Édito n°107 – juillet 2022

«QUAND LES TOREROS VEULENT… »

Les 6 premiers mois de la temporada en cours m’ont apporté de grandes satisfactions qui peuvent nous procurer un rêve d’avenir si l’on se réfère à ces dernières années du monde taurin. Pendant cette période, j’ai pensé que les deux toreros majeurs, à mes yeux, de ce début des années 2000 n’avaient pas apporté leur vrai potentiel dans nos plazas. Certes, Juli depuis sa carrière triomphale de novillero et après son alternative, a démontré une intelligence, une maîtrise, une puissance qui lui ont permis de battre dans les premières années les records quantitatifs de triomphes en remplissant les arènes. Je regrette par la suite ses misérables querelles matérielles avec les empresas entraînant avec lui quelques collègues majeurs. Je pense que ce n’était pas son rôle, même avec un monde empresarial taurin défaillant à plusieurs titres. Les aficionados, dans leur majorité, n’ont pas compris cette démarche qu’ils ont ressentie comme égoïste. Il aurait fallu une mise en cause globale incluant ganaderos et aficion pour être efficace. Il aurait pu utiliser son prestige d’une autre manière pour apporter ce renouveau nécessaire, autre que celui du pouvoir financier, qui n’a pas été obtenu. Ils ont même desservi à mes yeux la cause de la corrida. Juli alternera trop souvent des triomphes faciles et des banalités ayant pour conséquence un découragement du public qui ne lui trouvait plus sa puissance et son alegria caractéristiques. Si progressivement depuis 2010, Juli a pris une autre attitude, c’est surtout à mes yeux depuis le début de la temporada que nous vivons qu’il a montré un très haut niveau, tant par ses recours techniques qu’il n’avait pas vraiment perdus, mais surtout poussés à l’extrême par l’envie qu’il démontre notamment dans les grandes ferias. Je me rappelle voir à la télévision en direct à la Feria de Séville, El Juli avant le paseo avec Manzanares et Aguado. J’ai remarqué sur son visage, dans son attitude, une détermination de bête fauve qui ne laissa aucun doute sur le fait qu’il allait les manger. Ce fut le cas.

Le cas de Morante est encore plus étonnant. Le Maestro de la Puebla nous a montrés pendant 20 ans d’alternative, un comportement si irrégulier, paraissant désintéressé au point de le rendre parfois désagréable. Dans l’édito de septembre 2021, j’ai attiré l’attention sur les mots qui le caractérisent actuellement à mes yeux : torero génial. Effectivement, depuis ces dernières années, Morante a démontré un changement brutal dans sa manière d’être. Progressivement, il s’est comporté comme s’il avait compris que sa classe, hors du commun, lui imposait de donner un autre niveau à sa tauromachie. Il est devenu ce torero génial responsable tant vis-à-vis du public que je l’espère, par nécessité de relancer le monde taurin tellement indispensable à sa survie. Cette situation ne peut que nous préoccuper alors qu’en Espagne le monde taurin est confronté au gouvernement de Pedro Sanchez II (PSOE – Unidas – Podemos) avec des accords avec les indépendantistes qu’il confirme par ses actes avec l’appui des animalistes, malgré la protection trop souvent théorique du Tribunal Constitutionnel. Il faut quand même constater le maintien de la corrida à Palma de Majorque. Quand on veut…
Le monde empresarial a sa part de responsabilité dans cette situation, d’autant plus qu’il est confronté au comportement illégal (Gijon…) de quelques maires. Je pense que la meilleure des solutions, en dehors des aides pour les éleveurs et pour les novilladas, est le comportement des toreros figuras pour ramener un public fidèle dans les arènes.

Quelle joie de voir ces jours-ci les arènes de Pamplona et les encierros. Cette passion existe surtout quand elle est soutenue par un comportement exemplaire des toreros ainsi que des toros comme ceux de Victoriano del Rio, la Pamosilla, Jandilla… alors que pourtant le pouvoir navarrais, en accord avec les Basques de Bildu, a un comportement ambigu.

En France, les déclarations contre la corrida des élus sont plus discrètes en dehors des animalistes englobés dans Nupes qui préparent un projet de loi. Le président Macron et les autres partis ont déclaré leur soutien à la corrida dans les zones de tradition. Merci à ceux qui, chez nous, ont mis en place un système qui nous a permis de nous défendre par une création institutionnelle comme l’UVTF. Malheureusement, nous n’empêcherons pas les déclarations inacceptables de quelques extrémistes peu nombreux et bruyants, notamment à Béziers. Je pense, comme plusieurs, que nous devons réagir avec les moyens légaux pour démontrer à la population les vraies motivations de ce groupe qui fait de la désinformation sans aucun scrupule, profitant de la complicité de la presse locale. Les dernières enquêtes sérieuses démontrent que dans les zones de tradition, la population, nettement majoritaire, souhaite que les politiques ne touchent pas à la corrida : chez nous pas de débat, c’est oui !!

Je suis beaucoup plus inquiet sur la situation aux Amériques avec un comportement agressif d’une partie des pouvoirs publics (issus des mouvements révolutionnaires) surtout dans les capitales : Caracas, Bogota ( ?), Quito… Un juge vient même de fermer les arènes de La Mexico suite à une plainte déposée par une association. Quand on sait le peu de volonté et d’efficacité que les pouvoirs publics, la justice et la police démontrent dans ce pays pour protéger les êtres humains et leurs biens contre les mafieux ! Le monde est-il sérieux ? Espérons que l’appel auprès d’autres instances sera efficace et que les temps puissent changer… Le Mexique est une grande nation taurine. En fait ce mouvement correspond plus à une attitude que l’on peut considérer comme anti espagnole, typique du chavisme, qu’à la corrida de toros proprement dite.

Il est vrai que depuis quelques temps la lassitude ou l’âge m’amène à aller moins aux arènes, notamment pour des ferias parfois trop longues à mes yeux. Je choisis mes déplacements par goût personnel qui tient à des souvenirs, à des amitiés avec des aficionados locaux ou voir toréer des toreros de connaissance. Il est vrai que, par ailleurs, internet ou les télévisions espagnoles nous permettent de suivre l’actualité avec plus de facilité que par le passé.
Lors de mon voyage à la Feria de Cordoba avec l’UTB pour le jumelage avec le Circulo Taurino, j’ai pu admirer une tarde exceptionnelle du rejoneador Diego Ventura et de Morante, avec des gestes géniaux, un engagement, une prédisposition, une manière d’être, une envie de triompher rarement égalée. Était-ce le moment, le lieu symbolique : la Plaza de los Califas. Juli et Morante ont montré aussi à Las Ventas pour la San Isidro des tardes parmi les meilleures de leur carrière, étonnant une partie du public. Ils atteignirent ce niveau à Pamplona et à Burgos particulièrement pour le maestro sévillan. J’espère ne pas me tromper, tout cela n’est pas du hasard. Le public, l’aficion ont aussi un rôle à jouer dans cet éventuel renouveau. Quelques jours plus tard dans les arènes de Las Ventas où l’UTB a présenté avec Pepe Puente Jerez l’exposition exceptionnelle du 8 juillet au 18 septembre pour le 75ème anniversaire de la mort de Manolete, je suis allé au Tendido 5 regarder la corrida de la tarde. J’étais voisin du Tendido 7 des insupportables aficionados qui se veulent connaisseurs avec leurs a priori. J’ai été témoin de l’engagement extrême mais lucide, sans perdre sa maîtrise, du jeune Maestro Roca Rey.

17 juillet 2022 – Roca Rey à Lunel face à un Nuñez del Cuvillo

Pourtant, les interventions bruyantes des spectateurs du 7, insuffisamment couvertes par les spectateurs de l’ombre qui ne les acceptaient pas. Son adversaire de Fuente Ymbro puissant et manso perdido s’était réfugié aux tablas, entre la porte du toril et la porte du paseo. Le jeune péruvien, impassible, parvint à le maîtriser, à le toréer véritablement malgré ses réactions dangereuses et imprévisibles. Certes, il perdit les trophées à cause de plusieurs échecs à l’épée alors qu’il avait démontré une maîtrise, un courage impressionnant qui méritaient l’appui de tout le public pendant la faena. Malheureusement, ces inqualifiables du Tendido 7, heureux d’avoir perturbé un torero important, ont conforté une décision qui me coûtera : ne plus assister à une corrida à Las Ventas. Qu’attend le reste du public madrilène compétent pour faire taire ceux qui croient, se basant sur des théories erronées, dans une plaza représentative comme Las Ventas ?

J’ai remarqué aussi des faits exceptionnels qui par leur envie et leurs qualités techniques me redonnent l’espoir, parmi les novilleros. En premier, j’ai remarqué le jeune mexicain Isaac Fonseca qui a réalisé déjà en 2021 une temporada d’exception avec son triomphe dans la Finale Nationale de la Ligue des Novilleros en coupant trois oreilles, suivies de trois oreilles et la queue dans les arènes toristes de Cadalso de los Vidrios et l’Alfarero de Oro de Villafranca de la Segra. Dès le début 2022, l’ouragan Fonseca continua ses actuations triomphales. Blessé le 25 juin avec une fracture à la mâchoire et deux légères cornadas après avoir coupé une oreille dans la Finale des Triomphateurs de Las Ventas, il a coupé 4 oreilles à Pamplona à dix jours d’intervalle. Ce jeune héros va prendre l’alternative à la Feria de Dax au mois d’août prochain.

Le cas du jeune chiclanero Christian Parejo, bien connu de l’aficion biterroise, vient de démontrer une force de caractère impressionnante ajoutée à une technique et un sens artistique qui impactent sur le public.

Istres le 19 juin 2022

Le 19 juin à Istres il toréa à partir de 11 heures une novillada piquée médiocre d’Espartaco, coupant une oreille. Autorisé à quitter les arènes avant 13 heures, il part de Salon de Provence en petit avion privé Cesnna 182 limité à quatre personnes en tout, pilotes compris pour un voyage de 1500 kms (escale obligatoire) vers Palos de la Frontera (Huelva). Arrivé juste pour le paseo à 22 heures 30, il coupa trois oreilles après une journée si éprouvante et se qualifia pour la grande finale des novilleros d’Andalousie à Antequera du 25 juin où il termina second avec trois oreilles. Christian fut important le 3 juillet à Boujan après deux faenas excellentes qui auraient dû lui rapporter quatre oreilles après avoir manqué l’estocade à son premier. La faena de son second Valdefresno m’a particulièrement impressionné tant par sa qualité esthétique que son engagement dans le combat. C’était du haut niveau !

Ces faits positifs, hors du commun, sont représentatifs de certains matadors et novilleros qui peuvent nous faire encore rêver au renouveau de la tauromachie. Ils peuvent repousser par leur force et leur succès les comportements abjects et malhonnêtes des activistes, de certains politiques et de la presse servile. Ils nous attaquent avec d’autant plus d’efficacité que le monde taurin n’a pas su s’organiser pour faire valoir les succès et la qualité exceptionnelle que peut atteindre la tauromachie. Nous ne pourrons résister qu’en nous organisant et nous unissant autour des toreros pour démontrer l’exception que représente la corrida de toros dans le monde actuel. Je suis reconnaissant à ces personnages qui nous rendent notre honneur alors que le monde taurin l’a trop souvent trahi.

Je ne puis terminer sans penser à ces Mozos Pamplonicos, parfois déraisonnables mais si amoureux de leur tradition, qui courent les toros dans les ruelles de la capitale navarraise. Nous avons la chance : après deux ans de pandémie ils n’ont rien oublié, au contraire. Ils ont revu, dans les rues ou dans les ruedos ce qu’ils voyaient en rêve.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 107 – 2022