LES ANCIENS ET LES MODERNES
Ce titre rappelle les chamailleries entre les écoles de la culture littéraire du XVIIème siècle en France. Ces controverses, ces querelles se reproduiront à d’autres époques et dans plusieurs pays majeurs de la civilisation occidentale. Dans l’époque compliquée que connait la tauromachie tant au niveau politique que culturel, sans oublier le sanitaire, nous alternons des moments d’abattement et des instants plus sereins que n’arrivent pas à stabiliser notre appréhension sur l’avenir de notre passion. Pendant la période des XIX et XXème siècles, les Anciens ont vécu l’âge d’or de la tauromachie moderne. Ils ont écrit l’histoire de notre aficion. Pourtant de nos jours, ce sont les Modernes qui vont devoir « relever le gant » pour survivre dans les années difficiles qui nous attendent, pour des raisons politico philosophiques souvent inadaptées à la réalité fondamentale de nos tracas. Espérons que la pandémie qui nous étouffe et nous paralyse ne sera que temporaire.
Ces dernières semaines m’ont apporté des points positifs non négligeables :
– Le tribunal correctionnel de Béziers a rejeté la plainte absurde déposée par la S.P.A. contre la corrida à Béziers : nominativement contre Sébastien Castella, le maire Robert Ménard et l’organisateur Robert Margé. Je pensais que cette attaque était vouée à l’échec. Le tribunal correctionnel de Béziers m’a conforté par des attendus fermes et sans équivoque. Merci à ceux qui ont su, au lieu de perdre leur temps dans des querelles et diatribes non efficaces, conforter légalement dans notre pays la corrida dans les zones de tradition. Restons vigilants mais ces dispositions sont solides et constitutionnelles. Seul l’éventuel référendum inspiré par les sollicitations des tenants de la « Convention citoyenne pour le climat » pourrait nous inquiéter, bien qu’elle n’ait rien à voir avec la corrida.
L’annonce du retour de la ville de Nîmes au sein de l’U.V.T.F. ne peut que me réjouir. L’Aficion Française avait besoin d’être unie pour faire face à nos adversaires dans toutes les démarches futures.
– En Espagne, la décision de Pablo Iglesias, leader politique du groupe PODEMOS, de quitter la politique après sa défaite cinglante aux élections de Madrid ne peut que satisfaire le monde de la tauromachie. Mon sentiment ne concerne pas la politique mais l’individu, imbu de son pouvoir par sa présence au gouvernement, m’a indigné par son comportement. Il a montré tant de haine et de volonté destructrice vis-à-vis du monde taurin espagnol en s’acharnant même contre les plus faibles : banderilleros et éleveurs touchés par les conséquences économiques de la pandémie. Les électeurs ont compris et l’ont sanctionné devant ses comportements aveuglés par son entrée au gouvernement et son acharnement destructif. Il est vrai que, depuis ces dernières décennies, les détenteurs du pouvoir dans l’organisation tauromachique (les Anciens) n’ont pas montré un comportement unitaire pour défendre notre corrida contre les attaques qu’elle subissait.
Certains de ces Anciens restent encore attachés au pouvoir qu’ils ont si mal utilisé. Il n’y a qu’à voir les critiques inacceptables, venant du groupement des « grands » organisateurs espagnols, contre Victorino Martin Garcia qui est à la tête de la Fundacion del Toro de Lidia depuis 2017. Il a pourtant fait un travail considérable en prenant part dans la vie publique espagnole pour la promotion et la diffusion de la culture taurine. Il n’a pas craint d’intervenir devant la Commission de la Culture et des Sports au Sénat à Madrid où il a fait ressortir notamment les conséquences néfastes de l’animalisme sur la culture de son pays. Son objectif : promouvoir, maintenir, améliorer, défendre, divulguer le magnifique Toro de Lidia « élevé » en pleine nature dans le Campo et la Tauromachie comme culture et discipline artistique dans « tous les domaines matériels et immatériels ».
Depuis l’apparition du Covid-19 qui ruine l’activité économique européenne et la civilisation taurine en Espagne, la Fundacion s’ingénie avec les éleveurs et les organisateurs locaux volontaires à mettre en place une compétition dans toutes les régions espagnoles. Cela permet de récompenser les efforts des jeunes méritants et surtout talentueux avec l’aide des télévisions et des organismes des diverses autonomies tout en permettant aux ganaderos de lidier des novillos et des toros au lieu de faire abattre leur bétail en absence de spectacles, privés de public. Cette activité s’est maintenue dans la démarche des Modernes alors que les Anciens sont trop souvent intervenus pour défendre leur supériorité dans un monde où ils ont démontré leur incapacité d’agir, ruinant le travail de leurs prédécesseurs. A mes yeux il est indispensable que ces attitudes se développent pour maintenir la tauromachie face aux difficultés sanitaires et à ce monde agressif qui veut sa perte.
Certains Anciens détenteurs du pouvoir attendent que les solutions se règlent seules du moment qu’ils gardent leur place dans le système. Ils doivent pourtant craindre que si de nouveaux visages audacieux avec des idées novatrices apparaissent, ils soient rapidement opérationnels et risquent de les écarter de ce monde quand la situation du covid s’améliorera (?). A quelques exceptions près ils n’ont rien fait pour apporter des solutions aux problèmes qui progressivement ont touché la corrida, qu’ils proviennent des adversités extérieures ou de la désaffection d’une partie de notre public qui ne retrouvait plus l’émotion que leur apportait le combat taurin codifié par l’Espagne depuis le début du XIXème siècle. Ils espéraient que l’apparition naturelle d’un nouveau génie tous les dix ans permettrait de redonner l’illusion, l’exaltation à l’aficion et relancerait l’activité. Pendant ce temps ils géraient le symptôme pour le conserver à leur main sans aucune dynamique nouvelle. Ce sont ces adeptes de l’événementiel, toujours souhaitable, qui oublient que la tauromachie ne peut exister que si elle est nourrie de l’intérieur par les fondamentaux, tant au niveau du toro que des jeunes toreros ambitieux avec leur talent et leur passion. Ils ne veulent pas que la diversité déstabilise leurs acquis, sans se rendre compte qu’ils l’ont déjà trop affaibli. Cela n’a pas pour motivation de recréer les talents innés des créateurs qui ont montré le chemin. Je regrette ces personnages du passé qui, sans oublier leur propre ambition et leur logique intérêt lucratif ont agi pour que cette histoire fonctionne en prenant des risques :
– tant physiques comme les « initiateurs » : Pedro Romero, Pepe Hillo, Francisco Montes, Cuchares… comme les « monstres » : Joselito, Belmonte, Manolete et ceux que nous avons admirés dans notre jeunesse.
– que financiers comme Don Pedro Balaña Espinos à Barcelona, Don Livinio Stuyck à Madrid et plus près de nous le grand Manolo Chopera ou les Lozano…
Pour moi ces personnages ne rentrent pas dans la catégorie des Anciens mais des Précurseurs. Ne les oublions jamais. Je pense à eux quand j’entends les vers que Calogero fait chanter à Florent Pagny :
« Quand on n’est plus à la hauteur
Restent les Murs Porteurs
Des amis en béton…
Pour voir à l’horizon »
« Restent les Murs Porteurs
Pour tenir la longueur
Faire face aux tremblements »
« Restent les murs porteurs
Pour se protéger du froid
Pour conjurer le malheur
Et retrouver sa voie. »
Depuis 2020 nous avons vu des toreros confirmés se remettre en cause. Julian « El Juli » démontre cette année sa recherche d’excellence exigible de son poste de leader comme s’il s’était rendu compte qu’il était un « Mur Porteur ». Ce sont les exemples à suivre comme celui de Daniel Luque redevenu au niveau du jeune prodige surdoué qu’il était.
Les nouvelles générations comprennent qu’ils doivent faire un effort supplémentaire pour affronter leurs aînés prestigieux, pour maintenir la competencia : Fidel San Justo, Pablo Aguado, Juan Ortega. L’affrontement d’Antonio Ferrera face aux 6 Adolfo Martin relève de ce défi. Les empresas Modernes : Carlos Zuñiga, Tauroemocion, Lances de Futuro, Jean-Baptiste Jalabert… ont démontré leur volonté de résister. Je ne les cite pas tous : toreros, empresas, ganaderos, savent qu’ils peuvent, qu’ils doivent faire cet effort difficile et exigeant. Qu’ils soient Anciens ou Modernes.
Nous avons déjà vu comment Carlos Zuñiga a rendu cette année aux corridas des fêtes de San Fernando d’Aranjuez leur niveau de la fin des années 90. Le public a répondu positivement. Malheureusement l’initiative d’Antonio Matilla à Vistalegre pour la « San Isidro » vient de s’achever avec un public trop insuffisant. C’était un risque important puisque cette plaza madrilène, même après sa rénovation, n’a jamais connu une telle Feria. Souhaitons-lui un succès dans ses prochaines organisations à Castellon, Granada, Jerez…
Je ne suis pas pour une guerre d’empresas des Anciens et des Modernes mais pour une remise en cause de la profession qui permette aux jeunes générations d’assouvir leur passion et aux Figuras de leur montrer le chemin.
Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 96 – Mai 2021