LE COURAGE DE LA VÉRITÉ
La baisse de l’activité taurine à cause du Covid 19 ne peut m’inciter à des débats sur les diverses conceptions de la corrida, tant en ce qui concerne les toreros que les toros et leurs encastes. Je ne puis m’enfermer dans la défense de nos traditions pour répondre aux attaques inacceptables et méprisables motivées par des objectifs majoritairement faux. Je pense que nous devons arrêter de réagir pour résister, en nous repliant sur nos lignes de défense. Nous devons avoir le Courage de la Vérité. Certes pour la maintenir mais surtout pour l’affirmer en apportant dans notre démarche tous les éléments que le passé et le présent témoignent de nos personnages prestigieux anciens et modernes en les honorant. Il faudrait laisser nos adversaires sans justifications valables, malgré les appuis affichés ou cachés de ceux qui veulent imposer la pensée unique la plus absurde et surtout la plus injuste. Bien entendu, je reconnais le droit de ceux qui, soit par sensibilité, soit par sensiblerie, n’aiment pas la corrida. Mais qu’ils ne se laissent pas manipuler et nous laissent vivre notre passion qui date de plusieurs siècles. Qu’ils ne se laissent pas récupérer par des individus ou des groupes en recherche de notoriété ou de pouvoir. J’ai appris à les connaître et je ne néglige pas le danger qu’ils représentent avec les appuis qui n’ont rien à voir avec la corrida ni la vraie écologie.
En premier lieu, ils doivent admettre que la corrida que l’Espagne a vu évoluer depuis près de 500 ans, est précédée par la tauromachie populaire que l’on retrouve déjà dans les fresques de l’Antiquité de près de 5000 ans. Cette tauromachie qui en Espagne se déroulait dans les rues, sur les places de village et continue à se pratiquer de nos jours. Elle représente actuellement plus de 20 000 évènements locaux ou de notoriété internationale comme les lâchers de toros de Pamplona, de la Communauté de Navarre ou les encierros a campo abierto de Castilla comme ceux de Cuellar ou de Ciudad Rodrigo, sans oublier les Bous al Carrer méditerranéens de Valencia et Castellon ou les capeas de nombreux pueblos, sans négliger aussi les abrivados et les courses libres de Camargue. Le festejo popular n’est pas le parent pauvre, c’est le frère ainé et la mère de tout le toreo. Toutes ces fêtes de rue, de campo abierto ou les recortadores dans le ruedo, se terminent le plus souvent par la mort du toro bravo, comme pour la corrida formelle, mais dans le secret de l’abattoir. Après cette compétition, ce jeu ou ce combat, l’homme ne peut plus affronter le toro, qu’il soit recortador, coureur d’encierro ou torero. Le toro bravo, pendant ces minutes de proximité avec cet adversaire qui sollicite son instinct de bravoure, a en assimilé les ruses et les limites. S’il était sollicité à nouveau, il l’attaquerait directement comme une proie. L’expérience de cet homme ne pourrait rien faire pour l’éviter et le dominer dans la rue ou à l’intérieur du ruedo.
La volonté de m’exprimer sur la corrida dans ma revendication de la Vérité, a été provoquée par la citation d‘Albert Camus : La vérité n’est pas une vertu mais une passion. Cette déclaration n’est pas étonnante dans l’œuvre, la pensée et l’action du prestigieux penseur, de l’écrivain et même du journaliste de combat que j’ai retrouvée aussi dans La démocratie n’est pas la loi de la majorité mais la protection des minorités. Cette affirmation basique chez Camus n’est pas inspirée directement par la corrida mais elle correspond à sa vision de l’Homme Méditerranéen qui l’a toujours motivé (édito de novembre). De nos jours, je ne puis accepter, en tant que citoyen à part entière, que les 150 tirés au sort de la Convention pour le climat veuillent imposer à toute la population, par référendum ou sondages d’opinion, les idées imposées par les penseurs à la mode. Ils voudraient profiter de cette démarche pour faire interdire la chasse, la pêche, la corrida… alors que nos traditions millénaires ne représentent aucun danger pour la société ni pour les enfants, contrairement aux stupidités mensongères voulant supprimer notre volonté.
Durant toute sa vie publique littéraire, de philosophe et de penseur, Albert Camus sut être exigeant contre ce qu’il combattait. Pourtant, alors qu’il avait été résistant pendant l’Occupation, il eut le Courage de sa liberté et de sa volonté, notamment à la Libération, contre certains abus de l’épuration : le peuple continuera à intervenir dans des affaires qui ne devraient plus le regarder. Il en fut de même dans ses oppositions à l’existentialisme et bien que membre du P.C.F., à certaines déviances du marxisme et du totalitarisme. Ce n’était pas une infidélité, mais son Courage de la Vérité. De même, il fit comprendre sans ambiguïté, qu’il n’acceptait pas de céder aux pressions des adversaires de la corrida car il était aficionado.
Le cas de Jean Cocteau et l’évolution de sa pensée sont encore plus étonnants. L’Académicien français né en 1889, a eu une vie artistique majeure, tant par ses œuvres de peintre, dessinateur, dramaturge et cinéaste, alors que lui-même se considérait comme poète.
Dans les années 50, grâce à son amitié inaltérable avec Pablo Picasso qui vivait dans le sud à Vallauris, il put assister à plusieurs corridas en France, notamment à Nîmes et Arles, écouter ses commentaires, rencontrer Luis Miguel Dominguin et le monde taurin. Il ne se considérait pas comme un aficionado compétent car insuffisamment connaisseur pour tout comprendre. L’évènement survenu à Séville pendant la corrida du 1er mai 1954, changea sa perception de la corrida. Assis dans les tendidos de la Maestranza, le Maestro Damaso Gomez lui brinda son toro. Cocteau posa la montera sur ses genoux et suivit la faena. Il ressentit un choc violent et garda un souvenir inaliénable de ses sensations. Je précise que Damaso, torero connu pour son courage et sa maîtrise, avait un toreo très lucide et précis qui lui permettait d’affronter les corridas difficiles tout en conservant son allure majestueuse. Jai eu la chance de le voir toréer à Bilbao entre 1968 et 1970. J’avais été étonné par son attitude et sa maîtrise. Je garde encore cette image de capitaine de vaisseau impassible au milieu du combat ou des tempêtes.
Jean Cocteau écrivit en 1957 le livre La corrida du 1er mai qu’il dédia à Luis Miguel. Cocteau avait compris alors le secret de ces noces entre la Dame Blanche (la Mort, représentée par le toro, son ambassadeur et le torero où l’homme devient la bête afin de le comprendre. Dès lors, Jean Cocteau comprit l’Espagne et l’aima avec respect et passion. Cet ouvrage comprend en outre : Hommage à Manolete en 3 poèmes et une Lettre d’Adieu à Federico Garcia Lorca. C’est un déclic chez lui qui va se transmettre dans son livre le Passé défini paru en1958, plusieurs commentaires courageux et précis démontrant sa passion pour la corrida authentique tout en appréciant la beauté artistique et l’émotion qu’il ressentait devant une faena. Il sut écrire sur une corrida des vendanges à Nîmes Corrida honteuse. Si la corrida n’est plus une tragédie, elle devient une comédie, une corrida dégoutante ; mais aussi après une corrida arlésienne La plus belle corrida que je puisse voir. Luis Miguel a donné une leçon parfaite de tauromachie. Sans une faute, sans grimaces, sans bravades. C’était un spectacle superbe.
Les exemples sont nombreux et crédibles, tant dans l’expression littéraire que dans la connaissance de l’art taurin. Cocteau ne craignait pas les pressions d’une partie de l’intelligentsia parisienne qui intervenait déjà contre la corrida. Il s’affichait, tant dans ses écrits, dans ses peintures et dessins que par sa présence dans les arènes. On le voyait en France, accompagné de Picasso qui n’a jamais accepté de revenir en Espagne malgré les tentatives de Franco de le recevoir pour améliorer son image par une réconciliation.
Cette volonté et ces propos ne peuvent qu’inclure le prestigieux Ernest Hemingway. La corrida qu’il découvrit en 1923 à Pamplona, tient une place importante dans ses romans et dans ses reportages qu’il veut transmettre à ses lecteurs des USA. J’ai choisi trois citations parmi tous ses fameux écrits qui montrent son intégrité envers la corrida et le torero :
– la Corrida est le seul art dans lequel l’artiste est en danger de mort
– Bulfighting is not a sport is a tragedy : La corrida n’est pas un sport, c’est une tragédie
– un torero ne peut jamais voir l’œuvre d’art qu’il crée, il n’a pas l’occasion de se corriger comme un peintre ou un écrivain. Il ne peut en avoir que le sentiment et entendre le soutien du public.
Hemingway, Prix Nobel de Littérature 1954, a écrit trois œuvres majeures sur le thème de la corrida : Le Soleil se lève aussi (1926) – Mort dans l’après-midi (1932) et l’Eté dangereux (1959). Il décrit le monde taurin et l’évolution du comportement du torero, avant, pendant et après son affrontement avec le toro. Ses écrits sont concis et détaillés. Plusieurs l’ont comparé à Goya, notamment La Tauromaquia. Hemingway affichait son admiration pour le Maître aragonais de Fuendetodos. Ils démontrent dans leurs œuvres, sans ambiguïté, leur intérêt avec précision pour l’art taurin. Les deux artistes offrent une vision poétique, grave et éternisée d’un art éminemment tragique et éphémère. La mort certaine de l’animal et celle risquée de l’homme constituent le fondement de cette tragédie (Ozvan Bottois).
Il est évident, à mes yeux, que Pablo Picasso est l’artiste qui a marqué le plus l’importance du combat de l’homme, torero et piquero, avec le toro. Lui qui déclara El toro soy yo avait la passion pour le toro-animal sacré, durant toute sa vie, de son enfance malagueña à sa mort en exil. Le thème taurin est présent dans une grande partie de son œuvre où il utilise une multitude de sources formelles ou idéologiques pour créer des symboles taurins d’une énorme puissance.
J’ai noté trois expressions différentes pour démontrer cet attachement :
– Picasso s’identifie au Minotaure, l’homme avec une tête de toro ou l’inverse (moitié homme et moitié toro). Selon Rhanweler, Le minotaure de Picasso qui prend du plaisir, aime et lutte, c’est Picasso lui-même.
– Dans Guernica, le symbole taurin est central. Il s’identifie au toro, animal noble qui, involontairement blesse le cheval blanc entouré de la souffrance du peuple.
– La fameuse statue du Christ du pueblo de Torrijos a inspiré Picasso pour reprendre à sa manière un ex-voto anonyme. Le Christ a le bras droit détaché de la croix avec une cape en main pour dévier la charge du toro, faisant un quite au cheval et au picador, au sol sans défense. N’oublions pas que Picasso a déclaré : Si j’avais été torero, j’aurais voulu être picador. C’est en 1959 qu’il va dédier à cette vision, tout un carnet d’esquisses avec notamment la Tête du Christ qui sert de cartel à la Semaine Sainte de Malaga en 1998. Pablo Picasso affirmait son aficion et l’on peut dire son amour de la corrida lorsqu’il allait aux arènes, se mêlant à la foule des aficionados sans la moindre retenue, abrazando l’un, adressant une blague à l’autre. Cette indépendance, ce plaisir du Maître lui firent installer à Vallauris une arène pour des spectacles taurins certes mineurs, sans mise à mort. Pourtant, le 29 octobre 1961, pour son 80ème anniversaire, Luis Miguel Dominguin et le Maestro Domingo Ortega son ami, toréeront avec mise à mort. Cette corrida put se réaliser grâce à l’intervention directe d’André Malraux, Ministre de la Culture, auprès du Préfet du Var. Ce fut le dernier spectacle avec mise à mort à Vallauris où les spectacles taurins continuèrent sans mise à mort jusqu’en 1980.
Plus proche de nous, l’intellectuel français François Zumbielh est intervenu pour tenter de comprendre la décision du Tribunal suprême espagnol qui n’a pas voulu enregistrer une faena que Miguel Angel Perera voulait classer symboliquement comme œuvre artistique. Zumbielh considère que le Tribunal, dans sa réponse, a reconnu de manière implicite l’œuvre artistique sublime d’un instant. Tout ou presque tout dans le toreo est éphémère bien que les beautés désirées par le torero se référent à une perfection éternelle et obsessive. Cette faena idéale que chaque torero porte en lui, que jamais il n’arrive à réussir totalement dans le ruedo en tenant compte de l’environnement, des conditions climatiques, du public… et du toro. François Zumbielh qui fut Directeur de l’Union Latine en 2004, est un des plus éminent et efficace représentant de la tauromachie, reconnu tant en Espagne et en France, qu’en Amérique Latine. Face aux déclarations indignes et peut-être provocatrices d’un penseur reconnu comme Michel Onfray, Zumbielh ne rentre pas dans une polémique infructueuse. Il confirme ses idées et garde le courage de ses vérités.
Enfin, le philosophe aficionado Francis Wolff a démontré dans plusieurs ouvrages ses conceptions et sa vision de son aficion La Corrida comme son nom l’indique, consiste à laisser le toro courir, attaquer, combattre. Elle n’a aucun intérêt, ni sens, ni valeur si le toro n’était pas naturellement combatif. L’éthique animaliste de la corrida consiste à permettre à la nature du toro de s’exprimer. Doublement dans sa vie et dans sa mort. J’approuve le Courage de sa Vérité et je confirme que la tauromachie n’est ni de droite ni de gauche. Il est dommage que les partis verts et écologistes soient souvent imprégnés d’une idéologie animaliste bien peu écologiste… ignorants de la vie du toro bravo au champ. Le campo que nous aimons tant, avec ses espaces et cet animal merveilleux.
L’Union Taurine Biterroise sera heureuse de le recevoir à Béziers, dès que les conditions sanitaires le permettront, pour présenter ses ouvrages Philosophie de la Corrida et Francis Wolff, moments de Vérité, ainsi que pour commenter le film Un filosofo en la arena.
Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 93 – Février 2021