1970-1980 : C’ÉTAIT UN TEMPS !
Le début des années 70 a connu, dans nos plaines languedociennes, l’apparition et le développement de la machine à vendanger venue de l’état de New-York (Chrislhom-Ryder). Les vendanges représentaient jusque là un travail dur qui demandait une main d’œuvre importante, souvent espagnole, mais qui conservait un côté festif et amical qui a disparu aujourd’hui dans les zones mécanisées. C’était indispensable, mais regrettable au niveau du contact humain.
C’était un temps !
Dans le monde taurin, en 1968, est apparu le marquage au fer pendant l’herradero, du dernier numéro de l’année de naissance des veaux sur l’épaule. Il attestait de l’âge de naissance de l’animal. L’objectif des pouvoirs publics espagnols, appuyés par l’aficion, était d’éviter la lidia de toros-novillos en corrida. Jusque là le seul contrôle imparfait était post-mortem à partir de la dentition. Après une époque décevante due notamment à la faiblesse des toros pour des raisons d’alimentation excessive tardive, de sélection et de manque d’exercice des animaux destinés à la corrida, la situation s’est améliorée. Cela exige de bonifier le comportement des toros durant le combat en travaillant sur son élevage sans oublier le déroulement de la lidia dans le ruedo. Le but était de rendre l’émotion à la corrida sans laquelle l’affrontement du toro avec le torero et la mort dans le ruedo perdent leur raison d’être. Cela dénaturait cet évènement unique qui s’est développé pendant des siècles dans les territoires français du sud, en Espagne et dans les pays latino-américains. Nous avons constaté du mieux par rapport aux années 70-80 mais il reste encore à améliorer, aussi bien dans la lidia que dans la mobilité et la bravoure du toro.
C’était un temps où élevages les plus toréés étaient les descendants de la raza Vistahermosa que l’on retrouve dans la majorité des ganaderias, notamment tous les Domecq. Les Atanasio Fernandez et les Conte de la Corte, représentants majeurs du campo de Salamanca et d’Extremadura avec leurs qualités indéniables qui permettaient de voir ces toros aller a mas après la pique avec des faenas mémorables. Progressivement, on a vu décliner ces deux élevages, à l’exception du résultat du croisement des Atanasio avec les Lisardo Sanchez que l’on retrouve chez la famille Fraile.
La lignée Santa Coloma provenant du croisement Ibarra/Saltillo au début du XXème siècle a permis de dégager deux origines qui ont marqué cette époque. Le comportement typique du petit toro gris de Buendia et plus tard dans les années 70 l’apparition des toros de Victorino Martin d’origine Albaserrada avec plus de trapio, avait récupéré chez Santa Coloma le comportement asaltillado. Nous n’oublierons pas les noms prestigieux de Miura et Pablo Romero, encastes uniques qui ont évolué. Les toros de Zahariche se sont adoucis mais ont conservé la marque de l’encaste alors que les Pablo Romero connaissaient déjà une décadence qui paraîssait difficile à remonter.
C’était un temps !
Les Maestros majeurs de cette époque étaient caractérisés par le classicisme qui suivit la période de style hétérodoxe et spectaculaire de Manuel Benitez El Cordobes qui avait écrasé tauromachiquement et socialement les années 60.
Le trio classique composé des sévillans Diego Puerta et surtout Paco Camino avec le salmantino Santiago Martin El Viti, ont marqué cette période avec leurs triomphes retentissants à Madrid. Paco Niño Sabio de Camas, sorti 10 fois par la grande porte de Las Ventas et le Maestro de Vitigudino triompha 16 fois dans les arènes madrilènes entre 1965 et 1975. N’oublions pas que le Viti coupa 40 oreilles dans sa carrière de novillero et matador de toros dans les grandes arènes de la capitale. Je ne puis négliger Francisco Rivera Paquirri, torero poderoso, avec son répertoire largo. Il a triomphé dans toutes les arènes et plus particulièrement dans celles de Béziers où il fut le torero majeur des années 70-80. Les plus jeunes, notamment originaires du Camp Charro, ont brillé dans des styles différents : Niño de la Capea, Julio Robles et Roberto Dominguez ainsi que les andalous Ruiz Miguel et surtout Antonio Jose Galan qui dans son style non conformiste fut même leader de l’escalafon en 1974. La fin de cette période était devenue trop conservatrice. Heureusement Paco Ojeda vint bouleverser le début des années 80.
Et maintenant…
Au niveau des élevages, nous avons assisté, comme je le craignais, à la quasi disparition regrettable de plusieurs encastes comme les Atanasio, les Conte de la Corte, les Cobaleda… et une généralisation de l’origine Domecq avec des légères variantes suivant les ganaderos. Les origines Santa Coloma se maintiennent à un très bon niveau, soit les Saltillo Albasserrada, les Victorino et Adolfo Martin ainsi que les origines Buendia de La Quinta, Ana Romero, Rehuelga, Flor de Jara avec des résultats intéressants. Les origines Murube conservent un grand intérêt pour les Rejons. Je n’oublie pas les Baltasar Iban et les Cuadri, encastes propios. Cette tendance de l’origine ultra majoritaire Domecq démontre le pouvoir pris par les toreros et les empresas sur le monde ganadero. Le résultat global de la corrida est cependant satisfaisant ces derniers temps avec des toreros très au point pour lidier ce type de toros dans des faenas de muleta longues et millimétrées.
Vous connaissez tous Juli, Castella, Perera, Manzanares, Talavante, Luque et les fantasques Ferrera et Morante qui font une bonne temporada 2021. Nous ajouterons les jeunes Roca Rey, Pablo Aguado, Juan Ortega, Juan Leal… N’oublions pas ceux qui affrontent les élevages de Miura, de Victorino Martin et Adolfo Martin… : Octavio Chacon, Manuel Escribano, Rafaelillo, Gomez del Moral… Ils méritent notre considération et même notre admiration car ils affrontent souvent des adversaires très exigeants. Ils ont leur place dans la tauromachie moderne.
La situation artistique de la corrida paraît excellente mais elle ne reproduit plus à mon goût, les émotions qui m’enchantaient par leur profondeur et leur majesté (Camino, Viti, Angel Teruel, Curro Romero, de Paula, Ojeda et Jose Tomas…). Je regrette aussi le manque d’incertitude que le toro apportait par le passé dans le combat et dans la lidia. Le toro moderne est bien sûr dangereux mais je constate un comportement plutôt uniforme regrettable, dû à la sélection excessive dans certains élevages.
Et l’avenir ?
Depuis une dizaine d’années la tauromachie est fortement remise en cause par les écologistes et plus précisément par les groupes animalistes qui attaquent violemment les activités traditionnelles avec une véhémence particulière, soutenus par les médias habituels. En fait, les pouvoirs publics confrontés à ces remises en cause, ont confirmé par les organismes compétents, la légalité de la corrida dans les pays de tradition, à l’exception de ceux où la vraie démocratie est bafouée. Je pense que les aficionados, les éleveurs, les organisateurs, les toreros doivent se montrer unis face à ces attaques surexcitées, intolérantes et même fanatiques mais pilotées par des esprits malins et organisées avec des objectifs calculés.
Notre monde doit rester très vigilant et faire en sorte que le combat de l’homme et du toro, créé depuis des siècles dans nos terres du Sud, évolue sans perdre son essence et l’émotion sans laquelle il ne pourra se maintenir.
FUERA LES PEURS, FUERA LES COMPLEXES !
Il ne reste plus qu’à se serrer les coudes, se réinventer et travailler unis au bénéfice de la tauromachie dans son ensemble. Certains le font déjà. C’est maintenant ou jamais.
Antonio PURROY UNANUA, Professeur de l’Université Publique de Navarre
Le responsable de rédaction : Francis ANDREU Édito n° 99 – Août 2021