Éditorial – mars 2019

FLUCTUAT NEC MERGITUR…

Né près des arènes du Plateau de Valras, j’ai toujours été attiré par l’histoire et l’activité qui entouraient ce monument emblématique du Béziers du XXème siècle. A partir des années 60, ma passion pour le toro bravo et la corrida m’a entraîné dans de nombreux voyages sur les deux continents, tant au campo que dans les ferias ou dans les arènes les plus humbles. Si je me suis investi professionnellement dans le monde taurin pendant 20 ans, à partir de 1995 j’avais déjà participé pendant 10 ans à titre non lucratif, à l’organisation de plusieurs spectacles taurins en tant qu’aficionado. Je venais du monde du rugby où j’ai passé 20 années passionnantes. J’y ai vécu des moments intenses et j’ai pu y créer des amitiés inoubliables. Comme le Grand Georges Brassens l’a écrit et chanté :
« Au moindre coup de Trafalgar
C’est l’amitié qui prenait l’quart
C’est elle qui leur montrait le nord
Leur montrait le nord… »
C’était un sport exigeant, mais la solidarité qui s’est créée dans ces moments de lutte collective, reste inébranlable sans oublier les moments festifs qui clôturaient ces affrontements virils mais corrects.

Le monde taurin, même si on peut y créer des amitiés, n’est pas aussi altruiste, bien au contraire. Il développe l’individualisme. Je respecte certes celui du torero qui joue sa vie seul face au toro bravo. Il développe intérieurement, inconsciemment, un ego exacerbé, même vis-à-vis de ses compagnons ou de ses fidèles partisans. Oui, les aficionados doivent en être conscients alors que la qualité de ce combat unique les rend tout naturellement admirables et parfois inconscients de la réalité qui les entoure. Ce comportement est même contagieux dans les rapports des aficionados entre eux où la jalousie maladive règne trop souvent, encore plus s’ils se laissent manipuler contre l’intérêt de leur passion. Heureusement, j’ai eu la chance de rencontrer aussi des personnages exceptionnels dans ce monde : toreros, ganaderos, sans oublier ces vieux mayorales, hommes du campo, qui connurent durant leur jeunesse une vie dure et la pauvreté, dans un environnement difficile. Ils savaient jumeler humilité et fierté tout en respectant l’amitié. C’est surtout les taurinos qui sont devenus un pouvoir monopolistique qui démontre leur égoïsme viscéral. Certes, l’attitude de tout organisateur vers un résultat financier est respectable, c’est la règle de toute activité économique. Je pense pourtant que le manque de respect qu’ils démontrent de plus en plus face aux autres composantes de la tauromachie (aficionados compris bien entendu), entraîne le système vers de grandes difficultés. Pourtant, quand on examine l’histoire de la tauromachie du XXème siècle, on remarque le rôle positif primordial qu’ont tenu dans le monde empresarial, des personnages emblématiques alors que de nos jours les « grands » développent une vision égoïste du système, sans oublier ceux qui sont aveuglés par leur mégalomanie. Don Pedro Balaña Espinos restera à partir de 1927, près de 30 ans à la tête de la Monumental de Barcelone, en en faisant une des plazas les plus importantes du monde mais, ses successeurs… Don Livinio Stuyck, « el loco », inventa la San Isidro en 1947 avec 4 corridas par an pour en organiser finalement 17 en 1969. Manolo Chopera monta la San Isidro à 30 corridas et domina de sa grande personnalité les grandes plazas du nord et du sud-ouest français. Don Eduardo Pagès et Diodoro Canorea (jusqu’en 1996) maintinrent le prestige de la Maestranza de Séville. Les frères Jose Luis, Eduardo et Pablo Lozano ont géré La Ventas avec succès pendant 10 ans et ont relevé l’encaste Nuñez par l’élevage Alcurrucen. Je n’oublierai pas Simon Casas, dans ses premiers 20 ans d’organisateur de corridas dans l’amphithéâtre nîmois. Ils ont marqué leur époque en faisant participer les aficionados à des tardes et des férias qui ont marqué l’aficion. La liste n’est pas exhaustive mais ce sont des références dans la marque de la qualité.

Certes, je n’ai pas connu directement tous ces empresarios mais l’aficion a retenu leurs gestions positives pour le développement de la fiesta. Don Livinio Stuyck déclara à un journaliste : Pour que le succès soit complet, les intérêts des tendidos et de l’empresa doivent se conjuguer à la perfection. Il conclura ce jour-là à son interlocuteur qui lui demandait s’il revendiquait le titre de meilleur empresa taurin en Espagne et dans le monde : Ni hablar. No gobierno solo, sino en colaboracion !! Cela ne signifie pas que ces organisateurs n’étaient pas des hommes d’affaires. Je pense qu’ils avaient conscience que la corrida est un monde unique qui lie la tragédie et l’art, le courage exacerbé de l’homme dans son combat mythique face au toro depuis l’Antiquité. De nos jours, le monde taurin dominé par ses leaders égocentriques, entourés de quelques satellites, est le lieu de l’individualisme affiché (caché parfois) qui tire toutes les ficelles. Les difficultés que rencontrent les toreros face à ces gens-là, les poussent vers encore plus d’individualisme, même s’ils affichent de temps en temps, comme pour s’excuser, une confraternité de circonstance sur des évènements ponctuels. Je n’insisterai pas sur le BOMBO 2019 de Plaza 1 assorti des 3 paseos à la San Isidro comme BONUS. J’ai déjà donné mon impression dans des éditos antérieurs sur cette idée déplacée. L’annonce de la « Meilleure Feria de l’Histoire » ne fait qu’ajouter à ces effets d’égo exacerbé. Avez-vous vu la dernière du « culo al aire » ? C’est ridicule et déplacé. Je ne suis pas sûr que malgré le très intéressant mano a mano Sébastien Castella/Andrès Roca Rey, les aficionados nîmois soient convaincus que le système apporte à leur Féria 2019 le niveau auquel ils étaient habitués il y a quelques années. Je ne crois pas qu’ils se sentent respectés, tant dans leur amour pour leurs arènes, que dans leur passion pour la corrida de toros. Où est la communion nécessaire de l’empresa avec son public ? La communication bling-bling n’est pas ce qu’ils attendent.

Je respecte tous les toreros annoncés et je leur souhaite le succès. Ils en ont besoin. Je ne pense pas que ce comportement maintiendra la corrida face à ses adversaires déclarés. Certains nous dirons qu’elle est anachronique dans la modernité qui nous entoure. Quelle modernité ! Je leur répondrai que si elle ne correspond pas à la philosophie des bien pensants actuels et de leurs amis animalistes, ils n’ont pas de leçon à nous donner. Je leur rappellerai que c’est dans leur petit monde parisien que se sont retrouvés dans les années 90, les cultureux protecteurs endoctrinés de Cesare Battisti, au nom d’une lutte armée « acceptée » bien que condamnée dans un pays démocratique voisin. Il vient de reconnaître devant ses juges qu’il a bien commis ses 4 crimes. Il vient même de déclarer qu’il avait manipulé l’intelligentsia française pendant plus de 10 ans. On ne les entend plus ! Ce sont les mêmes qui n’avaient pas le courage d’attaquer la corrida des années 50 en France quand Luis Miguel Dominguin côtoyait les monstres sacrés Jean Cocteau et Pablo Picasso.

A ce moment-là, c’était de la CULTURE. Maintenant, c’est de la cruauté. En exemple, je rappellerai aux politiciens espagnols opportunistes que les intellectuels de leur pays s’honoraient de l’amitié de Juan Belmonte et qu’ils ont de l’admiration pour S.M. El Viti. Je leur rappelle aussi que Pedro Almodovar s’est déplacé spécialement à Nîmes en 2012 voir l’historique Seul contre Six de Jose Tomas. Ce n’est pas la corrida et les hommes qui affrontent le toro qui sont en cause. Ils ne méritent pas l’opprobre que certains intellectuels ou animalistes lui jettent. C’est le monde taurin au pouvoir qui, à la rigueur, peut mériter leurs critiques. Mais c’est à la corrida qu’ils portent tort, notamment auprès de la jeunesse. Pour faire face à leur malhonnêteté intellectuelle, l’égocentrisme d’une partie du monde taurin ne nous rendra pas notre honorabilité. Le problème est aussi chez nous, les aficionados. J’en connais des compétents qui préfèrent tourner la tête pour éviter de travailler ensemble à défendre la corrida qui doit être protégée ou promue.

C’est dans un comportement solidaire dans la défense de nos valeurs que nous pourrons résister à l’acharnement médiatico-politique et aux trahisons. Faut-il que nous soyons motivés sur des objectifs sains. J’espère que nous continuerons à lutter.
« Ses fluctuat nec mergitur
C’était pas d’la littérature »
Même le Groupe « RAP 1995 » chantait en 2012 :
« Toujours à la limite, on flotte mais jamais ne sombre 
En équilibre faut qu’on s’en sorte avant que tout s’effondre 
Vite, pousse les portes et préviens du monde « 

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Edito n° 71

VOIR INFOS : https://uniontaurinebeziers.com/cat/annee-2019/