Édito n° 10 – Juin 2025

Fotojoe 34

LES FERIAS DU PRINTEMPS

Le début de la temporada 2025 est marqué par une climatologie inhabituelle en Europe en cette saison, particulièrement en Espagne. Alors qu’il a enregistré plusieurs années déficitaires, le territoire espagnol est marqué par des réserves d’eau de près de 70 % en moyenne dans les diverses retenues, les plus élevées depuis 10 ans.

Il faut noter malheureusement la zone de Valencia, malgré les travaux réalisés sur le fleuve côtier Turia après la Grande Riada de 1957 avec des dégâts humains et matériels exceptionnels. Malaga a aussi enregistré la deuxième année la plus humide depuis 1942.

Les résultats négatifs sur les deux régions précitées ont été considérables, le secteur agricole enregistre un coup de fouet positif sur tout le reste de la péninsule. Il faut espérer que ce changement puisse améliorer la situation et la force du bétail sur l’ensemble de la temporada.

La situation des premières grandes férias du printemps est certainement perturbée par ces brutales modifications. Santiago Domecq, déçu par le comportement et le rejet de plusieurs toros à Séville, espère enregistrer une évolution favorable dans les prochains mois avec des conditions climatiques différentes. En fait, l’alimentation est complètement modifiée par rapport à l’appoint des ganaderos (fibres et pienso) qui assure une alimentation équilibrée.

Les « reconocimientos » sur le poids, le trapio, les cornes ont entraîné le refus de plusieurs toros. Certains ganaderos ont même amené 12 toros à Las Ventas pour un lot de 6 « rematés » (1). Dans le lot de Santiago Domecq de la Feria de Séville, les toros étaient inégaux de présentation et de jeu. Ce sont les cinq ans qui ont été les plus intéressants dont Anarquico (5 ans) qui a été honoré de la vuelta al ruedo alors que certains des 4 ans agréés pour le poids et la taille étaient « fuera de tipo » de l’élevage. A Madrid, il faut noter le lot d’Alcurrucen (entre 594 kg et 550 kg) qui ne correspondent pas au type de toros d’origine Carlos Nuñez. Il en était de même pour les novillos qui, comme pour les toros, se sont caractérisés par leur comportement anormal, avec un manque d’ardeur et de mental et une seule oreille pour Aaron Palacio.

Les premières grandes férias de mai ont permis de mettre en valeur l’excellence de Manuel Escribano face aux Victorino Martin de Séville, la constance de Roca Rey malgré le comportement versatile d’une partie du public à son égard, le talent de Talavante malgré son inconstance, le renouveau de Pepe Moral, la confirmation de Toma Rufo et la volonté du jeune Isaac Fonseca face à « Brigadier » de Pedraza de Yeltes. N’oublions pas la sortie en triomphe de David de Miranda par la Porte du Prince de la Maestranza face aux toros d’El Paralejo.

Si je cherche à mettre en valeur les moments d’émotion de cette période, je dois en premier lieu signaler l’interprétation de la tauromachie de Saul Jimenez Fortes. Il est arrivé à la San Isidro après son triomphe dans son pays de Malaga pour la corrida Picassiana face aux Alavaro Nuñez où il coupa 2 oreilles au toro Barredor. Il a toréé à Las Ventas le 21 mai les toros de Aranz de Robles. Face à son second « Charlito », son actuation va marquer la Feria 2025 de San Isidro tant par l’enchantement de tercios de cape à son premier que face au cinquième après ses véroniques, que dans la faena de muleta par une série droitière extraordinaire suivie de naturelles qui léchaient le sable. Il ne faut pas oublier cette superbe trinchera qui ouvrait la faena de muleta marquée par le « duende » du torero de Malaga. Son échec à l’épée, malgré la pétition unanime du public, lui fit perdre les 2 oreilles et la sortie en triomphe de Las Ventas. Fortes laissera un souvenir inoubliable à la Feria San Isidro 2025. Je me réjouis d’autant plus que j’ai connu Saul, novillero en 2010-2011 avant son alternative avec Tomas Cerqueira. J’ai connu les divers incidents qui ont marqué physiquement sa carrière. Il nous a montré que malgré ce, le duende ne l’a pas quitté. Je souhaite qu’enfin, à 35 ans, il puisse être reconnu par le grand public à sa juste valeur. Il le mérite.

Cette tarde à Las Ventas nous permet de parler du DUENDE qui marque certains toreros et artistes. Federico Garcia Lorca, lors d’une conférence, a pu définir ce Duende. « Quand le torero est visité par le Duende, il donne une leçon de musique pithagorienne (2) et fait oublier au public qu’il est train de mettre le cœur entre les cornes ».

Duende n’a pas d’équivalent en français. Il peut désigner l’expressivité extrême tout comme le charme, l’envoûtement. C’est un instant suspendu, énigmatique et indéfinissable, provoquant un résultat d’enchantement et de perfection irréelle. Un au-delà de la maîtrise parfaite du geste technique. Le Duende peut concerner tous les artistes (notamment ceux du Sud : chanteur, danseur, musicien).

J’ai ressenti une émotion similaire en regardant Morante de la Puebla le 1er mai à la Maestranza de Séville face au toro Bodeguera de Domingo Hernandez. Il n’y avait pas la même sensation de toute puissance que chez Fortes mais quelle sensation de ressentir l’émotion de Morante après sa magnifique épée où il avait pris tous les risques sans prendre en compte la corne droite du toro.

Le duende de l’artiste n’est jamais le même suivant les conditions du moment et du lieu comme lorsque Morante dut recourir au descabello pour tuer son toro de Garcigrande le 28 mai à Las Ventas soutenu par la pétition du public. J’aurais pu le comparer à la Feria de Jerez lorsque Morante le 23 mai a coupé 3 oreilles et une queue aux toros d’Alvaro Nuñez qui rappelèrent au public de Jerez les sensations « gitanes » l’accompagnant des « palmas de burleria ».

Il faut noter que les arènes enregistrent un taux de remplissage élevé dans les grandes férias de printemps.

(1) Remate : verbe Rematar – Prêt – Terminé

(2) La gamme pythagorienne est la plus ancienne manière d’accorder les instruments à son fixe (monocorde) utilisé jusqu’à la fin de la Grèce Antique et l’influence de ses philosophes majeures : Socrate, Platon, Pythagore…

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU

Fotojoe34 : Séville 10.5.2019