ÉDITORIAL AOUT 2019

MA FERIA 2019

J’ai manifesté à plusieurs occasions mes inquiétudes sur l’évolution de la tauromachie de la Feria de notre ville, ainsi que de son aficion. Mais nous vivons d’espoirs. Trois évènements avaient marqué l’annonce des cartels de la Feria 2019 :
– la présence de Sébastien Castella avec Andrès Roca Rey dans la corrida d’ouverture du 15 août face aux Cuvillo ;
– cette journée s’inscrivait dans la Scénographie de la Corrida Méditerranéenne de Loren Pallatier et ses Bleus Minotaure. Elle a été réussie, tant au niveau esthétique que symbolique. Je regrette qu’elle n’ait pas été suffisamment médiatisée et mise en valeur dans la communication événementielle de la Feria et de la Ville. Pourtant, elle correspondait parfaitement à la mythologie, à l’histoire méditerranéenne et aux valeurs du Sud que nous voulons défendre face aux critiques systématiques, injustes et perverses dont nous sommes l’objet ;
– le retour des toros de Robert Margé. On savait qu’ils avaient 5 ans et qu’ils étaient d’une constitution physique sérieuse. Je ne me suis pas permis de commenter tous les cartels à l’annonce de la Feria pour ne pas créer de doutes dans le public potentiel de nos arènes. En fait, je regrette que Daniel Luque, au sommet de son art depuis 2018, n’ait pas été inclus dans la corrida du 16 août avec Léa Vicens et Pablo Aguado. La présence d’Emilio de Justo aurait été mieux adaptée dans la corrida du lendemain face aux Margé. Quant au mano a mano Octavio Chacon et Juan Leal (étoile montante triomphateur de la Feria 2018), je ne vois pas la competencia (concurrence) à mes yeux nécessaire dans ce type de corrida.

La Feria 2019 s’ouvrait donc sous de bons auspices, dans un climat plus serein que celui des deux années antérieures. Les évènements extérieurs avaient transformé le centre-ville et le quartier des arènes en camp retranché pour des aficionados et des festaïres protégés d’éventuels incidents provoqués par des trublions. De même, l’affiche retenue pour la Feria 2019 était plus adaptée à la célébration de la fête sudiste que celle de 2018 qui correspondait plutôt à une exposition photographique. Cette année j’ai apprécié :
– l’organisation sur la place Emile Zola, lieu identitaire de la vie d’un ancien quartier agréable de notre ville, d’une animation quasi permanente autour de la tradition du cheval et du toro (Toros y Caballos). L’idée est bonne et redonne à ce lieu une image plus symbolique et vivante que celle d’un parking. Cette place, à partir de l’évolution du quartier au début 1900, était un lieu où il faisait bon vivre, avec ses brasseries, ses joueurs de boule, son bal de quartier et ses feux de la Saint-Jean. J’y ai passé deux bonnes soirées. Je pense que malgré ce, on doit améliorer le site, le déroulement des tertulias et accentuer le côté festif par un meilleur éclairage.
– L’embellissement du ruedo le 15 août par le labyrinthe bleu adapté aux cercles traditionnels du déroulement de la pique, toutes les nuances de bleu porteuses de la toreographie des jeunes toreros biterrois sur les talanqueras et les burladeros de Minotaure que l’on peut retrouver après la bataille maintenant au Musée Taurin.
– La présentation morphologique globale du bétail, même si je regrette le surpoids apporté par l’éleveur aux petits toros de Cuvillo (notamment le premier) et mes interrogations sur 2 d’entr’eux qui avaient près de 6 ans : 5 ans et onze mois ? Les Cuvillo ont gâché le déroulement de l’événement du 15 août qui aurait pu être triomphal malgré l’absence de Roca Rey.
– Le lot des toros de Margé, bien présentés, a confirmé dans le ruedo le physique et le sérieux de leurs 5 ans.
– Le lot exceptionnel de Pedraza de Yeltes, le meilleur que le ganadero ait présenté à Béziers, tant dans la présentation que dans le comportement.

Le vent violent et le manque de caste des Cuvillo n’ont pas permis à Sébastien Castella et Perera de démontrer idéalement les caractéristiques de leur tauromachie. Sébastien m’a confirmé son grand moment, tant au niveau technique, que sa maîtrise du combat incluant son efficacité à l’épée. Il est regrettable à mes yeux, qu’il est cherché le triomphe maximum par une faena trop longue qui baissa d’intensité avec le manque de bravoure du quatrième de la corrida. Cette deuxième oreille qu’il recherchait pour ouvrir la grande porte n’aurait eu aucune contestation, à part celle de la petite minorité influente de l’aficion locale qui depuis toujours lui demande ce qu’elle n’exige pas des autres…
Quant à Toñete, il fut très discret comme je le craignais, étant donné ses références…
Les toros de Jandilla m’ont déçu. J’attendais leur caste légendaire. Pablo Aguado put montrer au public devant son premier quelques détails de son toreo, alors qu’Emilio de Justo a bien confirmé qu’il est mieux adapté aux Victorino qui l’ont fait découvrir et qu’il connaît très bien du fait de ses origines de Cacéres. Je tiens à attirer votre attention sur son positionnement sur l’extérieur de la corne droite avant de rentrer a matar. Cela lui facilita l’efficacité de ses estocades mais ne répond pas à l’authenticité du geste notamment l’exigeant passage du guichet quand le torero perd la tête du toro en rentrant a matar, surtout dans un vrai volapie. Certes, je reconnais un manque de référence sur le toreo à cheval mais j’ai apprécié, comme la grande majorité du public, l’actuation de la rejoneadora française Léa Vicens, pour son esthétique, la présentation de sa cavalerie et sa maîtrise. Elle a sauvé l’après-midi.

La corrida des toros de Margé était attendue au niveau de son comportement, sachant qu’en matière de trapio et de solidité, elle serait sérieuse et incontestable. Ce fut le cas pour les six. Au niveau du mental, le résultat fut beaucoup plus disparate. Le cartel composé des sévillans de Gerena Daniel Luque et Manuel Escribano, accompagnés du jeune péruvien Joaquin Galdos, nous permettait d’espérer car ils ont des références suffisantes pour les affronter. Depuis la temporada 2018 Luque a retrouvé sa sérénité et il a démontré progressivement une remise à niveau indéniable après un bache dû à des raisons diverses qui tiennent plus à l’humain qu’à ses capacités professionnelles. Il peut à nouveau exprimer cette tauromachie artistique qui allie les qualités de maîtrise, de créativité que nous lui connaissions. C’est une tauromachie inspirée avec un temple personnalisé qui l’amène au sommet. Il avait connu de la difficulté à s’équilibrer dans ce rôle de figura. Nous l’avons retrouvé notamment en France à Bayonne face à d’excellents La Quinta et il arrive à Béziers ce 17 août après son triomphe d’exception lors de son solo du 14 à Bayonne où il atteint ces sommets recherchés en coupant 2 oreilles et la queue de Mironcillo de Pedraza de Yeltes, qui fut primé de la vuelta al ruedo.

Les toros de Margé ont montré trois facettes différentes de leurs tempéraments : le premier dangereux ne permettait rien malgré l’effort d’Escribano. Le 2ème et surtout le 5ème n’ont permis à Luque que de montrer une parcelle de son talent grâce à son temple, sa sérénité, son expérience et son professionnalisme (oreille du 5ème). Il a confirmé au public son grand moment malgré la tendance de ses adversaires à abandonner le vrai combat en se réfugiant près des planches lorsqu’ils sont dominés. Heureusement, le 4ème de la course, Atlas, le plus imposant des 6 tant au mental qu’au physique, démontra dès le début un poder et une bravoure exceptionnels tant à la pique que dans ses charges. Il exigea de Manuel Escribano un engagement total dans les deux poder a poder que dans le violin final. Ce fut un intense combat entre ce toro aux charges puissantes mais franches, tant dans les séries à droite qu’à gauche avec la muleta. Il fallait un torero poderoso pour accepter ces démarrages violents dans une faena d’émotion conclue par une estocade entière. Manuel Escribano obtenait les deux oreilles qui lui ouvraient la grande porte. Vous pouvez voir les moments forts de la faena sur le site de Toro Fiesta (Agnès Peronnet).

Le jeune péruvien Galdos est déjà expérimenté après sa carrière de novillero avec picador (2014 et 2015) et après son alternative à Istres en 2016 avant Madrid en 2017. S’il ne pouvait faire grand chose devant le 3ème, j’estime qu’il n’a pas démontré toutes les facettes de la qualité du 6ème Margé qui méritait mieux. Certes, sa faena a été méritoire, vibrante mais je l’ai trouvée brouillonne face à un toro qui permettait une expression de plus haut niveau, tant technique qu’artistique. Il reçut deux oreilles de ce toro qui fut primé de la vuelta al ruedo comme le 4ème.

La corrida de clôture des 6 toros de Pedraza de Yeltes, meilleur lot de cet élevage vu dans nos arènes. Très bien présentés, lourds mais mobiles et armés, spectaculaires au cheval comme le premier piqué par Tito Sandoval, ils ont permis des moments intéressants, notamment pour la première faena d’Octavio Chacon qui ne sut pas conclure. Regrettable. Burrenito méritait mieux. Le deuxième Pedraza qui prit de grandes piques, déborda Juan Leal au capote. Le jeune arlésien dans l’impossibilité de faire une faena de muleta traditionnelle sut utiliser l’astuce de passes inversées qui, normalement, servent aux toreros pour terminer des séries. Le puissant Jacobo (640 kg) débordait toute autre tentative dans le toreo traditionnel. Juan a confirmé son courage, avec sa tauromachie spectaculaire devant ses deux autres adversaires, même si le toreo classique fut limité. Ce jeune torero est très à l’aise dans la tauromachie de cerquania (rapproché) où sa sûreté et sa planta torera lui permettent d’impressionner le public et de triompher. Ses entrées a matar pas très orthodoxes, sont percutantes et spectaculaires, avec des estocades entières efficaces qui lui permirent de conclure spectaculairement ses deux dernières faenas et de couper 3 oreilles dont 2 au 6ème comme en 2018. Il cite de très loin et s’élance courageusement vers le toro pour lui enfoncer l’épée, si possible jusqu’à la garde, en sautant au-dessus de la corne droite puisque dans ces conditions le toro humilie peu.

Je tiens à féliciter Carlos Olsina pour ses progrès significatifs depuis 2017 qui lui permirent de remporter le Tastevin d’Argent de l’Union Taurine malgré la qualité de Diego San Roman (Tastevin 2018) et de El Rafi.
Alors que je terminais cet édito, j’ai appris la blessure de Carlos en Espagne, qualifiée de grave, qui l’empêchera de toréer les Miura ce 1er septembre à Carcassonne. Je lui souhaite un rétablissement rapide.
Il faut noter le nombre important de cornadas sérieuses sur cette fin de mois d’août.

Avant de conclure mes commentaires sur la Feria, je remarque que les 3 tertulias auxquelles j’ai assisté, donnent trop d’importance aux trophées et à la responsabilité du Président de nos arènes qui maîtrise son rôle depuis plusieurs années à Béziers. Il me paraît préférable de commenter le comportement des toros et des toreros. C’est là qu’après le spectacle, on conforte l’aficion au contact des anciens. Ce sont les fondements de la tauromachie. Ce sont dans ces libres conversations, ces échanges après la corrida et par la suite au campo, que s’est forgée mon aficion.

Oui, la Feria 2019 fut intéressante. Terminée à la hausse par 8 bons toros dont 4 de grande qualité. Ils ont rendu à l’aficion biterroise son envie de réfléchir sur l’avenir pour consolider ses sensations, ses émotions qui ramèneront je l’espère le public aux arènes. La fréquentation fut encore défaillante cette année.

Les annonces de Sébastien Castella pour 2020 sont intéressantes après celle de sa candidature à la gestion future des arènes. Mais pour la prochaine Feria comment inclure les Miura sur 4 cartels alors qu’à mes yeux, les élevages de Margé et Pedraza s’imposent, surtout si Sébastien veut tuer toutes les corridas de la Feria. N’oublions pas que le 15 août tombe un samedi l’année prochaine.

L’aficion apprend avec tristesse le décès de Françoise YONNET, grande dame de la Camargue. L’Union Taurine Biterroise présente ses sincères condoléances à toute sa famille.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU édito n°76 aout 2019