Édito n°7 – Octobre 2013

APRÈS L’ÉTÉ 2013…

Nous sommes forts inquiets de l’évolution du monde taurin qui, certes, n’a jamais été un paradis où la probité et l’angélisme régnaient. Le romantisme a quitté la tauromachie depuis longtemps mais, de nos jours, l’évolution est franchement préoccupante car 3 ou 4 personnes bloquent le système dans leur unique intérêt et leurs discours, parfois idéalistes, ne trompent que ceux qui veulent bien l’écou­ter. Ils ne laissent « passer » que ce (ou celui) qui leur convient car cela ne leur fait pas d’ombre et que « certains » pourraient être utilisés plus tard dans le cadre de nouveaux accords. Les toreros figuras et leurs représen­tants utilisent les techniques de marketing comme pour lancer un nouveau parfum ou une nouvelle voi­ture. Nous avons constaté les effets négatifs du système même si, soit par intérêt, servilité ou « compa­gneurisme », certains veulent nous faire croire qu’ils ont vu des « choses » extraor­dinaires. Les « montages », les mano a mano, les encerronas ont continué à marquer l’été taurin. Ils n’ont rien apporté, bien au contraire, car la répétition enlève toute surprise, lasse les vrais aficionados et même le grand public.

Si l’on veut entrer dans le détail, il est regrettable de constater que les figuras qui devraient être des loco­motives du système, ne le tirent pas vers le haut pour améliorer la situation face à la crise. Le statu quo leur va très bien. Les manœuvres enfantines de marketing qui ont fleuri dernièrement sur le net (place gratuite pour les jeunes, toreo de salon public avec les enfants, entrevistas…) ne trompent personne et n’ont aucune efficacité, car tout doit se résoudre dans les ruedos et non dans les « oficinas » de relations publiques.

El Juli qui avait démarré en trombe la temporada, a vu malheureusement son élan stoppé par la bles­sure de Séville dont il a tardé à se récupérer. Il est revenu sous la pression pour retrouver son état de grâce antérieur… Le reste de sa temporada (notamment juillet, août et septembre) a montré « Julian » avec son envie de rester le « leader » et le « patron » du système, triompher dans certaines arènes sans convaincre vraiment. Son toreo dominateur a perdu la sérénité et l’élégance qu’une figura de son rang doit conserver pour être le grand torero qu’il est, surtout devant des toros triés sur le volet.

Manzanares, de son côté, n’a pas connu la grande temporada que nous avons vue il y a 2 ans, avant ses blessures à répétition à la main de 2012. Lui aussi a perdu sa sérénité et surtout la « dimen­sion » de son toreo. Même sa très belle faena des Vendanges à Nîmes, pleine de majesté et d’esthé­tisme, n’a pas eu la profondeur que l’on pouvait attendre du magnifique torero d’Alicante devant un extraordinaire Garci­grande qui alliait une grande noblesse et un galop impressionnant qui ont donné à la faena une grande émotion.

La crise économique, très sensible en Espagne, accentue le phénomène car le gâteau à se partager est plus petit. L’intérêt des 5 « grands » est de maintenir l’équilibre existant et de ne donner un ticket d’entrée qu’à ceux qui ne gênent pas et qui en plus, pourront servir à l’avenir.

Malgré ce, nous avons noté des éléments positifs :

La montée en puissance de Perera dont les qualités techniques et la maîtrise devant le toro sont impressionnantes même si sa tauromachie manque « d’âme » et de « sentimiento » que l’on peut exiger d’un tel torero, surtout devant les ganaderias qu’il affronte. Sans vouloir diminuer sa tauromachie, c’est un numéro de « dompteur » sans la touche artistique et l’émotion que l’on peut en attendre. Le maestro Paco Ojeda, dans son époque de gloire, avait un rayonnement, une majesté que le torero d’Extremadura n’arrive pas à nous transmettre, même si sa tauromachie est inspirée de celle du torero de Sanlucar « ojala lo consiga » ! (pourvu qu’il y arrive)

Enrique Ponce nous a fait rêver à Bilbao et espérer qu’il veuille, avec la même ambition, se mêler à la lutte pour reprendre le leadership. Il est vrai que pour lui, le coso de VIstalegre (de Bilbao) a été un lieu de prédilection tout au long de sa carrière, avec un public qui « attend » le maestro de CHIVA avec admiration et chaleur. Il faut espérer que pour la temporada prochaine, PONCE revienne avec des intentions conquérantes car il pourrait « faire bouger les lignes » et pousser le reste de ses collègues vers l’excellence. Il n’est qu’à voir son effet dans la Goyesca d’Arles où ses deux compagnons au cartel ont montré une volonté et une détermination, certainement motivés par sa présence au paseo à leurs côtés.

Nous retenons aussi la temporada d’Antonio Ferrera qui démontre que sa technique, sa maîtrise, jointes à son « pundonor » et à son ambition retrouvée, nous font espérer un renouveau inattendu. Comment oublier ses deux actuations devant les Adolfo Martin de la San Isidro. COLOSSAL. L’apoderamiento par Raul Gracia « El Tato » paraît avoir changé la mentalité du torero de Badajoz qui nous avait habitués à plus d’instabilité…

Manuel Escribano, la révélation 2013, tant en France qu’en Espagne, a été stoppé brutalement dans sa temporada par la très grave blessure infligée par un toro de Flor de Jara. Les mois d’août, septembre et octobre auraient pu lui permettre de confirmer cette année magnifique, en faisant le paseo à Arles, Nîmes (où il n’a jamais toréé même novillero ?), Albacete, Logroño, Zaragoza… même si Madrid n’avait pas encore prévu sa confirmation d’alternative que l’on pouvait espérer dans de bonnes conditions durant la Feria d’Octobre ? Découvert accidentellement par le grand public grâce à la substitution du Juli à Sévilla, le torero de Gerena a démontré que le système ne fonctionne pas puisqu’il écarte, depuis près de 10 ans, des talents et des ambitions qui peuvent faire évoluer le « marché » (excusez-nous d’employer un terme aussi déplacé mais malheureusement conforme à la réalité). Escribano, outre ses qualités « toreras », a la faculté naturelle de transmettre avec le public car son envie, sa joie de toréer ajoutées à son esthétisme, ne peuvent qu’impacter sur le spectateur. Il faut espérer que Manuel se rétablisse complètement de cette gravissime blessure afin, qu’en 2014, il puisse confirmer et se repositionner dans l’escalafon, comme pouvait le laisser espérer sa temporada. Il est de ceux, non atteints par le conformisme, dont nous avons besoin pour faire évoluer les choses, si on leur laisse le temps et les lieux pour le démontrer.

En ce qui concerne les toreros français :

Sébastien Castella continue à sa place dans le monde taurin, installé avec les « premiers ». Il est regrettable que le comportement des 6 toros affrontés le 16 août à Béziers ne lui ait pas permis d’atteindre dans sa ville les sommets qu’il espérait pour un telle journée, dans laquelle il avait beaucoup investi pour en faire un événement important dans sa carrière.

Jean Baptiste (Bautista) a démontré cet été, tant à Béziers qu’à Arles, qu’il était un excellent torero dont le classicisme et la pureté, qui s’appuient sur une technique éprouvée, sont remarquables, sans oublier sa régularité avec l’épée.

Les toreros restent des êtres « supérieurs » qui osent s’affronter à la bête extraordinaire qu’est le Toro Bravo, malgré les dérives de certains élevages. C’est leur entourage professionnel et leur volonté de fermer le système, afin de garantir aux uns et aux autres la maîtrise de leur « négoce » qui, avec la complicité passive ou active des médias, sont à l’origine de l’évolution que nous dénonçons.

La crise économique et ses conséquences (400 corridas ou novilladas de moins qu’en 2007-2008) ne font qu’accentuer leur volonté de maîtrise de la tauromachie en Europe. Cette « stabilité » recherchée à tout prix ne peut être que négative pour le public, l’aficion et le monde taurin dans son ensemble. L’aficionado a aussi sa part de responsabilité dans cette situation. Nous en reparlerons prochainement.

n° 7 – Octobre 2013