Édito n°10 – Février 2014

QUEL EST LEUR VRAI OBJECTIF ?

Nous avons retardé à début février la parution du 1er édito de la temporada 2014 en espérant, sans trop y croire, que les divers intervenants du monde taurin, notamment les 5 figuras de l’Apocalypse (les cavaliers n’étaient que 4), oseraient se compromettre avec l’empresa de Sevilla et les Maestrantes pour organiser une féria digne du légendaire Coso del Baratillo et de la magnifique cité du bord du Guadalquivir. Cette situation désolante nous rappelle, toute proportion gardée, la désastreuse déclaration de guerre de 1870 par Napoléon III avec le prétexte de la fameuse dépêche d’Ulm habilement truquée par le Chancelier Bismark.

Cette comparaison est osée mais elle n’a pour but que de rappeler que : Quand on veut déclarer la guerre… Comment donner tant d’importance et de conséquences à une déclaration certes exagérée (se ha pasado) d’Eduardo Canorea après un tapeo comme les aiment nos amis sévillans. Pourquoi se lancer dans une guerre au moment où aucune des parties n’est en condition de vraiment la gagner, étant donné la situation de la corrida en Europe. Bismark, lui au moins, savait qu’il était plus fort que nous et que Napoléon n’était qu’un petit chef de guerre, un va-t-en guerre qui n’avait rien de Buonaparte. S’il s’agissait d’un problème d’arriérés dans les paiements, pourquoi ne pas le mettre sur la table tout de suite ? Ce serait le seul argument valable et l’aficion, comme les Maestrantes, pouvaient le comprendre et mettre l’empresa devant ses responsabilités.

Les déclarations postérieures de Jose Maria Manzanares (sur son grand amour avec les Sévillans à qui il doit tout), relayées par celles de ses compagnons de lutte, sans oublier le grand discours final du Juli, n’ont convaincu personne. Elles nous feraient rire si la situation de la tauromachie en Europe ne traversait pas la crise que tous les aficionados et les professionnels connaissent, même si ces figuras paraissent l’ignorer.

Nous ne cherchons pas à défendre le monde empresarial taurin, certainement critiquable sur sa gestion de ces dernières années. Par contre, nous pensons que la prise de pouvoir, hors du ruedo par 5 toreros, nous annonce un bouleversement de la tauromachie, déjà très affaiblie, qui supportera mal une organisation où seules les figuras ou les peoples tireront leur épingle du jeu. Jusqu’à quand ? Nous pouvons nous interroger dans le futur, sur le rôle des apoderados de ces figuras.

Le rôle des maestros Curro Vazquez, Roberto Dominguez et Fernando Cepeda, aujourd’hui recyclés dans l’apoderamiento, n’a plus rien à voir avec celui de leurs prédécesseurs historiques : Don Jose Camara et ses fils Pepe et Manuel, El Pipo, Florentino Diaz Flores, Pablo Lozano, Enrique Martin Arranz… qui géraient des toreros figuras tout aussi importants pour le moins…

Dans cette crise grave, nous ne les entendons pas. Quel silence ! Leur titre d’apoderado leur permet certes d’encaisser leurs commissions avant que dans quelques temps, le vrai pouvoir soit concédé en réalité à des sociétés de communication, de marketing et même des groupes financiers importants qui pourraient avoir pour objectif de récupérer, dans un premier temps, les arènes privées dont les propriétaires héritiers ne retrouvent pas la rentabilité espérée, ne serait-ce qu’immobilière, par leurs ancêtres. Certains en parlent… Pourquoi s’adresser directement aux propriétaires de la Maestranza de Sevilla pour s’attaquer à Canorea ? Notre propos n’est pas d’intervenir dans ces spéculations qui relèvent plus de la finance que de la tauromachie proprement dite. Nous sommes par contre préoccupés par des informations complémentaires qui provoquent chez nous une inquiétude, même s’il vaut mieux en rire qu’en pleurer.

Nous apprenons qu’El Juli va annoncer au Circulo de Bellas Artes de Madrid, dans une cérémonie médiatico-culturelle très in, son programme d’actuations (sa tournée) 2014. Il copie ce que font depuis longtemps dans des sempiternelles interviews, conférences et articles de presse promotionnels (non gratuits), ses collègues du show-biz. Morante, apodéré en réalité par un important groupe mexicain (ce n’est qu’un début), va procéder de la même manière. Seul le style changera. Espèrent-ils que le public, comme des fans ou des groupies, va se précipiter pour louer des places dans des spectacles retenus à l’avance comme Madonna, Lady Gaga, Johnny (le nôtre), Elton John ou Céline Dion (liste non limitative) ?

Nous espérons que les vrais aficionados ne vont pas se laisser endormir par ces manœuvres où le marketing veut devenir le maître du système. Nous l’espérons d’autant plus qu’ils ont prévu d’ores et déjà, d’accentuer le choix des élevages et des toros pour que la tournée soit réussie et puisse se dérouler selon le programme prévu. Ces ganaderos sélectionnés, sont devenus prisonniers des toreros et serviteurs heureux d’être choisis dans cette époque de crise si difficile pour eux. Les qualités techniques et artistiques ne sont pas, encore moins celles du Juli, en cause mais leur comportement est dangereux et inquiétant.

Nous invitons les aficionados, encore libres, à rester vigilants. Ces spectacles peuvent avoir des aspects artistiques positifs momentanés dans le ruedo, mais ils sont porteurs d’un virus qui entraînera dans un délai plus ou moins proche, la fin de la vraie tauromachie et de notre passion, basée sur une corrida de toros qui, certes a évolué depuis plus de 300 ans, mais qui a conservé des fondamentaux qui expliquent que cette passion de nos peuples du sud existe encore. Qu’en sera-t-il des novilladas et de ces jeunes toreros dans cette nouvelle organisation ? Il est à craindre que seuls ceux qui feront allégeance seront protégés et seront présentés, comme dans les spectacles de music-hall. Ils complèteront la fin de la corrida, en vedette américaine, ou passeront en première partie en cas d’Alternative.

Quelle défense reste à l’aficion face à cette dégradation annoncée qui enlèvera toute l’essence à notre corrida ? L’aficion aurait pourtant un autre combat qui l’attend face aux historiques antis, où l’unité nous paraissait indispensable. Les figuras en ont voulu autrement. Il est à craindre que le système soit en fait détruit de l’intérieur, sans que nos ennemis aient à prendre des initiatives de masse pour nous déborder. Il leur suffira de quelques cas bien ciblés par leurs spécialistes, pour entretenir l’ambiance délétère, soutenus par quelques idéologues bien pensants, pour appuyer par leurs prestigieuses signatures les communiqués animalistes.

Combien de temps résisterons-nous si les toreros en général et surtout les figuras ne nous aident pas ? Pourtant ce sont eux qui ont la solution : démontrer au monde qu’ils sont effectivement des êtres humains supérieurs qui osent affronter cet animal mythique qui, malgré certaines déviances actuelles de l’élevage bravo, reste un magnifique fauve combattant et dangereux. Nous ne doutons pas de leur capacité, notamment de celle de la tête de liste Juli. Il ajoute à ses qualités de torero hors du commun, une habileté et une volonté hégémonique sur la majorité des figuras qu’il entraîne derrière lui.

Ils peuvent nous démontrer que, même s’ils défendent leurs intérêts matériels compréhensibles, ils sont avant tout des toreros d’exception qui se doivent à leur public, mais aussi à leur propre aficion qui, depuis leur enfance, les ont amenés au sommet de leur technique et de leur art. En effet, tous les membres du G5 ont moins de 35 ans. Pensent-ils déjà à leur retraite ou à leur reconversion, pour accélérer une prise de pouvoir il est vrai facilitée par une organisation empresariale décadente ? Ils doivent faire attention à ne pas se tromper d’objectif. Par les temps qui courent, on ne peut pas être dedans et dehors. Le monde de la corrida doit être un, que nous soyons spectateurs, toreros et même organisateurs, même si chacun peut avoir momentanément des intérêts particuliers.

Pouvons-nous avoir confiance en eux ? Méritent-ils notre passion et notre aficion ? S’ils le veulent, c’est sans aucun doute. Dans le cas contraire, il nous reste l’espoir que le magnifique animal qu’est le toro bravo et la passion de jeunes toreros ambitieux pourront la maintenir vivace. Tous les 15 ans, il s’est levé un torero d’exception qui a redonné vie à une corrida qui était parfois chancelante. Il a obligé tous les autres à le suivre dans le ruedo s’ils ne voulaient pas être marginalisés malgré toutes les tactiques qu’ils puissent inventer.

Nous espérons qu’au fur et à mesure que se déroulera la temporada 2014, nous oublierons ce mauvais début d’année qui nous fait douter de ceux que nous admirons.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU

Édito n° 10 – Février 2014