J’AI RÊVÉ D’UN AUTRE MONDE
J’ai rêvé d’un autre monde
Où la terre serait ronde
Où la lune serait blonde
Et la vie serait féconde
Je me rappelle d’avoir écouté le groupe Téléphone dans les arènes de Béziers en août 1985. C’était une autre époque ! C’était la première strophe de leur chanson fétiche. Ils étaient à leur apogée, même s’ils se séparèrent en 1986 après avoir créé Le jour s’est levé (Déjà tard. Mais pas trop tard. A toi de voir. A toi de croire…). J’ai rêvé d’un autre monde était le titre de leur disque sorti en 1984 qu’interprétait Jean-Louis Aubert avec sa voix et son style si personnel, accompagné de Louis Bertignac, Corinne Marienneau et Richard Kolinka. Ils étaient accompagnés dans cette tournée par la chanteuse britannique Kim Wilde.
Mes préoccupations sont différentes dans leurs conséquences, de celles de l’auteur anglais méconnu de ce texte, mais elles m’interrogent comme lui sur ce monde qui nous entourait. Je n’ai pas changé pourtant nous étions en 1984 : 35 ans déjà. Si les thèmes précis de mes interrogations ont évolué, je me préoccupe de plus en plus d’un monde actuel qui se motive sur des thèmes déplacés et qui agit de manière irréaliste en oubliant les objectifs premiers pour les générations de 15 à 65 ans. Des préoccupations majeures mais actuelles et locales qui sont celles de nos territoires, tant au niveau humain qu’environnemental.
Je vais essayer de ne pas trop approfondir les causes politiques de mes soucis pour rester dans notre monde. Malheureusement les faits sont là. Notre dépendance taurine par rapport à l’Espagne m’oblige à actualiser la situation tras los montes. Comme notre bon roi Henri, leur candidat président Pedro Sanchez a dû penser Madrid vaut bien une messe. Pour convaincre ses futurs alliés, représentants modernes des idées anti-taurines ( ?) alors qu’ils devraient être centrés en premier sur l’intérêt des classes laborieuses, ils ont signé un pacte animaliste conforté par la déclaration du vice-président Iglesias refusant à la Tauromachie d’être une Culture en Espagne. En fait, ce motif qui n’a jamais été celui de son maître théorique Simon Bolivar (?) ne sert qu’à récupérer des Verts en errance car leur majorité est trop faible pour tenir la durée d’une législature. Je me réjouis des réactions des défenseurs espagnols de leurs traditions taurines incrustées dans leur culture depuis des siècles. Ils sont enfin sortis dans la rue, malgré l’épidémie, dans quasiment toute l’Espagne, à l’exception des zones indépendantistes pour éviter les provocations. C’est un comportement démocratique serein mais engagé qui, pour une fois, paraît montrer sa personnalité et son engagement unitaire en évitant les affrontements infâmes que ce pays a trop longtemps connus dans son histoire depuis le début du XIXème siècle. Certaines blanches colombes bien pensantes reprochent la présence des partis de droite avec les aficionados. Elles feraient mieux de regarder dans le camp qui veut détruire nos traditions, les mélanges avoués et non avouables de ceux qui ne peuvent même plus avancer cachés.
Chez nous, la Fédération des Sociétés Taurines de France, organisation majeure par le passé, devant le lâchage par la société Pernod Ricard de la toute puissante Union des Clubs Taurins Paul Ricard, souhaite prendre le leadership des prochains États Généraux de la Tauromachie. Cette initiative, louable, ne doit pas gêner celle de l’UVTF, organisme le plus représentatif au niveau institutionnel depuis plus de 50 ans, qui annonce une réflexion approfondie sur l’avenir de la tauromachie en France. Ils amorcent l’élaboration d’un modèle français destiné à assurer sur le long terme, la viabilité de tous les spectacles dans toutes les arènes. Viabilité de nos arènes pour le prochain quart de siècle qui serait préservée ainsi que l’emploi des toreros et les débouchés des ganaderos. J’estime que ce projet de réorganisation de notre monde taurin doit certainement se jumeler avec l’activité de l’Observatoire National des Cultures Taurines qui a tant apporté depuis l’Appel de Samadet en 2007. Nous devons avoir plus de précisions sur ces initiatives pour voir leurs possibilités d’efficacité en espérant qu’elles ne se contrarient pas avec de ridicules concurrences et volontés de suprématie, alors que notre passion est en jeu.
J’ai essayé de me détacher d’une actualité qui montre son instabilité (oui elle n’est pas ronde), de ses motivations trop éloignées des vrais besoins actuels, avec des agressivités déplacées, des a priori, des dictats qui éloignent les gens de leurs vrais sentiments. Ces comportements troublent l’intellect de beaucoup trop de personnes qui perdent leurs critères de base.
Il me fallait trouver un personnage à part dans notre monde taurin qui, dans toutes les phases de sa vie, a manifesté une indépendance intellectuelle éclairée et forte qui lui a permis de montrer une force de caractère qui ne l’empêchera pas de mettre en avant toutes les facettes de son art, même en dehors de la tauromachie.
Le Maestro Ignacio Sanchez Mejias est assez mal connu de l’aficion française contemporaine qui retient surtout le fameux Llanto (lamentations) de Federico Garcia Lorca écrit par le poète de Granada après la mort du torero en 1934 des suites d’une cornada dans les arènes de Manzanares. En fait, Sanchez Mejias était un intellectuel aux multiples talents qui fut auteur de théâtre, Président de la Croix Rouge d’Andalousie, Président du Real Betis de Sevilla, banderillero et matador de toros. Il prit l’alternative en 1919 des mains de son beau-frère Joselito et confirma en 1920.
Les spécialistes lui reconnurent un courage parfois effrayant, avec une domination indéniable aux banderilles et une muleta sobre et sèche. Mais son arrogance, ses capacités relationnelles avec sa personnalité et son talent étaient au-dessus du commun. Je pourrais vous donner plusieurs exemples de sa personnalité exceptionnelle, charismatique, attirante, tant dans les ruedos que dans la vie de tous les jours. J’ai retenu cette déclaration étonnante et lucide aux attaques diverses déloyales contre la corrida qui enfreignaient déjà la probité et l’honnêteté intellectuelle. Alors qu’il faisait une conférence sur Don Quijote à la Columbia University de New-York, il expliquait à son auditoire les valeurs esthétiques de la tauromachie et ses implications éthiques. Il déclara : Quand l’humanité sera dans un niveau de civilisation où il ne reste aucune trace de cruauté, ce sera peut-être le moment de se pencher sur la suppression de la corrida de toros. Mais tant que les hommes nous présenteront sereinement le nombre d’êtres humains que chaque pays peut tuer en un moment déterminé, c’est une hypocrisie ridicule que de parler de suppression de la corrida.
Les conflits furent nombreux dans le monde à cette époque-là mais, de nos jours, l’interpellation de Sanchez Mejias est toujours valable. Cette déclaration osée, ferme, lucide et courageuse mais inattendue du Maestro sévillan, intervient parfaitement dans ma réflexion sur ce monde qui met en objectif majeur les multiples dangers de la corrida alors qu’il a, à sa porte et sous sa responsabilité, des éléments concrets et des événements meurtriers en tout genre. Ils devraient préoccuper davantage tant les bien-pensants que les gouvernants.
Qui de nos jours serait capable de crier à la face d’un monde hostile cette déclaration avec toutes ses certitudes ?
Le groupe Téléphone en 1984 s’interroge au début sur la situation sur la terre, inquiet de toutes les déviances qu’il trouve entre le rêve et la réalité, entre le Monde tel qu’on voudrait qu’il soit et ce qu’il est, avec sa réalité sociale dure et morne :
Je marchais les yeux fermés
Je ne voyais plus mes pieds
Je rêvais réalité
Ma réalité m’a alité
Progressivement, l’auteur se laisse à nouveau entraîner dans la ronde pour repousser ses idées noires :
Oui je rêvais de notre monde
Et la terre est bien ronde
Et la lune est si blonde
Ce soir dansent les ombres du monde
Il est obligé de se satisfaire, de se réconcilier avec ce monde et pense ma réalité m’a pardonné, mais il lui reste un goût amer comme le montre le clip officiel (en noir et blanc) de l’interprétation de Téléphone. L’auteur sait bien que rien n’a changé dans les années 80 après toutes les guerres et l’interprète le voit encore plus dans les 20 premières années de notre siècle. Nous savons que le problème de la corrida n’est qu’un épiphénomène de toutes les préoccupations et interrogations des citoyens de notre monde, par rapport aux multiples problèmes catastrophiques de notre vie, causés tant par les peuples que par leurs gouvernants.
Cela ne signifie pas que c’est un problème secondaire sans importance mais comme le déclare Sanchez Mejias il y a des choses beaucoup plus graves et sanguinaires que les corridas de toros. Il nous demande d’arrêter les massacres et les comportements anti humains sur nos terres.
Je rêvais d’une autre Terre
Qui resterait un mystère
Une Terre moins terre à terre
Oui, je voulais tout foutre en l’air
Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 86 – JUIN 2020