EDITORIAL – MARS 2015 (SÉVILLE 2015)

SEVILLE 2015

CRUZANDO EL CHARCO *

Cette expression populaire est encore utilisée par les Espagnols qui traversent l’Atlantique pour les Amériques et vice versa. J’ai eu l’opportunité récemment de « cruzar  el charco » avec comme destination l’Équateur, dans le cadre d’un voyage taurin et touristique. Je me suis rendu compte qu’en dehors, comme chez nous, de quelques exaltés minoritaires ou de « people » en mal de message, les problèmes rencontrés par la Tauromachie dans les pays andins résident dans le comportement des « politiques » toujours à la recherche d’une majorité électorale en s’appuyant sur des énigmatiques alliés potentiels.
Comment expliquer que dans ce pays, le président Rafael Correa ait fait interdire la mise à mort dans les corridas, uniquement à Quito et sa province de Pichincha, suite à un vote dévoyé, repoussé par toutes les autres provinces du pays. Cette décision a entraîné une polémique dans le monde taurin et depuis deux ans, l’arrêt « momentané… » de la Feria de Quito dont les arènes de 15 000 places se remplissaient pendant la Feria du Christ du Grand Poder. C’était un évènement touristique et culturel international qui attirait de nombreux aficionados et touristes américains et européens qui se déplaçaient pour le côté taurin et le magnifique centre historique de Quito. N’oublions pas les environs où l’on trouve la plupart des ganaderias de Toro Bravo à près de 3 000 mètres surplombées par « l’allée des volcans » : Cotopaxi, Cotacachi, Antisana, Cayambe Nevado… à plus de 5 000 mètres ainsi que la magnifique Laguna du cratère éteint du Quilotoa à près de 4 000 mètres.

Comment expliquer cette décision quand on voit et écoute le public des arènes d’Ambato, ville située à 2 500 m, surplombée par le volcan actif Tungurahua.  La Feria qui se déroule pendant le Carnaval à la mi-février accueillait Sébastien Castella, Joselito Adame, Manuel Escribano, Diego Urdiales accompagnés de toreros locaux. Près de 10 000 aficionados chantant debout avec ferveur leur hymne national avant le paseo, provoquent une grande émotion qui se transmet au spectateur étranger que nous étions, au milieu de ce peuple qui défend ses traditions.

Cette décision présidentielle n’est que de la politique politicienne. Ce n’est pas par ce biais que Correa règlera le problème réel des populations indigènes qui vivent pauvrement dans les magnifiques et impressionnantes zones volcaniques (quand les secousses telluriques et les éruptions volcaniques ne viennent pas les perturber). Pourtant, le président, profitant de la « manne » pétrolière, a pris des décisions efficaces importantes durant son premier mandat pour améliorer les conditions de vie de ses compatriotes. Qu’il ne les ternisse pas par des « dictats » populistes intellectuellement et socialement inexplicables.
C’est malheureusement le même type de comportement que celui du Maire de Bogota, Gustavo Petro, qui a interdit depuis deux ans les corridas formelles dans les arènes de la capitale colombienne. Toutes les décisions de l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle lui ont donné tort. Malgré tout, il se montre irrespectueux, tant vis-à-vis des Institutions que de l’Aficion de son pays. Cependant, les dernières injonctions de la Cour qui ont repoussé son recours en nullité, lui ont intimé l’ordre de remettre les arènes en état avant la fin 2016. Cela permettrait de redonner vie aux corridas en 2017.

« Cruzando el Charco », nous remarquons que les dangers qui menacent la corrida de l’extérieur ont les mêmes origines que chez nous. L’Aficion dans les pays sud-américains concernés : Colombie, Pérou, Équateur et Venezuela, est pourtant bien vivante.
En Équateur, les pueblos maintiennent aussi les traditionnelles fêtes des toros qui se déroulent à plus de 3 000 mètres dans les régions volcaniques, le plus souvent dans des corrales en bois avec des toros media-casta. On peut les voir en troupeaux importants côtoyant les lamas et même parfois les alpagas et les vigognes, au pied du fameux Chimborazo qui culmine à 6 238 mètres avec son sommet couvert de neiges éternelles et de glaciers. Ce volcan majestueux est un symbole important pour les tribus indigènes et le peuple du plus petit pays d’Amérique du Sud. Le diamètre terrestre étant plus important en Equateur, ils l’appellent « el punto mas cercano del sol ». Il inspira en 1822 au Libertador Simon Bolivar, un poème étrange « Mi delirio sobre el Chimborazo » qui démontre son impact quasiment mystique dans les Pays Andins.

Revenu chez nous, j’ai constaté que, malgré les beaux discours et les débats du Congrès International de la Tauromachie d’Albacete organisé par la Région Castilla-La Mancha, peu de choses changent et même reviennent à la case départ.
La Feria de Sevilla est à nouveau « contrariée » par les méandres de la guerre entre le G4 (sans Manzanares) et l’empresa Gaonera-Pages. Il y a trop de zones d’ombre dans cette affaire et nous ne voulons pas reprendre des arguments déjà exprimés dans nos prises de position antérieures. Laissons aux aficionados la liberté de choisir leur camp, d’autant plus que la situation est le résultat de conflits ambigus qui nous échappent. Cela devient lassant et même désespérant. De son côté, le gouvernement espagnol n’a pas encore sollicité le Tribunal constitutionnel sur la validité de la décision d’interdire les corridas en Catalogne, alors que la position du Congrès des députés espagnols est sans équivoque. Ce silence est regrettable car une nouvelle fois la Corrida est prisonnière du jeu des politiques.
Les élus espagnols auront-ils le courage de suivre l’appel d’André Viard au Congrès d’Albacete, au nom de l’Observatoire National des Cultures Taurines ? Il les a incités à commencer la démarche auprès de l’Unesco pour protéger la Corrida en demandant l’inscription de la Tauromachie au Patrimoine Culturel de l’Humanité, afin d’éviter de nouveaux déboires causés par un éventuel changement de majorité politique.
Qui mieux que l’Espagne peut prendre l’initiative de cette démarche pour protéger « notre » culture inscrite dans deux continents majeurs de la planète ?  Espérons toujours…

A bientôt pour commenter les premières corridas d’Olivenza, avant les Ferias du « Levante » : Castellon et Valencia, toutes caractérisées par des cartels très conformistes.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Edito n° 23 – Mars 2015

* Traduction littérale : en traversant la mare