ÉDITORIAL SEPTEMBRE 2018

OÙ S’ARRÊTERONT-ILS ?

Je suis préoccupé par les défaillances trop nombreuses du monde taurin au niveau de son manque de sincérité et de l’utilisation d’artifices, certes habituels dans le monde du spectacle, mais inappropriés à la corrida de toros. Nous ne devons pas la voir comme un spectacle banal mais comme une tradition universelle venue de la nuit des temps, qui est propre dans ses origines au Moyen Orient et aux peuples et taureaux du bassin méditerranéen. Je ne mets pas en cause les toreros qui ont payé trop souvent, par des blessures graves, leur courage et leur professionnalisme. Je mets en cause leur entourage qui malheureusement les perturbe par contagion et profite de façon abusive de leur suprématie sur le système. Je vous invite à lire la très intéressante plaquette réalisée par André Viard « La Course de Taureaux, un rituel de partage et de courage apparu avant le langage ». Les « taurinos » n’ont pas le droit de la galvauder pour des motivations trop souvent mercantiles. Ils doivent respecter toutes les composantes vivantes de ce « chef d’œuvre éphémère » (André Viard), les toros et ceux qui les élèvent, les hommes qui les affrontent, sans oublier le public qui a imposé cette tradition au pouvoir royal au XVIIème et surtout au début du XVIIIème siècle où la noblesse espagnole qui les combattaient à cheval l’avait abandonnée aux ordres de leur Roi. Au début du XIXème siècle, les toreros majeurs de l’époque de Pepe Hillo et Francisco Montes Paquiro, ont ordonné, grâce à leur prestige, un déroulement rationnel de l’affrontement de l’homme et du toro dans les arènes, limitant sa sauvagerie et ses désordres initiaux afin de lui donner une identité esthétique et même artistique, sans lui enlever sa sincérité et sa tragédie inhérente à la naissance de ce combat. Le comportement du monde taurin a permis que la corrida soit magnifiée grâce au courage exceptionnel, à l’intelligence des toreros et à l’évolution voulue par l’homme qui sélectionna progressivement le toro pour l’excellence de sa bravoure au point de démontrer sa noblesse dans le combat. Certes, tout n’a pas fonctionné idéalement, contrarié notamment par les guerres cruelles qui ont bouleversé l’Espagne et la France en affaiblissant l’élevage, portant atteinte à la magnificence du toro bravo. Cependant, des personnages exceptionnels, tant ganaderos que toreros, ont permis de sauver les fondements de cette « Histoire ».

Le monde actuel, gouverné par la communication et ses techniques parfois désinformatrices (financées par des intérêts lucratifs), nous amène journellement des nouvelles frelatées de tous bords, reprises malheureusement par les bien-pensants. D’une part, nous assistons à des déclarations irrespectueuses de certains qui vivent confortablement dans les villes, ignorant les difficultés de ceux qui peuplent et vivent de la nature. Ces gens-là trouvent dans les nouvelles philosophies du véganisme et de l’antispécisme, des illusions absurdes sur l’évolution de l’humanité, mais rassurent et induisent en erreur certains spectateurs béats sur leur place sur la terre, leur donnant une sensation « d’être bons » et se souciant à l’extrême des êtres vivant sur notre planète.

L’homme – son évolution, sa pensée, son intelligence – s’est implanté depuis son existence sur le globe terrestre en utilisant les propriétés basiques qu’il a découvertes dans les règnes animal, végétal et minéral, parfois il est vrai abusivement. Je ne rentrerai pas dans l’analyse fondamentale de ces nouvelles pensées. Il y a des techniciens, des philosophes confirmés et connus par leur sagesse qui, si vous le souhaitez, vous expliqueront leurs fondements et vous démontreront leurs absurdités très souvent dangereuses. L’ethnologue Jean-Pierre Bigard, les philosophes Alain Finkielkraut et G.K. Chesterton sont plus experts et plus talentueux que moi pour écrire sur ces dérives dangereuses. Cette liste n’est pas exhaustive. Mon souci est qu’une partie de la jeunesse actuelle se laisse convertir par cette démarche et rende notre vie et surtout l’avenir impossible et absurde en culpabilisant les individus fragiles. Il est vrai qu’une partie des jeunes de nos jours s’est laissé entraîner vers d’autres « paradis » qui profitent en fait à des intérêts économiques cachés ou pervers. Ne vous trompez pas. Toutes ces nouvelles tendances végans, antispécistes, animalistes sont poussées par des « incitateurs » qui apparaîtront quand ce sera le moment d’en profiter autrement. Cette évolution me paraît absurde mais je tiens à l’écrire car le danger existe et il est de notre devoir d’y résister, sans tomber comme eux dans des informations mensongères ou utopiques. Il est vrai qu’ils ne sont pas les premiers depuis que l’humanité consciente existe, mais maintenant, ils disposent d’une puissance d’information supérieure et complice. D’autre part, les pouvoirs publics réagissent peu (voyez chez nous les attaques inacceptables et dangereuses faites à tous les niveaux des professionnels de l’alimentation) ou au contraire, ils les encouragent comme dernièrement avec les ours face aux éleveurs qui vivent durement de leur travail. C’est plus facile de penser à ces gentils animaux pour les bobos qui vivent en ville et utilisent le monde rural pour leurs vacances. D’autre part, regardons chez nous aussi des déviances regrettables. Notre compatriote, organisateur d’évènements, Simon Casas que j’ai pu côtoyer professionnellement plusieurs fois dans le passé, est en train de jouer un jeu manipulateur en soufflant alternativement le chaud et le froid par ses projets d’organisation du monde de la corrida. Au mois de juillet, j’ai déjà manifesté mon désaccord sur sa décision de tirage au sort des élevages pour les toreros comme dans les phases finales de certaines compétitions sportives. C’est inadapté et une injure aux toreros. Maintenant, il annonce, toujours grandiloquent, que la prochaine San Isidro se fera sur le même système puisqu’il en sera encore le prochain organisateur. Par contre, le même jour, il souffle le froid comme pour éteindre les critiques en déclarant, en tant que Président du Syndicat des Empresarios, qu’il demande à ses collègues de ne plus apodérer de toreros « car cette pratique est néfaste à la corrida ». Il présente son objectif comme un souhait mais doute d’être suivi… Est-ce une manière de se donner bonne conscience alors que tous les aficionados avertis savent que l’Ecurie Casas 2018 comprenait, outre Castella qu’il apodérait officiellement, plus de cinq toreros « protégés ». Il est vrai que par le passé il a eu une activité d’apoderado marginale qui ne le passionnait pas. Simon avait déclaré en mai 2017 « Je suis le chef d’état de la tauromachie ». Il ne faut pas prendre toutes ses déclarations au sérieux. Nous commençons à le connaître depuis qu’il est sur le devant de la scène. C’est sa manière de comprendre sa communication, de faire le buzz pour employer un terme tendance (comme ils disent) mais il faut être cependant attentif car même si elles paraissent irréelles, ses déclarations ont un but. Cet homme est intelligent et de plus très habile. Ces déclarations arrivent à convaincre une partie de l’aficion de ses bonnes intentions. La solution qu’il nous propose n’est qu’une affaire de négoce dans un monde empresarial diminué par la disparition de grands personnages non remplacés (Manolo Chopera, Manuel et Jose Camara qui surent prendre la suite du fameux Pepe Camara, les frères Jose Luis, Eduardo et Pablo Lozano, Diodoro Canorea…) et l’absence d’une figura historique depuis la semi retraite de Jose Tomas. La Casa Matilla a cependant un rôle plus discret mais très influant sur le monde de ce négoce et le mexicain Balleres plante ses jalons. Certes, il existe des organisateurs et empresarios qui en douce protègent leur système au détriment de l’avenir de la corrida. Il en fait partie. Tout ce remue-ménage ne résoudra pas les dangers qui tournent autour de notre corrida : politiques, philosophiques et économiques.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – n° 65