Édito n° 6 – Novembre – décembre 2024

DE L’AUROCHS AU TORO BRAVO       

Les races bovines qui résident de nos jours sur les terres européennes sont, dans leur grande majorité, les descendantes de l’Aurochs Bos Primogenius dont la présence est estimée par les spécialistes à plus de 200 000 ans. Ils sont venus, avec les migrations de l’homme, vers nos terres occidentales en provenance de l’Inde et de l’Asie Mineure. Animal sacré par l’homme, le culte de Mitra apparut 1500 ans avant JC. Il repose sur le sacrifice du taureau égorgé dont le sang coule pour régénérer la nature du monde. N’oublions pas dans la mythologie grecque que Zeus se transforme en un magnifique Taureau Blanc pour séduire et emporter la belle Europe (Pasiphae) jusqu’à l’Ile de Crète. Cette légende nous conduits à Minos, au Minautore, à Thésée et plus tard aux Jeux Taurins Crétois.

Pendant des siècles, l’aurochs s’est déplacé vers l’ouest du continent où l’homme l’a combattu pour sa subsistance et l’a progressivement et en partie domestiqué. Les peintures rupestres datées de près de 30 000 ans avant notre ère d’Albaina, d’Altamira et Chauvet montrent la place du taureau dans ce monde occidental des descendants de l’homo sapiens. Leur admiration apparaît 10 000 ans plus tard dans les fameuses peintures de Villars et de Lascaux qui montrent comment les hommes des cavernes ont osé l’affronter, parfois au péril de leur vie.

Réfugié sous sa forme sauvage dans l’Europe Centrale, le dernier aurochs aurait été tué en Pologne en 1620 dans une scène de chasse. On retrouve aussi sa trace en Sibérie au début du XVIIIème siècle. Selon les textes historiques retrouvés en Pologne, l’aurochs n’avait pas peur des humains. Il se laissait approcher mais il pouvait devenir agressif lorsqu’il était importuné.

Séparons les traces des sous espèces que l’on retrouve notamment sur les bords de la Méditerranée occidentale. Elles existent de nos jours en Sicile, dans les terres du Delta du Rhône et dans les reliefs pyrénéens de Catalogne et de Navarre. Nous retrouvons les descendants de l’aurochs, qui ont conservé le comportement agressif et les physiques proches de leurs ancêtres, dans la Meseta Centrale de la péninsule ibérique. Les troupeaux du sud, particulièrement de l’Andalousie, auraient connu dans des millénaires antérieurs, l’influence de la branche africaine du Bos Primigenius Africanus et Bos Primigenius Mauretanius.

Cette rapide présentation de l’aurochs nous amène, tant au niveau physique que de son caractère, à ce toro offensif dans le campo et surtout dans un milieu fermé face à l’homme qui devra l’affronter à pied au début du XVIIIème siècle, après l’époque des chevaliers. La caractéristique qui nous intéresse au niveau de notre aficion est la combativité et le courage. Cette attitude se rapproche progressivement de celle des toros de combat que l’on nous décrit au XIXème siècle sur les gravures et peintures d’artistes espagnols et français. Elles sont suffisamment précises dans la description de son assaut sur le cavalier qui le provoque armé de sa pique. C’est aussi la charge sur les leurres que les hommes à pied ont créés, la cape et la muleta, pour le tromper et essayer de maîtriser sa violence et de conclure ce combat avec l’épée.

Les récits de Théophile Gautier, Prosper Mérimée… ont fait connaître la corrida aux Français. Ce combat fantastique du toro ibérique, son acharnement sur les chevaux et son agressivité face à l’homme qui se terminait parfois tragiquement.

De nos jours, les aficionados qui suivent avec attention le comportement des toros de combat dans les arènes peuvent distinguer :

1/ Le combat du toro avec sa sauvagerie face au cheval du picador essayant de détruire cet adversaire. Ce comportement combatif apparaît, dès qu’il prend connaissance de cette présence, dans sa course et sa charge menaçante. N’oublions pas sa capacité à dépasser la douleur grâce aux qualités naturelles de sa race et à son puissant système neuroendocrinien naturel qui bloque les douleurs. Cette volonté va continuer dans les deux derniers tiers de la faena, tant aux banderilles que face à la muleta du torero qui doit arriver à templer, à calmer sa violence tout en maintenant son énergie et sa mobilité.

Le toro peut progressivement ou soudainement changer, en devenant plus violent, plus désordonné, plus incertain pendant la faena, parfois même plus dangereux. Ce comportement peut venir aussi de la difficulté du torero à maîtriser ses assauts, à les adoucir. Ce toro a démontré sa volonté au combat, son galop violent face aux différents intervenants dans le ruedo. Il n’atténue pas ses « arracandas » (3) au fur et à mesure de son défi avec l’homme. Le torero doit résister par son courage et sa technique et devra même abréger la faena par la mise à mort.

Je qualifierai ce toro « d’encasté » plus que de toro brave au sens premier des termes.

2/ Dans mon dernier édito sur l’indulto, j’ai fait référence au comportement d’un vrai toro bravo, Cobradiezmos, pendant le premier tiers en 2016 à Séville. Ses attaques réfléchies sur la cavalerie, son galop allègre après le cite du picador avec sa manière de pousser longuement de ses deux cornes sous la pique. Ce n’est pas un combat extrême mais magnifique. Cette attaque raisonnée, résolue et énergique du toro qui accepte le combat en pleine connaissance. C’est cette bravoure qui lui permet de réaliser une faena de muleta templée et continue qui atteint l’excellence. Cela n’enlève pas le mérite du torero qui doit se mettre au diapason de son adversaire pour qu’il soit en condition de réaliser son œuvre. Rappelez-vous qu’Escribano déclara que le toro « se rompio del todo » (se libéra complètement) durant la faena. En fait, cette bravoure répond aussi au qualificatif de courageux. Ce n’est pas que de l’agressivité sauvage. Ce n’est pas non plus un jeu comme parfois certains toros qui paraissent tourner autour du torero derrière sa muleta. C’est la raison pour laquelle, progressivement, ils ne veulent plus continuer cette poursuite. Dans ce cas, ils ne s’intéressent plus et peuvent rompre brutalement leur charge et refuser ce jeu qu’ils n’acceptent plus. Cela correspond parfaitement au comportement du Nunez del Cuvillo, Arejado, à Séville en 2011. Après un tercio de pique bref, le toro commença une faena intense de plus de 70 passes magnifiques dans la muleta de JM Manzanares devant un public séduit. Pourtant, subitement le Cuvillo partit vers les barrières ignorant le torero. Heureusement, il sut le récupérer pour l’entraîner dans une nouvelle séquence brillante qui permit au Président d’indulter Arejado, à la demande du public enthousiaste. C’est le torero qui le gracia par sa réaction immédiate et par son expression artistique et non le toro pour sa seule bravoure. Certains diront que c’est la meilleure tarde de Jose Maria dans la Real Maestranza. N’enlevons pas ce jour-là le plaisir au torero, au ganadero et l’émotion au public. Peut-être la faena était-elle trop longue pour que le bravo maintienne son attitude hors du commun face à la provocation du torero.

Le ganadero au campo, a tenu un rôle essentiel par le suivi des tientas des vaches et des géniteurs sélectionnés dans la recherche de l’évolution de la race encastée depuis le XVIIIème siècle jusqu’à la bravoure. Comme dit Antonio Purroy (1), c’est la « vraie bravoure qui est à l’origine de la noblesse » du toro. C’est elle qui a fait évoluer ce toro aux charges brusques et désordonnées jusqu’à son comportement « boyante » (2) lorsqu’il déclenche son embestida qui ne tient compte que du leurre, parfait dans ses charges franches et rectilignes.

Le toro est l’élément essentiel de la corrida. Ce sont les éleveurs qui ont su faire évoluer une race de bovins sauvages en un animal redoutable, exceptionnel, qui assemble des vertus inégalées dans le monde animal. Nous admirons sa beauté, ses attitudes et le mystère d’évolution de l’énergie naturelle de l’aurochs vers la bravoure. Il peut associer ses attaques spontanées face à son adversaire à pied, avec des moments esthétiques sans pareil que la nature n’avait pas encore permis d’exprimer, même si elle était prévisible.

Les spécialistes pensent que si le ganadero a pu faire évoluer cette bravoure, cette noblesse, c’est que le toro possédait déjà en lui, dans ses gênes, cette capacité qui s’est exprimée dans son combat à la pique et face aux sollicitations du torero à pied. Le monde taurin doit rester préoccupé par la nécessité de maintenir cet équilibre car la volonté d’adoucir le toro bravo peut entraîner la perte de son pugnacité naturelle, de son ardeur et même de sa force. Les résultats ont pu être désastreux sur la faiblesse pendant la deuxième moitié du siècle dernier. Certaines ganaderias ont quasiment disparu par excès d’une sélection erronée pour se maintenir dans les Ferias face aux toreros majeurs du moment.

Heureusement, plusieurs éleveurs ont su maintenir le fondement de leurs toros ou même le récupérer. C’est l’abus de la pression du monde taurin (toreros, apoderados et empresarios) et l’incapacité de résister à ces moments de gloire, qui sont la cause de cette situation. Il faut maintenir l’émotion dans les ruedos en n’oubliant pas le rôle essentiel de la bravoure : la charge, la mobilité sans oublier la noblesse. C’est la résistance à la douleur de la pique qui permettra de maintenir les offensives exceptionnelles comme nous avons pu les voir chez Cobradiezmos et plusieurs de ses congénères.

Pour conserver les fondements de la tauromachie, c’est l’aficion et le public en général qui doivent insister auprès du monde taurin organisateur : professionnels, collectivités ou associatifs. C’est la seule solution pour maintenir la corrida et le toro bravo dans nos fêtes. L’Espagne n’a pas fait suffisamment attention et le regrette maintenant alors que le Ministre actuel de la Culture, anti-taurin avoué, démontre avec la complicité du Président du Gouvernement Pedro Sanchez et des autonomistes, leur acharnement. Je félicite la Fundacion del Toro de Lidia et l’Union de Criadores, unis dans leur action, pour leurs initiatives pour organiser la Liga Nacional de Novilladas et des Actes Culturels ; Ils ont obtenu du Tribunal Suprême la confirmation de la Nature Culturelle de la Tauromachie. ENFIN !!

Je voudrais conclure sur l’affirmation du livre de Fabrice Hadjah « L’écologie tragique – Le taureau par les cornes ». Le philosophe confirme que « le toro de lidia est un grand conservateur de l’environnement. C’est un grand écologiste sans le savoir ». L’homme ganadero qui maintient le toro de nos jours dans la dehesa (4) a créé un système agropastoral de grande valeur environnementale, avec une densité moyenne de moins de 0,5 animal par hectare ce qui permet de conserver cet espace. Le philosophe conclut par sa défense de « l’existence du combat » de l’homme et de ce toro bravo dans la corrida. Nous devons espérer que ces éleveurs arrivent à maintenir le courage et l’agressivité qui viennent de ses origines. Cela sera possible si les ganaderos et les aficionados résistent au monde empresarial et aux politiques qui veulent récupérer les votes écologistes. Pourtant, nous n’avons jamais vu autant de novilleros grâce aux écoles taurines. Les aficionados et le public de leur côté, ne doivent pas se laisser voler cet animal unique par le jeu politique précité et le vote autonomiste, notamment en Espagne et surtout aux Amériques, en collusion avec les « narcos » particulièrement en Equateur, Colombie et même au Mexique.

Nous continuerons à suivre l’actualité de cet affrontement qui a évolué depuis des siècles et se maintient de nos jours malgré les attaques qu’il subit.

TEMPORADA 2025

En France, des organisateurs de spectacles taurins rattachés aux mouvements associatifs ou municipaux, conscients du rôle de la corrida dans la vie de leurs villes, ont annoncé depuis novembre les dates et les élevages de leurs ferias :

Mont-de-Marsan – 16/20 juillet : la Commission Taurine a déjà visité et retenu 5 corridas de toros avec des élevages majeurs : Fuente Ymbro, Escolar Gil, Victorino Martin, El Parralejo, Santiago Domecq Bohorquez et la Novillada piquée de Cuillé, remarquable en 2023 ;

– Dax – 13/17 août : la Commission Taurine annonce pour la Feria d’août et Toros y Salsa de septembre, les élevages approuvés : 7 corridas + 1 Rejon + 1 novillada piquée d’élevages prestigieux : El Freixo (El Juli), Victorino Martin, Pedraza de Yeltes, JP Domecq, Victoriano del Rio, Santiago Domecq, Margé, Murube (rejon), Criado (novillos)

– Vic – 7/9 juin : le Club Taurin Vicois a tenu compte des réactions des aficionados locaux et des assidus de leurs arènes en retenant au campo les élevages : Novillada piquée : Prieto de la Cal – 4 corridas : Saltillo, Dolorès Aguirre – 3 Aranz de Robles et 3 Flor de Jara pour Morenito de Aranda désigné meilleur torero 2024 (sud-ouest). Corrida-concours : Miura, Prieto de la Cal, Villamarta, Veiga Teixera, Pagès Mailhan.

– Céret – 12/13 juillet : l’ADAC, Association des Aficionados Cérétans, annonce sa feria : 2 corridas : Saltillo, Sobral – 1 novillada : Quinta

– Bayonne – 9/13 juillet : après accord avec Dax et Mont-de-Marsan sur les dates pour éviter la concurrence, Bayonne annonce 4 corridas et pour fin août 2 corridas + 1 novillada piquée

– Istres – 13/15 juillet : 3 corridas + 1 novillada piquée. Annonce des cartels le 24 janvier

– Orthez – 27 juillet : 1 novillada Yonnet – 1 corrida : Veiga Teixera et Dolorés Aguirre

MADRID et SEVILLE ont déjà annoncé les ganaderias de leurs temporadas.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU

(1) Antonio Purroy : Professeur à l’Université de Navarre, auteur de plusieurs livres sur l’élevage du toro bravo

(2) Boyante : dynamique

(3) Arracandas : démarrages impétueux

(4) Dehesa : pâturage