ÉDITORIAL

« IL ÉTAIT UNE FOIS…« 

Cet intitulé fut longtemps utilisé pour présenter les histoires et les contes merveilleux pour les enfants. Traduit en anglais Once Upon a Time, il a maintenu cet usage. Il eut plus récemment, en 1968, une utilisation commerciale pour présenter le film de Sergio Leone aux États-Unis Once Upon a Time in the West alors que son metteur en scène aurait préféré la version italienne C’era una volta… il west. La musique originale du film d’Ennio Morricone est un grand classique resté dans notre mémoire. Chaque fois qu’elle sonne à mes oreilles je l’écoute avec nostalgie, avec les images de cette histoire, référence des évènements mystiques et symboliques de l’histoire de l’Ouest américain au XIXème siècle. Le film de Sergio Leone est basé sur l’arrivée du chemin de fer dans les territoires nouvellement conquis de l’ouest des states américains, avec des personnages typiques de l’arrivée de ce modernisme et de la création de richesses dans ces lieux désertiques : les travailleurs, le truand et ses complices, la belle et le héros vengeur et redresseur de torts accompagné de l’inoubliable musique de son harmonica. Ce titre évoque une époque symbolique d’un changement du monde. Cette musique et ces images m’ont inspiré pour ouvrir l’évocation (il était une fois) du monde de l’auroch vers le toro de combat jusque dans les régions du Sud en commençant dans les territoires orientaux pour évoluer vers l’ouest méditerranéen.

IL ÉTAIT UNE FOIS LE BOS TAURUS 

C’est l’histoire de l’évolution des contacts entre l’Urus, ancêtre de l’auroch (Bos Primogenus) et l’homme de Cro-Magnon (Homo Sapiens) dont le but était de tuer cet animal puissant et dangereux pour vivre grâce à la ruse et à la force du groupe tribal. Pendant l’Antiquité, les peuples qui vivaient en Perse, en Mésopotamie, ont laissé des traces de ces rapports et des sacrifices de l’animal-Dieu. Le dernier livre d’André Viard « La Chair et le Sens, une religion du taureau » présenté à l’UTB le 16 juillet 2021, décrit avec précision cette époque. Plus tard, l’homme-chasseur va attaquer l’auroch pour le tuer en utilisant son intelligence basée sur son courage.

L’un d’entr’eux va même montrer sur les murs des grottes, cette lutte basée sur l’esquive il y a près de 25 000 ans (Villars – Dordogne) Roc de Sers (20 000 ans) ou périr comme à Lascaux 17 000 ans. Plus tard, le chasseur-cueillir, l’homme, tout en se dirigeant vers l’ouest, devient agriculteur-éleveur en commençant à domestiquer l’auroch et ses troupeaux pour se déplacer. L’auroch retrouvé souvent sur les murs des grottes et le bison d’Europe (Bos Benassus Linaeros) veut se cantonner dans le nord/nord-ouest de l’Europe. Si le dernier auroch sauvage a été officiellement tué en 1620 par l’homme qui le chassait à cheval, les populations des zones polonaises ont pu sauver ce bison qui existe de nos jours à l’état semi sauvage. On peut les évaluer à quelques milliers répartis dans les pays de l’est. Au sud de nos territoires, le Biù de Camargue, le Betizu basque, la Massanaise des Pyrénées-Orientales et les toros ensillados (ensellés) de Navarre : Carriquiris que Goya a dessiné au XIXème siècle, sont des races qui ont peu évolué depuis des milliers d’années. Les races espagnoles semi sauvages de la Morucha de Salamanque et la Retinta d’Andalousie seraient plutôt le résultat de la domestication de l’auroch.
Les chercheurs considèrent que le Bos Primogenius a évolué aussi dans l’implantation de ces peuples vers l’Afrique du Nord (Bos Primogenus africains et le mauritanien). Les spécialistes espagnols pensent que cette branche de Bos africanas aurait fait un apport non négligeable en Espagne par le Détroit de Gibraltar au cours de la Préhistoire.

Le toro de combat ou toro de lidia est le résultat des échanges entre toutes ces races migratoires et la race spécifique ibérique qui s’installe surtout dans le Sud (Andalousie, Extremadura jusqu’aux limites des territoires de la Mancha). Dans la Tauromaquia, Goya montre le rôle majeur qu’ont joué les envahisseurs arabes pendant 5 siècles en utilisant ces Bos pour des jeux et combats sanglants. Après la Reconquista, les combats sont réservés aux seigneurs à cheval avec la lance comme ont pu le faire les seigneurs francs et wisigoths dans les forêts du nord et de l’est de l’Europe avec les aurochs. La décision du Roi d’Espagne Felipe V de nier ce droit à la jeunesse des nobles ibériques va être l’évènement majeur de la culture tauromachique en Espagne pour la faire évoluer vers la corrida. Il faut évoquer le rôle d’Hernan Cortes dans le rôle que va jouer la corrida dans l’implantation de nouvelles normes spirituelles dans les Amériques du Sud. En 1520, Hernan Cortes et ses compagnons espagnols s’emparent du Mexique pour le compte du Roi d’Espagne. Quelques années plus tard, il amène des toros pour le combat. En implantant la corrida de toros présentée aux populations indigènes comme un nouveau sacrifice opposé aux sacrifices humains pratiqués dans ces terres : il devint le Toro de Lidia.

Progressivement, les jeux pratiqués avec les toros de races hispaniques : Navarrais, Castilla, Salamanca et Andalous vont démontrer une agressivité au combat que la noblesse va affronter dans les Plazas Mayors ou les Plazas de Toros conçues à cet effet dans les pueblos. Les exemples les plus fameux de ces combats sont : Le Cid (Rodrigo Diaz de Vivar en 1090 ( ?) et l’Empereur Charles Quint dans la Plaza Mayor deValladolid en 1095. La disparition du combat à mort avec le toro sauvage et bravo dans les arènes pour les seigneurs espagnols va accentuer la volonté du combat à pied avec le picador, ancêtre de la corrida moderne. Le personnage le plus connu de cette période est Pedro Romero qui commença comme seconde épée dans la cuadrilla de son père Francisco Romero connu pour être l’inventeur de la mise à mort à l’épée avec l’aide de la muleta. Pedro Romero terminera comme Directeur de l’Ecole Taurine de Séville créée en 1830 par le Roi Ferdinand VI.

Ses meilleurs élèves, Pepe Hillo et Cuchares, vont inventer l’estocade al volapie alors que les Rondeños tuaient al recibir. La corrida va s’institutionnaliser avec les écrits des maestros de l’époque, Pepe Hillo et surtout Francisco Montes Paquiro qui écrivit en 1836 La Corrida completa o el Arte de Torear en Plaza. J’ai retrouvé une parution d’Alexis de Valon de 1846 dans la Revue des deux mondes qui continue de nos jours à paraître par des articles de qualité commentant les actualités. M. de Valon intéressé par les écrits de ses fameux prédécesseurs, Prosper Mérimée et Théophile Gautier, décide d’aller voir cette corrida à Madrid qu’il décrira dans La 10ème corrida de la temporada. Cet intellectuel voyageur français estime que l’ancienne tradition de combattre le taureau à la lance, interdite par Felipe V, est beaucoup moins dangereuse en comparaison avec l’actuelle intervention du lidiador qui pour tuer doit attaquer le toro de front, frapper en face, à une place donnée, en passant le bras entre les deux cornes. Valon nous décrit la course qui selon lui fut la plus belle de l’année : C’était un animal énorme, presque noir, dont chaque mouvement trahissait à la fois la force prodigieuse et la légèreté surprenante. Il nous décrit deux hommes exceptionnels à ses yeux : le picador Gallardo et le matador Chiclanero, neveu du grand Montes qui sauva la vie du varilarguero dans les affrontements terribles avec la cavalerie, le même toro tuant 3 chevaux. Pour lui, la scène de la mise à mort : C’est le moment de l’une des émotions les plus violentes qu’il soit possible de supporter. Le récit d’Alexis de Valon est passionnant. Cet homme, en plus des références visuelles de la corrida, s’est très bien informé sur les détails auprès des acteurs directs du spectacle et décrit et explique parfaitement la sauvagerie, l’agressivité et la puissance de ce toro bravo du XIXème siècle ainsi que le courage exceptionnel du picador Gallardo et l’habileté, la prestance, l’ardeur et l’héroïsme du torero El Chiclanero, notamment au moment de l’estocade. L’homme et la bête se mesurent avec une rage muette. En ce moment, votre cœur roule dans votre poitrine et votre respiration s’arrête.
C’est la corrida du toro bravo et de ses personnages principaux. Sans ces fondements, la corrida n’aurait pas existé et ne se serait pas maintenue. Sans cet animal exceptionnel et sans ces héros, nous n’aurions pas assisté de nos jours à la corrida : ce combat entre l’homme et le taureau sauvage. La corrida de toros continua selon les mêmes principes, basée sur la volonté d’affrontement pour le toro, la témérité et l’intelligence pour le torero.
Les seules évolutions sur les principes de la corrida jusqu’à nos jours ont été :
– l’apparition en 1920 du peto protecteur pour le cheval du picador alors que la corrida pouvait se terminer par une hécatombe de chevaux de pique ;
– plus tard dans les années 60, le marquage au fer des toros du dernier chiffre de l’année de naissance qui doit avoir 4 ans pour être considéré comme animal adulte et 6 ans maximum.
De 1850 à 1900, la corrida a suivi une lente évolution par l’éclosion de toreros majeurs qui ont marqué leur temps par leur technicité et leur personnalité face au toro. Je choisirai Bombita, Cuchares, El Espartero, Frascuelo, Guerrita, Lagartijo, Mazzantini… Le toro a évolué lentement dans sa bravoure par la volonté des ganaderos. Pour autant, il est toujours difficile à fixer pour des faenas maîtrisées pleinement par le torero.
Nous arrivons début du XXème siècle lorsqu’en 1908 un jeune sévillan connu du nom de Gallito se fait connaître à 13 ans dans les tientas en Andalousie. Il est le frère du matador Rafael El Gallo torero connu pour sa tauromachie inventive mais fantasque. Très précoce à 15 ans, Joselito El Gallo va occuper la première position dans le toreo de l’époque par sa facilité, sa connaissance et ses qualités physiques. On dit que les fameux Machaquito et Bombita se retirèrent du toreo face à cet adversaire exceptionnel.
En 1910, un jeune du barrio de Triana, Juan Belmonte, torée son premier becerro. Dès le début, il étonne tout le monde taurin par sa conception statique de positionner son corps face à l’animal, avec des gestes étonnants et impressionnants. A ses débuts, personne ne croit qu’il puisse maintenir cette tauromachie novatrice. En fait, la rivalité entre Jose Gomez Joselito et Juan Belmonte, dans leur tauromachie si différente, va bouleverser le public entre 1914 et 1920.

IL ÉTAIT UNE FOIS L’ÂGE D’OR DU TOREO

Les aficionados admiratifs de ces deux phénomènes vont assister à un changement total apporté par Juan Belmonte au toreo et au toro. Toujours impassible, il aurait déclaré que la bravoure du toro devait évoluer vers la noblesse. Dans les années 20, plusieurs toreros vont mourir des suites de leurs blessures en voulant suivre la tauromachie du Pasmo de Triana, Domingo Dominguin, le père de Luis Miguel et de la fameuse fratrie, abandonna les ruedos en 1922 et prend en main le jeune Domingo Ortega déclarant que la tauromachie de l’immobilisme de Juan Belmonte est insoutenable devant les toros de cette époque. Il formera la technique très personnelle du Maestro de Borox qui toréait en marchant avec une maitrise et une classe étonnantes.

C’EST LE TEMPS DE LA BRAVOURE ET DE LA NOBLESSE DU TORO

A partir de Manolete, la tauromachie va exploiter cette évolution du toro marquée par le stoïcisme et le toreo sacrificiel grâce au temple exceptionnel du Maestro de Cordoba. L’évolution de la bravoure vers la noblesse ne consiste pas à supprimer l’agressivité indispensable à la charge du toro, son galop, sa bravoure face au cheval. Il ne faut surtout pas en faire un adversaire tontito, mollasson et simplement obéissant. J’ai pu constater dans mon parcours d’aficionado, l’apparition des maestros qui ont fait faire une transformation étonnante à l’expression tauromachique exigeant des autres un effort pour les suivre.

J’ai personnellement admiré le toreo complet, tant à la cape qu’à la muleta, de Paco Camino avec un temple naturel moins compassé que celui du Faraon de Camas Curro Romero dont je reconnais la majesté que l’on ne retrouve pas chez ses élèves actuels, Diego Urdiales et le jeune Pablo Aguado. Rafael de Paula, lui, est resté inimitable dans son toreo de cape jerezano. L’arrivée en 1985 de Paco Ojeda a créé un choc important dans le monde taurin. La tauromachie d’Ojeda ne se limite pas à l’encinisme que l’on voit un peu trop de nos jours. Son toreo est empreint de puissance et de majesté.
Jose Tomas a voulu tout bouleverser dès son apparition à la fin des années 90 par son toreo fait de temple, d’immobilisme, en se positionnant dans le terrain du toro afin de l’obliger à charger sa muleta. Cette volonté a entraîné des blessures très graves qui l’ont certainement amené à arrêter précocement sa carrière. C’est le seul torero à remplir plusieurs fois de nos jours les arènes dans tous les pays des mondes taurins. Certains l’ont appelé l’extra terrestre, lui qui déclara : Quand je vais toréer, je laisse mon corps à l’hôtel. Il affronta le danger sans concessions ni artifices. La temporada 2022 exceptionnelle de Morante de la Puebla et la confirmation du jeune Andrès Roca Rey démontrent que la corrida est vivante. Ce n’est pas du passé même si les prédécesseurs créateurs étaient nécessaires.

Je conclurai qu’il existe cet art particulier dans nos terres du Sud depuis des siècles, issu d’une tradition d’admiration du toro de combat que les hommes exceptionnels, toujours régénérés, ont accepté de combattre depuis des siècles pour le magnifier, sans esprit de cruauté comme veulent le faire croire nos adversaires animalistes, végans, soutenus par des politiques opportunistes.
Je laisse à nos représentants de l’Observatoire National des Cultures Taurines et de l’UVTF le soin de prendre toutes les initiatives pour faire face à l’attaque ignoble d’un député végan et antispéciste dont la carrière à ce jour dans la presse et le petit monde du spectacle (?) démontre des à priori dangereux. Nous devons êtres prêts à toutes les actions pour défendre notre vie, même imparfaite et les souvenirs des pays de nos anciens.

Qu’em d’aqueth pais deus qui nos an aimat !! (Nadau)
Nous sommes du pays de ceux qui nous ont aimés !!

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 108 – 2022
(Images extraites du catalogue de l’expo Tauromachies universelles de l’UVTF)