Édito n°49 – Mai 2017

LA BRAVOURE D’UN AUTRE TEMPS…

Ceux qui ont suivi depuis les tendidos de la Real Maestranza ou à la télévision pendant la Feria d’avril le comportement dans le ruedo du quatrième toro de Victorino Martin, Platino, combattu par Antonio Ferrera, ont vécu une lidia intense. Il fut brave, très brave, peut-être trop brave avec une attitude dans le ruedo de sauvagerie féline qui paraissait hors de notre époque. En fait, il paraissait plus à un toro bronco du passé quand les ganaderos n’avaient pas encore réussi à raffiner la caste brave. Comme Victor Mendes disait récemment : de mon temps la corrida était plus sauvage. Victorino Martin Garcia (Fils) qui déclarait lui-même il y a quelques mois : la bravura sin nobleza es solo fiereza (violence et férocité) reconnaissait le mérite des toreros devant la corrida de Séville qui avait été exigeante, notamment Platino. Ces deux conceptions de la bravoure paraissent se contredire. En fait elles sont complémentaires.

Il est certain que la tauromachie actuelle qui s’appuie sur une recherche de verticalité, de stoïcisme, qui consiste en fait à conduire la charge du toro, de la templer afin de pouvoir lier les passes en cédant le minimum de terrain, s’accorde peu avec le comportement de Platino. Certes, après une première pique où il accourut tête basse pour renverser la cavalerie, facilement, simplement avec les reins, il prit une seconde pique règlementaire qui aurait du être suivie d’une troisième rencontre qui s’imposait et aurait peut-être permis au torero qui devait poursuivre le combat avec la muleta et l’épée, de l’effectuer dans des conditions plus réalistes. Déjà avec les palos, Antonio Ferrera dut utiliser tout son métier pour échapper à la charge du Victorino alors que Jose Manuel Montoliu, invité par son maestro pour commémorer le vingt-cinquième anniversaire de la mort de son père sur ce même sable albero face à un toro d’Atanasio Fernandez, voulut exécuter la suerte avec sincérité pour faire honneur à son sang. Il fut surpris par le démarrage du toro et se fit prendre sans conséquence par un coup de corne dans la cuisse. J’étais présent dans les tendidos il y à 25 ans, sous la banda de musica de la Maestranza quand le regretté et exceptionnel Manolo reçu une cornada précise et brutale qui tua instantanément le brillant et admirable banderillero Valencian. Je garde un souvenir amer et émouvant de cette tarde tragique. Il était impossible pour Antonio de toréer le Victorino par le haut. Insoumis, le toro se retournait comme un ouragan accentué par l’effet du vent qui gênait naturellement la tauromachie dans le ruedo de la Maestranza. Patiemment, sans quitter le regard du brave et déterminé, Ferrera trouva la solution en réussissant avec la muleta légèrement en arrière, à recevoir et adoucir la charge et à la conclure à mi-hauteur en déplaçant la vague de la charge et en évitant la répétition sur une courte distance.

Ferrera, sans lier les passes (impossible), arriva à conduire cette répétée et infatigable force de la nature, sans perdre l’initiative devant les exigeantes charges qui ne permettaient pas le moindre doute, non pas à cause des mauvaises intentions mais à cause du péril que pouvait causer une attaque directe et débordante. Le combat ne se termina que lorsque le torero extremeño put conclure par une estocade profonde, suivie d’une lente agonie de l’infatigable bravoure de Platino. Nous n’avons plus l’habitude de ces combats mais le public de Séville, ému par un tel engagement, ne se trompa pas, exigeant les trophées pour le torero (1 oreille) et ovationnant l’arrastre du Victorino. Séville sut nous montrer, dans la médiocrité ambiante, une dizaine de grands toros modernes que la plupart des toreros ne surent exploiter à leur maximum, par inconstance et formalisme. Seuls Roca Rey, Castella, Garrido, Pepe Moral face à deux miura, le jeune Javier Jimenez et Talavante par moment, ont su démontrer le potentiel réel de leurs adversaires alors que Manuel Escribano, avec plus de décision à l’estocade, aurait pu lui aussi nous confirmer qu’il revenait à son niveau face à un bon Victorino Martin.

Un excellent Torrestrella, 2 Juan Pedro Domecq, 2 Victoriano del Rio et surtout le remarquable 5ème Jandilla d’El Fandi dans un type tout à fait différent de notre Victorino initial, nous ont montré que le nouveau toro brave existe comme 4 des Alcurrucen de San Isidro le 25 mai, malgré quelques signes de mansedubre pour deux d’entr’eux ou les Jandilla du 26 mai. Peu de toreros en activité auraient tiré une faena aussi complète devant le très exigeant Leon, sobrero de Salvador Domecq de cette corrida. Figuras comprises, ils auraient certainement abrégé devant les nombreux avertissements de ce Leon alors que Sébastien Castella a continué jusqu’au bout, sans sortir de sa faena sérieuse et exigeante. Si son estocade avait eu un effet contundente et malgré les difficultés de son adversaire qu’il avait surmontées, son triomphe aurait été maximal et les titres de médias spécialisés auraient été différents après l’oreille qu’il a coupée à son Jandilla. Après la décision du Président d’octroyer la vuelta al ruedo à Hebrea, j’estime que cet excellent toro permit une faena importante, mais qui n’avait cependant reçu que deux simulacres de pique à la demande de Sébastien pour le préserver, ne la méritait pas. Il prit une 2ème pique symbolique en venant de loin avec alegria certes, mais sans avoir reçu un véritable châtiment à la première. Dans ces conditions, le mouchoir orange du Président dans les arènes de Madrid pour cet honneur suprême, me paraît excessif car le combat d’Hebrea, excellent à la muleta, fut incomplet. Quand on veut présider avec exigence, il faut maintenir les critères durant toute la tarde.

Je crois que si l’estocade d’Antonio Ferrera n’avait pas été réussie à Séville face au Victorino, nous n’aurions pas lu les commentaires élogieux, même s’ils étaient mérités pour l’ensemble de sa Feria. Je n’enlève pas à l’exécution et à l’efficacité de l’estocade son importance surtout si elle est sincère, mais j’estime que la faena doit aussi être évaluée dans son intégralité, sans ostracisme publicitaire, comme nous le voyons trop. Il reste à Castella, à Escribano… de résoudre ce moment crucial de leurs faenas. Eux seuls ont la clé de leurs futurs triomphes. La technique actuelle de la majorité des toreros face au toro bravo moderne, noble, préparé dans les torodromes, est excellente et même impressionnante. Mais que feraient-ils devant Platino, l’adversaire de Ferrera ou devant Leon, celui de Castella ? Ils peuvent les affronter avec maîtrise et sincérité mais le feraient-ils ? De son côté, Ferrera prouve à la San Isidro que sa brillante Feria de Séville n’est ni un accident, ni l’effet du hasard, mais le résultat de l’évolution mentale d’un torero chevronné et armé pour ses combats et qui a mûri pendant près de 2 ans d’arrêt (juin 2015) pour la fracture de son bras droit alors qu’il venait de recevoir le prix de la meilleure faena de la Feria de Séville 2015 devant un toro de Victorino. Quand on lit certains titres ou commentaires de 2015 (il y a eu un avant et il y aura un après) de certains médias spécialisés sur les actuations surfaites de jeunes toreros à la mode, ne font que confirmer mes analyses et les éditos que j’ai écris à ce moment-là. Je respecte les toreros mais pas l’utilisation abusive et mensongère d’une certaine presse dans des intérêts inavouables.

BONNE FERIA DE PENTECÔTE A VIC ET A NÎMES SUIVANT AFFINITÉS.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 49 – Mai 2017