ÉDITORIAL JUIN 2019

LE CULTE DU TORO


L’étonnante exposition BLEUS MINOTAURE qui est présentée du 20 juin au 22 septembre au Musée Taurin, sera reliée à l’illustration par LOREN (Laurent Pallatier) du ruedo de nos arènes pour la corrida du 15 août – Scénographie de la culture méditerranéenne –

Ces organisations m’ont inspiré une réflexion sur les origines des rapports de l’Homme et du Toro dans l’Antiquité, autour de l’Arc Méditerranéen. En fait, cette réflexion nous amène même à la préhistoire. L’homme des cavernes a représenté souvent l’auroch sur les parois de ses lieux de vie. Est-ce par admiration pour ce symbole de fertilité ou pour conjurer le sort pour ses futurs combats avec cet adversaire pour subvenir aux besoins alimentaires de son groupe ? Je pense qu’il ne faut pas oublier ses besoins de gloire et de prestige auprès de ses congénères pour sa victoire sur l’animal mythique craint et admiré afin d’asseoir son autorité. Devant ces expressions matérielles, on pourrait dire artistiques, nous revenons à la question initiale : d’où vient ce comportement de l’Homo Sapiens ? Il a eu un sentiment d’admiration de cet auroch, qui deviendra le toro, de sa puissance, de sa masse musculaire, de sa fougue lorsqu’il est dérangé ou attaqué. L’homme accepte de l’approcher, je dirai même mieux de le combattre malgré ses capacités physiques nettement inférieures. Je pense qu’il sait déjà à cette époque-là, qu’il a la connaissance et progressivement l’expérience pour faire face à la charge, aux puissantes armures, même si tout paraît lui être défavorable. L’Homo Sapiens est attiré par ce puissant animal qui vit le plus souvent en troupeau, avant de s’isoler en prenant de l’âge car il ne peut plus affronter les mâles ambitieux plus jeunes et plus puissants. Cet instinct grégaire l’a amené, parfois semi domestique, d’Afrique et d’Asie Mineure vers des zones plus tempérés et plus riches, vers l’ouest, la Méditerranée et de nouveaux pâturages. Contrairement aux gros félins carnivores qui sont les concurrents et adversaires de cet homme dans leur recherche de nourriture carnée, l’auroch a été la cible risquée mais idéale. L’auroch lui a permis aussi d’essayer d’affirmer sa supériorité déjà par ses ruses, son courage qui l’ont poussé à réaliser ce qui pouvait paraître impossible. Si l’on examine les premières traces de ces affrontements, nous sommes étonnés par la peinture pariétale de la grotte de Villars en Dordogne où l’homme est représenté les bras levés et armés, défiant l’animal qui le charge. Cette confrontation datée de – 23 000 ans avant JC reste une exception. Par la suite, l’homme sera peu représenté dans ces phases de combat individuel, parfois mortel comme à Lascaux. Certaines illustrations représentent des scènes collectives de chasse ou de combat, particulièrement en Mésopotamie ou en Perse avec le culte de Mithra (- 1500 avant JC). Cependant, nous retrouvons ces traces de confrontations individuelles de l’homme et du toro sur les céramiques crétoises (-1700) où l’homme joue par des sauts et des esquives prémonitoires des pratiques du sud de la France dès le XVème siècle et même de nos jours. L’île de Crète apparaît dans la mythologie imprégnée du culte du toro dans des facettes inattendues : séduction, création de Minotaure (homme-toro) suite à la désobéissance aux dieux et domination finale de l’homme. Ces évènements relient la Crète avec trois personnages majeurs et le toro dans l’antiquité grecque :
– Zeus lui-même, dieu des dieux, qui se transforme en toro pour séduire Europe, la femme du roi de Tyr qui enfantera Minos et ses deux frères ;
– Thésée, personnage à multiples visages, tue Minotaure dans le labyrinthe du Palais grâce à l’aide du fil d’Ariane qui lui permettra d’en sortir. Il l’abandonnera pour faire d’Athènes la cité majeure de l’antiquité grecque et la base de la démocratie ;
– Héraclès accomplira dans l’île de Crète le septième de ses travaux en s’emparant du taureau crétois que Minos avait protégé mais dont il voulait se débarrasser à cause de sa sauvagerie.

Toutes ces histoires de l’antiquité grecque sont devenues mythiques dans le monde méditerranéen. Elles incluent le taureau qui séduit tout en démontrant sa force, la création d’un monstre que l’homme pourra tuer grâce à son intelligence, la domination par la force d’Héraclès qui va capturer le taureau avant de le déplacer à Sparte (cité concurrente d’Athènes) et dans le monde grec. Peut-on voir dans cette histoire, très ciblée à l’origine, un lien avec l’implosion de l’île de Santorin qui 1500 ans avant notre ère a dû créer un énorme tsunami dont on parle pendant l’histoire de l’antiquité grecque. Il a frappé toute la mer Egée et en premier lieu la Crète. A mes yeux, il existe un lien autour du taureau avec tous ces mythes de l’antiquité.
Je ne suis pas spécialiste de la mythologie grecque mais il faut reconnaître qu’il y a des coïncidences entre :
– le rôle de la Méditerranée dans le déplacement de tous ces personnages,
– la force et fertilité du taureau,
– l’intelligence de l’homme qui arrive à dominer la force brute de ce taureau.
Ces légendes ajoutées à l’attirance et l’admiration de l’être humain depuis 25 000 ans avant notre ère, sont certainement à l’origine de cette histoire qui, dès le VIIIème siècle et le Xème siècle dans la péninsule ibérique, ont vu les puissants et ensuite le peuple s’affronter, avec des moyens différents, au toro hispanique. Cette nouvelle tradition ajoutée aux jeux taurins locaux des terres du sud de la France, a attiré notre population vers la codification moderne instituée au début du XIXème siècle en Espagne. Dès 1850, elle s’installe en France avec l’arrivée et l’influence de l’Impératrice Eugénie de Montijo. Après une période d’adaptation et de mélange avec nos pratiques locales plus proches des jeux crétois, le peuple du sud impose au pouvoir central parisien la pratique de la corrida avec la mise à mort du toro. Ce que nos prédécesseurs biterrois ont pu faire en plus de 120 ans, attirés par cette tradition entre l’homme et le toro qui, du ludique arrive à la tragédie, nous responsabilise pour la défendre, la maintenir, l’adapter peut-être en s’appuyant sur l’intégrité du toro bravo.

Dans l’actualité taurine française, nous constatons des déclarations virulentes dues aux concurrences dans les appels d’offres pour la future gestion des arènes d’Arles et de Nîmes dont les contrats arrivent à échéance. Il est souhaitable que quelles que soient les décisions des municipalités, le choix puisse améliorer la situation bloquée depuis quelques années. Il est souhaitable aussi que tout ce remue-ménage ne soit pas seulement des effets de com et de marketing, très appréciés par certains, sur le dos de l’aficion. Des rumeurs annoncent la disparition du Bombo madrilène. Je m’en réjouis. Ce n’était que de la fumée. Ce n’est pas le bombo qui est à l’origine de jeunes talents : Aguado, de Justo, Juan Leal… Au contraire, le système inventé par PLAZA 1 à Madrid, a fermé la porte à des toreros valeureux, pour laisser la place aux protégés des grands groupes empresariales où ils sont malheureusement taillables et corvéables, s’ils ne sont pas figuras institutionnalisées. Mon opposition aux nouveautés artificielles ne signifie pas mon accord pour le statu quo stérile qui n’ouvre pas la porte aux toreros méritants qui veulent gagner leur place, bien au contraire. J’ai déjà écrit que le système doit ouvrir et inciter la competencia entre tous les toreros. Cela doit permettre à la corrida de retrouver ses incertitudes avec ses émotions. Le but n’est pas non plus de rechercher les blessures et les tragédies pour attirer le public vers le morbide malsain qui incite parfois une partie de l’aficion ou des communicants. Ces accidents parfois gravissimes ont toujours existé dans l’histoire de la tauromachie. C’est le travail technique, la connaissance des toros qui doivent permettre aux toreros de les éviter, tant en créant l’intérêt des aficionados dans des styles différents, non stéréotypés, adaptés à la personnalité de chacun (voir édito de mai).

En ce qui concerne l’avenir des arènes de Béziers, je ne rentrerai pas dans le monde des rumeurs. Personnellement, j’ai eu l’occasion d’écrire quel était, à mes yeux, le système que j’estime le mieux adapté pour organiser des corridas en France, adapté à la règlementation en vigueur chez nous. Ce n’est pas une question de personnes, moyennant qu’elles soient compétentes. Quoiqu’il en soit, la décision pour le futur appartiendra en premier lieu aux représentants de la municipalité et de la société propriétaire des arènes de s’entendre pour éviter les erreurs de 1995 qui auraient pu avoir des conséquences encore plus graves. Dans un deuxième temps, dans le cadre d’un accord viable, les représentants de ces deux entités devront choisir d’un commun accord un système pour maintenir l’édifice en état pour l’organisation moderne de spectacles de qualité. Dans un troisième temps, la municipalité, si ces conditions sont réunies, devra mettre en place une solution qui lui permette de suivre efficacement le fonctionnement, en s’appuyant sur des personnes qualifiées (tant au niveau taurin que de tout autre spectacle artistique), afin d’assurer un suivi de qualité des programmes proposés au grand public par l’organisation. C’est un domaine sensible qui ne peut supporter la médiocrité et où l’intérêt de l’image de la cité est essentiel. J’attends la Feria 2019 avec intérêt. Des initiatives intéressantes ont été prises. Il faut les soutenir pour qu’elles atteignent leurs objectifs. Ce n’est pas le moment d’avoir des états d’âme. Les cartels annoncés sont attractifs. Espérons qu’ils amèneront le public indispensable à la fête et que les toros donneront le jeu que l’on espère, en conformité avec le trapio indispensable à nos arènes. Ce comportement agressif et noble est bien celui que l’aficion attend avec l’admiration que les peuples du sud lui portent, inscrite dans leur culte du toro depuis des siècles, des millénaires…

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Edito n° 74 – Juin 2019