DE GOYA A NOS JOURS !!
Les membres de l’Union Taurine Biterroise et les nombreux visiteurs de notre musée, ont pu voir l’ensemble de la Tauromaquia de Francisco Goya (1746-1828) faite de gravures numérotées par l’artiste (33 + 7), exécutées à l’eau-forte au début du XIXème siècle. La première édition réalisée par l’artiste aragonais comprend 33 gravures complétées par 7 gravures du Maître réalisées plus tard lors de son dernier séjour à Bordeaux, où il décèdera. Elles font partie de l’édition de l’ensemble de la Tauromaquia réalisée en 1876 par le graveur Etienne Loizelet.
Francisco Goya y Lucientes était un grand amateur du toro de combat hispanique depuis sa jeunesse et l’avait approfondi par la lecture du manuel du grand torero Pepe Hillo.
Goya commence son œuvre par huit scènes représentant des combats entre les toros et les Maures qui occupèrent progressivement l’Espagne pendant près de 800 ans. Dans les huit premières gravures, nous voyons plusieurs affrontements violents de différents intervenants face au toro. Cela n’a aucun rapport avec les jeux et les combats de la tauromachie espagnole qui paraissent dans les 33 (25 + 7) suivantes de la troisième impression.
Les gravures 9 – 10 et 11 nous montrent les affrontements d’un chevalier transperçant d’une longue lance, monté sur son destrier ou celui d’un seigneur à pied achevant avec un glaive le toro blessé dans le début du combat à cheval.
Ces combats que réalisaient des membres de la noblesse espagnole ont eu une réaction négative auprès du pouvoir royal, notamment de la part d’Isabelle la Catholique (1451-1504) qui préférait conserver ses vassaux pour les nombreux conflits qu’elle a connus.
Pourtant, pendant plus de 100 ans, cette pratique a continué. Il faut noter le symbolique Rodrigo Diaz de Vivar connu comme le Cid Campeador et même le Roi d’Espagne Carlos V (Carlos Quinto) qui combattra le toro à cheval avec la lance à l’occasion de la naissance de son premier enfant. Ce n’est que le Roi Philippe V (petit-fils du tout puissant Roi de France Louis XIV, qui concrétisa au début du XVIIIème siècle cette interdiction, appuyé par la Papauté.
Elle apparaît dans l’œuvre de Goya dans l’eau-forte n°12 où l’on peut distinguer un « caballero en plaza » avec une sorte de rejon dont on ne connaît pas les effets (?). Je me rappelle avoir entendu ces termes, beaucoup plus tard, pour qualifier les premiers cavaliers français (Lescot, Fidani…) qui toréaient à cheval en 1950-1960. Le terme Rejoneador apparaît vraiment avec Antonio Cañero, premier cavalier qui marqua son époque avant la guerre civile (1936-1939), notamment à Béziers en 1931 et 1932.
Dans un premier temps, après l’interdiction royale, le peuple espagnol s’appropria ces jeux et affrontements divers face aux toros avec des personnages qui vont intervenir à pied dans le ruedo des plazas, de manière non conventionnelle, avec des prises de risques indéniables face au taureau sauvage. Goya, dans la Tauromaquia, nous montre plusieurs scènes inédites identifiées.
« L’Estudiante de Falces » (14) de Zaragoza, fait preuve d’un grand sang-froid en s’enroulant d’un mouvement harmonieux dans sa propre cape traditionnelle, sans quitter son chapeau d’époque à larges bords, pour réaliser un écart spectaculaire. Goya présente dans plusieurs gravures Martincho qui réalisa des exploits dans les arènes de Zaragoza et Madrid (15 – 16 – 18 – 19). Il cite un toro avec l’épée juste face au toril et il attrape un toro seul par les cornes. Il va même le provoquer seul sur une table au milieu du ruedo comme plus tard en France, dans la course landaise, Don Tancredo qui restait immobile, tout vêtu de blanc, au centre de l’arène, dans les années 1950 ; Cette scène fut reprise par Pablo Picasso dans sa Tauromaquia.
Le saut du toro à la garrocha (20) réalisé à Madrid, était pratiqué occasionnellement au XXème siècle. Le 12 juillet 1970 à Béziers, le novillero Antonio Porras coupa une oreille à chacun de ses novillos de Rocio de la Camara après avoir sauté ses deux adversaires avec la perche.
L’évolution de la tauromachie viendra des anciens « chulos », subalternes qui accompagnaient les chevaliers pour déplacer le toro dans le ruedo avec leurs capes ou faire des quites aux chevaliers en danger dans le combat.
COMMENT ?
Le célèbre poète dramaturge Nicolas Fernandez de Moratin (1737-1789) nous signale particulièrement l’intervention à pied de Francisco Romero de Ronda qui fut l’un des premiers à faire évoluer ce nouvel « art » en utilisant une « muletilla » de la main gauche, en se positionnant face au toro armé d’une épée. Ce leurre n’était au début qu’un tissu de serge rouge enroulé autour d’un bâton (palo) qui lui permettait de citer le toro, de s’en rapprocher et de se positionner avant la mise à mort avec l’épée.
L’Ecole de Ronda de la famille Romero avait choisi l’estocade « a recibir » sur la charge du toro alors que les Sévillans préféraient l’estocade à l’écart qui devint le « volapie ». N’oublions pas que la vue du toro étant latérale pour le positionnement des yeux, il était possible de l’approcher en le citant au centre du frontal, au niveau des cornes. Il existe une gravure, non comprise dans la Tauromaquia, montrant Francisco Romero (1700-1763) tenant ce tissu enroulé sur le bâton et positionné pour citer et tuer son adversaire.
Plus tard la muletilla améliorée deviendra la muleta toujours basée sur une serge rouge qui facilitera la dextérité du torero dans toute son intervention pendant le dernier tercio.
Jose Carlos Arevalo a titré récemment « L’épée créa la muleta et la muleta créa « l’ultimo tercio ». Il est vrai qu’il était impossible de « entrar a matar » avec cette seule épée qui ne pouvait tuer le toro d’une manière louable, qu’en utilisant ce leurre conçu pour fixer ou dévier le regard du toro sauvage avant le « geste » essentiel de la corrida.
Progressivement, au cours des siècles, la muleta a permis au torero de construire, avec l’aide des subalternes à pied et à cheval, des faenas en liant des séries de passes suivies par le toro. En même temps, le toro aussi a évolué grâce au travail des éleveurs, vers l’amélioration de sa bravoure et de ses charges. La qualité actuelle des toreros, dans leur usage de la muleta et de la cape, confirme que la préparation à la phase de la mise à mort est à l’origine de cette évolution. La recherche esthétique n’est possible que si la maîtrise de l’utilisation des leurres est efficace.
Si nous revenons aux origines, nous allons rencontrer Pedro Romero (1754-1839), petit-fils de Francisco. Il est considéré comme l’un des toreros majeurs de l’histoire, tant par son courage que par sa maîtrise dans cette époque où les toros sont très proches de l’animal sauvage original. Plusieurs informateurs ont confirmé qu’il a tué près de 5000 toros dans sa carrière. C’est lui que Goya montre dans la gravure 30 préparant l’entrée à matar.
Plus tard, la corrida vivra une véritable organisation dans son déroulement. Francisco Montes, natif de Chiclana, torea de 1830 à 1849 et marqua son époque. Outre son comportement exceptionnel dans le ruedo, il va imposer au monde taurin par son « Traité de la Tauromachie » la formalisation des trois tercios, qui régissent encore le déroulement de la corrida.
Dans les gravures de 23 à 28, il n’oublie pas les hommes à cheval (picadores) dans des situations très difficiles, en danger sur le cheval au moment de la pique. Ils interviennent souvent pour protéger le torero qui s’approche du toro. La gravure 33 le montre attaquant le toro pour essayer de sauver le torero Pepe Hillo de la mort en 1801.
Ils ont un rôle majeur dans les cuadrillas. Vêtus d’une veste de velours brodée d’or, les trois picadores armés d’une longue lance, montés sur leurs chevaux, rentrent en tête du paseo devant les espadas (matadors), suivis des banderilleros. Leur pique n’a rien à voir avec les lances des anciens chevaliers. Elle a pour but de permettre au matador de commencer à s’approcher du toro. Il existe au Musée Taurin 5 embouts différents de ces lances qui ont été modifiés dans le temps pour ne pas trop affecter la force des toros. Cette collection est la seule connue en France.N’oublions pas en 1928, la création du « peto » protecteur du cheval qui représente une étape importante vers la corrida moderne.
Sur la gravure 30, Pedro Romero est habillé dans le traje taurin classique de l’époque, qui est proche de celui de Sébastien Castella qui est installé au centre de la salle Goya de notre Musée taurin biterrois utilisé de nos jours lors des corridas dites « Goyesques », représentant ces spectacles taurins du XIXème siècle. Nous pouvons citer le trio d’une corrida de figuras de la première génération à Madrid en 1788 : Pedro Romero, Pepe Hillo et Costillares. Ils ont marqué leur époque avec déjà des styles personnalisés.
Nous pouvons nous interroger POURQUOI les artistes, sociologues, écrivains français de premier niveau et même l’anglais Lord Byron, ont été submergés par l’émotion provoquée par la corrida de toros à l’occasion de leurs voyages en Espagne entre 1830 et 1850 :
– Prosper Mérimée en 1830 « Ce spectacle est si intéressant, si attachant, produit des émotions si puissantes qu’on ne peut renoncer à la première séance » ;
– Alexandre Dumas en 1845 écrivit dans la « Mort de Carmen » : « après un premier sursaut de rejet, les combats de taureaux sont un spectacle dont on ne se passe pas » :
– Théophile Gautier « La corrida n’est pas une passade, un exotisme à la mode, une lubie de dandy mais une passion durable qui le transporte et qu’il aime » ;
– Edgar Quinet dans « Mes vacances en Espagne » écrivit « Je pris plaisir à décrire cette renaissance de l’Espagne ».
Ces personnages intellectuels majeurs de la France du XIXème siècle avaient une image positive pour une grande majorité de lecteurs. Même de nos jours, ils conservent une valorisation spirituelle indéniable. Pourtant, une partie, peu représentative de la classe philosophique, idéologique, journalistique française de la moitié du XXème siècle, beaucoup moins emblématique que ces célébrités, ont osé écrire des commentaires hostiles et irrespectueux sur leurs prédécesseurs.
N’oublions pas, 100 ans plus tard, le livre de Jean Cocteau « La corrida du 1er mai » qui n’est pas un roman mais une réflexion, une pensée écrite par le poète dessinateur, dramaturge et Académicien français. Il fut impressionné par la corrida qu’il vit à Séville le 1er mai 1954 à laquelle participait le torero Damaso Gomez qui lui brinda son toro en lui envoyant sa montera. Ce brindis déclencha chez lui tous les éléments du lyrisme qui sont réunis dans cette corrida : le poète et son processus de création, les mythes, la mort, la femme, le flamenco, le merveilleux et tous les personnages espagnols qui l’ont marqué : Manolete, Lorca et surtout Pablo Picasso. Il reconnaît le caractère exceptionnel que peut atteindre cette vision. Les adversaires « par principe » de la corrida n’ont pas osé remettre en cause l’effet du texte du Maître Jean Cocteau.
Comme quoi !!!
Je reconnais que la corrida du début du XIXème siècle au début du XXème était un spectacle très dur, fait de violence et de courage, mais aussi de grandeur. C’est ainsi que ces personnages majeurs français l’ont vue et décrite. Je souhaiterais vous faire connaître le texte qu’a écrit en 1846 un intellectuel français, Alexis de Valon, sous le titre « La Decima corrida de toros », après un voyage qu’il avait organisé pour voir les corridas à Madrid, après avoir lu les œuvres de ses prédécesseurs. Il présente plusieurs intérêts pour ceux qui voulaient mieux connaître cette histoire, cette époque de la corrida qui n’était pas encore arrivée en France. Il écrivit en préambule « Je vous conterai, si vous le permettez, une tragédie dont je fus le témoin il y a peu de mois à Madrid et qui me parut plus émouvante que tous les drames de Shakespeare ». Cette description, complétée de la Tauromaquia de Goya, ajoutant l’image, l’histoire et le texte me paraît essentielle à celui qui veut comprendre « Ce qu’était le temps d’avant ».
Le responsable de rédaction : Francis ANDREU
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