ÉDITORIAL OCTOBRE 2016

fly-b-rectocapote-de-bregaLA QUÊTE

L’actualité taurine de septembre m’a incité à vous rappeler l’interprétation du chant unique et inoubliable de Jacques Brel dans l’Homme de la Mancha, inspiré par l’œuvre de Miguel de Cervantes. Je ressens une grande émotion pour cette œuvre majeure de la littérature mondiale car, outre l’intérêt du personnage emblématique de Don Quichotte, j’ai passé 20 ans de ma vie à sillonner cette région dure (tres meses d’invierno, tres meses d’infierno) comme ses habitants où cependant j’ai pu apprécier la qualité humaine des Manchegos (quand on a la chance de les connaître vraiment).
Telle est ma quête
Suivre l’étoile
Peu importent mes chances
Peu importe le temps
Ou ma désespérance
Et puis lutter toujours
Sans question ni repos
Se damner
Pour l’or d’un mot d’amour
Je ne sais si je serai ce héros
Mais mon cœur serait tranquille
Et les villes s’éclabousseraient de bleu…
Je ne sais si le Maestro sera d’accord, mais j’ai choisi cette strophe qui, à mes yeux, représente bien la démarche de Sébastien C
astella depuis ses débuts et après une temporada compliquée, comparée à la réussite admirable de 2015.
Il avait notamment deux dates majeures en septembre pour conclure par le haut sa saison européenne 2016. C’était deux
compromisos majeurs dans la quête de son idéal. La solution de combattre seul 6 toros d’Adolfo Martin, pour la première fois de l’histoire et choisir la Feria de Nîmes, était une étape exceptionnelle de sa carrière avec la volonté déclarée de toréer et de templer lentement les Adolfo. On peut considérer que l’objectif de Sébastien a été atteint quand on tient compte de son actuation face à cinq des Albasserada (le premier ne permettait rien). Devant l’excellent deuxième, remarquable pour son armure typique de l’origine Saltillo, sa faena atteint des sommets étonnants devant un tel adversaire dont il sut exploiter les qualités au maximum. De plus, ses faenas furent fortement gênées par le vent ce qui l’obligea à toréer dans un terrain peu propice à l’excellence. Seul face au 6ème, grâce à la chute du vent en fin d‘après-midi, Sébastien put amener son toro au centre pour une faena importante, impensable quand on avait vu le comportement de l’Adolfo au début. Malheureusement, le torero biterrois ne put redondear cette tarde qui aurait pu être une des plus importantes dans l’histoire de sa carrière, si son utilisation de l’épée n’avait pas été déficiente : 2 oreilles au lieu des 6 ou 7 qu’annonçaient ses faenas. Le tout sans recourir à la facilité, sans effets factices, avec le sérieux, la maîtrise caractéristique de Sébastien dans le ruedo. Je regrette que certains n’aient pas suffisamment valorisé cette tarde. Il est vrai que ce sont ceux qui apprécient plus le clinquant et ne prennent en compte que la comptabilité du nombre d’oreilles (parfois surfaites). Quelques jours plus tard, le 25 septembre pour la San Miguel, accompagné de Jose Maria Manzanares et de Lopez Simon, Sébastien venait à la Maestranza pour enfin faire reconnaître sa position de Figura del Toreo par une partie du public sévillan qui ne lui avait pas encore marqué le soutien que lui ont apporté les autres grandes arènes du monde. Dès le premier toro de la corrida, il a démontré que, dans sa quête de reconnaissance par cette aficion, il était, non seulement déterminé en accueillant a puerta gayola à la sortie du toril le toro de la ganaderia Garcia Jimenez (Olga Jimenez), mais inspiré dans l’exécution d’une faena inédite, tant avec la cape qu’avec la muleta. Il a exécuté une interprétation complète, pleine de domination, de variété, d’esthétique face à un bon toro qui galopait avec une charge brava et franche malgré une tendance à s’échapper à la fin des séries, ce que le torero a parfaitement maîtrisé. Le public sévillan a accompagné la faena, encourageant (jaleando) avec passion, demandant les 2 oreilles que la Présidence attribua rapidement. C’était la première fois de sa carrière dans la prestigieuse Plaza des bords du Guadalquivir. Mais Sébastien voulait plus et sortir en triomphe par la Porte du Prince qui exige au moins 3 oreilles. Face au sobrero d’Hermanos San Pedro, encasté, plus sauvage avec plus de genio, Sébastien prit tous les risques, sans oublier sa maîtrise et son temple. Ce fut une bataille sincère avec le toro Un toma y data de valor y raza comme l’écrivit Zabala de la Serna que nous traduirons un donnant donnant de courage et de race. Malheureusement, l’échec à l’épée prive à nouveau Sébastien Castella de l’oreille méritée, recherchée dans sa quête de triomphe qui marque sa carrière depuis ses débuts.

Durant ces mois de septembre et octobre marqués comme tous les ans par une pléthore de spectacles, j’ai apprécié une Feria Arlésienne intéressante, tant en ce qui concerne la Goyesca pour laquelle je retiens outre un grand succès populaire, la confirmation de la très bonne temporada de Bautista et la sortie en triomphe émouvante de Luis Francisco Espla sur les épaules de Morante de la Puebla. En ce qui concerne la corrida-concours, il faut distinguer dans un bon niveau 2 toros importants, complets : le Puerto de San Lorenzo qui fit apprécier les qualités de son origine Lisandro Sanchez et surtout le Tajo y la Reina (Joselito) qui fut spectaculaire dans le tercio de piques par son embestida et permit le triomphe de Morenito de Aranda. Il manquait certes un peu de public le dimanche mais le résultat global de la Feria du Riz est satisfaisant. Souhaitons à l’empresa que cette tendance se confirme en 2017. Elle doit continuer dans sa démarche qualitative et dans sa recherche de personnalité proche de ses racines. C’est le chemin à suivre quand on veut fidéliser un public.

La Feria de Nîmes a montré des hauts et des bas. J’ai retenu cependant, en plus de Sébastien Castella, le positif de Juan Bautista et surtout de Talavante devant les Victoriano del Rio, avec malheureusement une baisse de fréquentation des aficionados, certainement à cause d’une programmation instable et parfois déconcertante depuis quelque temps. Les Alternatives ne résolvent pas tout. Il faut reconnaître que les blessures de plusieurs toreros ont perturbé les cartels jusqu’au dernier moment (Roca Rey, Escribano…). Cela n’a pas empêché à la Feria de la San Miguel de Séville deux très bonnes taquillas, même le samedi, dans un cartel perturbé. Face aux toros de Garcia Jimenez de la famille Matilla, Jose Maria Manzanares a aussi démontré qu’il reste un torero majestueux quand il fait face à de tels adversaires qui, en plus de leur noblesse, ont un comportement spectaculaire avec leur galop et leur mobilité, ajoutant de l’intérêt au triomphe de Jose Maria et de Sébastien. Les Figuras n’ont pas participé à la Feria d’octobre de Madrid. Sans triomphe retentissant, il faut mettre en avant le combat d’une grande émotion du mano a mano de Curro Diaz et de Garrrido face aux puissants Puerto de San Lorenzo présentant un poids excessif pour 3 d’entr’eux de plus de 600 kg. Leur comportement désordonné, manso par moment mais agressif et de ce fait dangereux, n’a pas découragé les deux toreros dans leur quête de triomphe à Las Ventas. Malgré plusieurs volteretas et même une cornada interne de 15 cm dans la cuisse gauche, le torero de Linares, Curro Diaz, est arrivé à exécuter sa tauromachie très personnelle, agitanada, pleine de finesse et d’instantanés étonnants. Ses échecs à l’épée face à son second lui ont fait perdre les trophées mérités que le public convaincu aurait demandé avec force. Le jeune Garrido, dans un style plus classique, a continué le combat jusqu’au bout, malgré les accrochages avec un passage à l’infirmerie et une prise de risques évidente. Il ne baissa jamais les bras. A suivre…

Je dois bien entendu signaler l’évènement de l’arrivée à la tête des arènes de Madrid de Simon Casas et de son associé le voyagiste Rafael Garcia Garrido, patron de Nautilia, vainqueurs de l’adjudication face à Taurodelta et son associé mexicain, Antonio Bailleres. Simon, poursuivant sa quête vers les sommets empresariales depuis plus de 35 ans, a surpris tout le monde, concurrents et Communidad de Madrid, par une proposition de dernière minute inattendue tant au niveau financier que de la programmation ambitieuse, sans oublier ses engagements financiers avec les écoles taurines et ses annonces de concertation avec l’aficion… Il reste maintenant, étape la plus difficile, la réalisation de ce programme ambitieux sur quatre ans qui sera, à mes yeux, véritablement le juge de paix (langage du Tour de France pour qualifier les grands cols), dans cette quête vers son étoile.

La situation très compliquée que connaît l’Espagne au niveau politique depuis quelques mois, retarde la décision, qui paraissait imminente, du Tribunal Constitutionnel concernant la position du Parlement Catalan interdisant à partir de 2012 les corridas dans les arènes de Barcelone. Je m’abstiens de tout commentaire, de tout pronostic et de toute précision sur l’avenir de ces arènes, quelle que soit la décision…
Je vous incite plutôt à regarder et écouter sur internet les versions des interprétations de Jacques B
rel de la quête de l’homme de la Mancha. C’est admirable. Cela rappellera à certains leur passé et permettra à d’autres de comparer le talent et la passion de cet énorme artiste alors qu’il allait terminer véritablement sa carrière et sa vie publique. Quant à son inaccessible étoile, n’était-elle dans son esprit que celle de Don Quijote ?

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Edito n° 42 – Octobre 2016