada pour compléter la temporada et faire revivre cette date traditionnelle. De 1980 à 1987, le Comité Féria et la Régie des Arènes animés par des  Biterrois, permirent d’impliquer l’Aficion locale et de donner une référence de qualité au niveau du choix et de la présentation des Toros. Le renouveau était lancé pour que nos Arènes se positionnent au plus haut niveau du monde Taurin.
Pour maintenir cette mouvance positive dans l’Aficion, l’Union Taurine créa les Journées Taurines en 1983. Le succès fut indéniable pendant plus de 10 ans, tant au niveau culturel que festif avec la participation des plus grands Toreros et Ganaderos sans oublier l’organisation de plusieurs tientas, novilladas et le Festival bénéfique avec tous les clubs en 1992 et un magnifique lot de Guardiola. Depuis plusieurs années, Christian Coll se dévoue pour maintenir son Gala Taurin avec le club El Mundillo.
La Fédération des Clubs prit la suite pour coordonner l’action des nombreux clubs taurins créés à la fin des années 80. Il me parait indispensable que ces Clubs Fédérés ajoutent à leur rôle d’animation, celui de force de propositions, tant avec la Commission Taurine qu’avec l’Empresa, pour maintenir le contact entre les Aficionados et les clubs comme par le passé ils ont oeuvré pour créer, animer et sauver nos  Arènes. L’Histoire nous rappelle qu’ils ont joué un rôle prépondérant dans cette évolution et que leur motivation a été constructive dans l’intérêt de tous. L’aficion a rempli cette fonction pour nous tous pendant ces 120 ans pour défendre la Corrida et nos Arènes. Je ne puis bien entendu pas les citer tous mais 3 personnages ont joué un rôle majeur dans cette « aventure  » :
– Fernand Castelbon de Beauxhostes qui ajouta, à son rôle irremplaçable dans la création de l’Art Lyrique des Arènes, celui d’être l’initiateur de la création du premier club taurin de Béziers : la Société Tauromachique ;
– Louis Azais, Président de la Société Tauromachique, qui fut vice-président de la première Commission Taurine Municipale présidée par le maire urbaniste, Alphonse Mas ;
– Achille Gailard, Président de la Chambre de Commerce, créateur avec ses amis de la Société Immobilière qui sauvera les arènes en mai 1920 et qui permit sa réouverture officielle le 29 mai 1921 avec les maestros Luis Freg, Saleri II et Limeno face à 6 toros de Veragua dans des arènes combles.
Quand on regarde le chemin parcouru pendant ces 120 ans d’Aficion dans la spécificité biterroise, on ne peut que confirmer que les Anciens ont bien œuvré.
L’Histoire dira si les clubs taurins et la Fédération sauront et voudront entretenir ce que leurs anciens ont su créer.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – édito n°44