POURQUOI ?
Je vous ai annoncé dans le 111ème édito d’avril 2023, ma décision de mettre fin à ces parutions sur le site de notre UTB. La demande pressante de nos sociétaires m’a décidé à reprendre cette publication que je vais essayer de maintenir mensuelle. Cette décision n’était pas préparée. Je ne souhaitais pas jouer le rôle de vieux acteurs ou toreros qui ont annoncé plusieurs fois leur despedida. Cette demande de plusieurs sociétaires et certaines circonstances m’ont poussé à prendre cette décision.
Ce n’est pas l’actualité de cette temporada 2024 qui me passionne. Le comportement des toros, notamment à la San Isidro, est très décevant, sans vraie bravoure ou par leur absence de continuité. Leur physique, trop souvent fuera de tipo, notamment au niveau de leur trapio ou de leur poids, me paraît la cause majeure de cette situation guidée par les vétérinaires officiels. Quelle peine d’entendre Juan Pedro Domecq s’excuser publiquement du comportement de ses toros. Je prends un peu de recul pour voir l’évolution de la temporada en cours.
Mon choix était motivé par l’étonnement de la récente lecture du philosophe Fabrice HADJADJ « Écologie tragique – Le Taureau par les cornes ». L’auteur, de tradition juive, fut militant maoïste athée avant de se convertir soudainement au catholicisme en 1999 dans des circonstances similaires de celles du Diplomate-Académicien Paul Claudel 100 ans plus tôt, un jour de Noël.
Ce livre amène le lecteur à de nombreuses réflexions, à la fois philosophiques et bibliques de l’auteur. Il faut noter ses références aux Écritures de l’Ancien Testament, à la « Cité des Dieux » de Saint-Augustin, jusqu’aux Épîtres de Paul et pourtant, sans oublier de donner une importance au Sphinx de Gizeh et à Nietzsche, pour nous amener aux conceptions des écologies.
Dès le début, on est étonné lorsqu’on prend connaissance de la couverture du livre avec son sous-titre « Le taureau par les cornes » et la présence centrale du dessin représentant un taureau montrant ses signes de sauvagerie. On sent l’intérêt chez l’auteur des symboles de cet animal sujet de notre admiration d’aficionado, relié à l’écologie à la base de l’actualité de nos temps modernes. Notre époque où nos antis confondent volontairement Écologie, Animalisme et Véganisme. Nous savons que le problème est plus complexe.
Dès le chapitre deuxième, le titre « Aux cornes menaçantes », sous-titre « Nietzsche et Saint-Paul Toréadors » attire notre attention. Notre philosophe nous fait remarquer que l’historique philosophe allemand (mort en 1900 après 10 ans de déficience mentale) devenu vieux, revient sur son livre « La naissance de la tragédie ». Il éclaire les premiers pas de sa pensée « Ce qu’il me fut alors donné de concevoir ? (quelque chose de terrible et périlleux) » un problème aux cornes menaçantes (pas nécessairement un taureau sauvage) en tout cas un problème nouveau… » « le problème de la science » elle-même.
Paul, dans l’Épître aux Corinthiens, entre aussi dans l’arène. La course est course et combat : « Si je cours, ce n’est pas sans but et si je me bats, ce n’est pas en frappant dans le vide ».
Revenons plus précisément à l’écologie que l’on qualifie de plusieurs adjectifs :
« Écologie Humaine » qui prendrait une écologie fondée sur l’anthropologie chrétienne qui raccorderait des exigences environnementales et des préoccupations sociales.
« Écologie Conservatrice » qui refuse le progressisme sociétal
« Écologie tragique », formule plus percutante choisie par Fabrice Hadjadj. C’est admettre une tension irréductible à la vie qui se partage entre l’ordre et le chaos, la beauté et la mort. Le philosophe rappelle qu’il y a ceux qui veulent sauver la planète – point de vue orgueilleux – et ceux qui veulent simplement préserver l’environnement – trop modestes. Ceux qui pensent qu’une planète sans l’homme serait plus agréable. Il faut cesser de donner la vie pour préserver les autres espèces. Hadjadj rappelle que la création n’a de sens que pour l’homme qui en prend soin. Il s’élève contre ceux qui idéalisent excessivement la nature. Il rappelle l’exemple des chimpanzés capables des pires atrocités sur leurs congénères. N’oublions pas celui des toros au campo qui s’unissent pour se révolter et pour achever de leurs cornes le chef du troupeau.
« L’écologie tragique » n’est pas la religion cosmique des anciens où l’homme se perdait dans le « grand tout ». Pour Hadjadj, l’écologie tragique articule l’exigence de la sauvagerie et la certitude de la fin. Son exigence n’est pas de durer mais de donner : « La vie se donne. Sitôt qu’elle ne songe qu’à la conserver, elle se perd ». Son modèle n’est pas la jungle mais le jardin. Ou l’arène.
En titrant son épilogue « A Puerta Gayola » – la Porte de la Geôle – il l’accompagne du poème de René Char :
Il ne fait jamais nuit quand tu meurs
Cerné de ténèbres qui crient
Soleil aux deux pointes semblables
Fauve d’amour, vérité dans l’épée
Couple qui se poignarde unique parmi tous
En effet, le philosophe termine son livre par un éloge de la corrida, exemple même d’une écologie tragique : elle met en scène un fait originaire. Face à face, entre l’homme et la nature, sans masquer la part de violence et la mort. Dans l’arène se déploie un art, à la fois indéfendable et irrésistible, comme dit Orson Welles. Ernest Hemingway écrit à ses lecteurs des States, après les corridas de Pamplona « Bullfighting no is a sport, is a tragedy ». L’auteur nous décrit magnifiquement, avec sa culture millénaire, sa langue simple mais éblouissante, cette Puerta Gayola. Je considère qu’il a tout compris. Il a su relier à son texte des citations pleines de profondeur et de lumière.
« La fanfare se tait. Le public retient son souffle. Le torero s’est mis à genoux devant la porte du toril. Il étale sa cape devant lui, à la manière d’un tapis rouge. Il attend qu’on ouvre. Son torse est labouré d’inspirations profondes. Il lutte contre la panique, essaie de dominer son cœur qui voudrait bien déguerpir de sa poitrine. Quel énorme boulet de canon va sortir ? Il ne sait pas. Quelle foudre épaisse vouée à l’embrocher ? »
Pour appuyer son affirmation sur l’écologie tragique de la corrida, il nous rappelle que la corrida actuelle est basée sur un élevage pour l’ensauvagement !! « De par l’élevage qui la fonde, elle en introduit la pratique exemplaire de l’Écologie tragique ». Cet élevage ne vise pas la domestication mais l’ensauvagement. L’éleveur du taureau de combat veille à ce que l’animal ne soit pas manso mais bravo, moins manso que sauvage. Un herbivore féroce est la quadrature du cercle pour nos prairies policées. Plus il se débat, plus il secrète des beta-endorphines, si bien qu’il se sent moins bien sous les caresses que sous les banderilles ! Vous retrouverez ces données plus techniques dans le livre d’Antonio Purroy « Le mouvement animaliste et la tauromachie » qui devrait paraître prochainement traduit en français.
« Le toro de lidia est un grand conservateur de l’environnement. C’est un grand écologiste sans le savoir, un vrai écologiste ». « En même temps, le toro de lidia qui habite dans la dehesa, est un écosystème agropastoral de grande valeur environnementale créé sous l’influence de la main de l’homme ». La densité moyenne de cet élevage est estimée à 0,35 animaux par hectare, ce qui convient parfaitement au maintien et à la conservation de cet espace. Vous voyez bien que les attaques virulentes des animalistes et des végans n’ont rien à voir avec la position des écologistes contre la corrida.
La nature devient une matière dont nous ne pouvons détruire et piller la planète. Le philosophe écarte l’Écologie Complotiste, philosophie des post-modernes pour lesquels « l’homme doit disparaitre (Manifeste Cyborg). Il n’est qu’une parenthèse néfaste dans l’histoire de la vie ».
Ce livre est complet et les connaissances taurines de l’auteur, tant psychologiques, philosophiques que techniques, sont étonnantes. Je tenais à vous le présenter, tant par sa qualité littéraire et philosophique que pour sa conclusion, sa défense de « l’existence du combat » dans la corrida, de l’homme et de ce toro dont j’espère que les ganaderos arriveront à maintenir les caractéristiques essentielles.
Madrid m’a inquiété mais les Victoriano del Rio et les Juan Pedro Domecq d’Istres m’ont rendu l’espoir.
Le responsable de rédaction : Francis ANDREU