LA JOTA DEL SEXTO TORO
La Feria de Zaragoza termine traditionnellement la Temporada Alta en Europe. Appelée aussi Feria del Pilar, elle se déroule tous les ans autour du 12 octobre pour fêter la Patronne de la Ville et de l’Aragon. Cette date est aussi celle de la Fiesta Nacional d’Espagne pour commémorer la Découverte des Amériques du 12 octobre 1492 par Christophe Colomb au nom des Rois d’Espagne. Cette Fête que le Pouvoir d’une époque appela même Fiesta de la Raza avant de redevenir Dia de la Hispanidad et Fiesta Nacional en 1958 confirmée en 1978 par la Constitution Espagnole. Un peu de référence à l’Histoire ne fait pas de mal quand on veut comprendre ce pays que nous aimons, avec ses passions et ses excès qui faillirent le détruire. La Feria de Zaragoza se déroule dans le Coso de la Misericordia inauguré en octobre 1764. Ce fut la première plaza couverte d’Espagne réalisée en 1987 par un grand empresario Alturo Beltran. Cette couverture en teflon lui conserve ses caractéristiques antérieures mais lui donne un charme particulier, sans oublier le confort, tant au public qu’aux toreros, face à une météorologie parfois difficile à cette période. Cette Feria a connu des époques de gloire et fait partie des Références. Elle a le défaut de conclure une temporada parfois dure pour les Toreros Punteros qui, fatigués ou satisfaits de leur temporada, préfèrent ne pas s’y présenter. Nous n’oublierons pas les très graves blessures de Jose Ortega Cano en 1987 et Juan Jose Padilla en 2011 qui auraient pu mettre fin à leur carrière. Ces corridas se caractérisent par la « Jota de los Toros ». Lorsque le sixième toro sort dans le ruedo, la Banda de Musica joue cette Jota connue aussi à Zaragoza comme la « Jotica » créée au début des années 90. Cette musique traditionnelle jouée jusqu’à la fin du tercio de capote est accompagnée par le public « tocando palmas » sur le rythme traditionnel de la Jota et dansant parfois sur les gradins, incitant le maestro à faire la meilleure faena de capote, tant en qualité qu’en quantité, si le toro le permet. La Jota est une manifestation du folklore d’une grande partie de la géographie espagnole depuis la fin du XVIIIème siècle. La Jota Aragonesa, chantée et dansée selon un rythme particulier, est la plus fameuse. Elle donne à ces corridas une atmosphère typique venant d’un peuple attaché à ses racines. Simon Casas et ses associés, qui ont repris la gestion des arènes en 2014 (voir notre édito n°18 d’octobre 2014), ont affirmé leur intention de rendre à la Feria del Pilar le niveau qu’elle mérite. Il faut reconnaître qu’ils sont arrivés en 2015 à inclure dans les cartels, plusieurs figuras (malgré les blessures de Ponce et Perera) et des ganaderias prestigieuses mais on a aussi retrouvé des montages (cartel mixte Ventura/El Juli – cartel Ttalavante/Lopez Simon) auxquels je n’adhère pas car ils enlèvent à la corrida l’équilibre parfait de 6 toros pour 3 toreros qui permet de monter des cartels équilibrés. Ce sont les figuras qui commandent pour leur image et leur cachet.
Au niveau des toros, nous avons assisté à un mélange assez disparate, tant au niveau du trapio que du comportement. Malgré ce, j’ai relevé l’attitude de Talavante de retour de blessure, dans ses deux corridas mais surtout face aux Cuvillo, celle d’El Juli dans un cartel fait pour lui et par lui. Quant à Lopez Simon, il a montré des choses intéressantes, sans atteindre le niveau des commentaires et surtout des titres dithyrambiques d’une certaine presse… Pour moi, en plus de Talavante, j’ai plutôt remarqué, l’attitude de Juan del Alamo (2 oreilles) face à des Fuente Ymbro sérieux dans leur présentation, mais de comportement décevant et le combat méritoire de Rafaelillo devant une très compliquée corrida d’Adolfo Martin. Malheureusement, comme JM Manzanares, Sébastien Castella ayant annoncé préalablement qu’il arrêtait sa temporada très dense, à la fin septembre, il ne pouvait être à Zaragoza. C’est regrettable car, à mes yeux, Sébastien a été le torero de la temporada européenne 2015. Dans la majorité de ses 51 corridas, il a démontré son sens artistique, sa gestuelle sereine, son entrega, sa constance dans la densité de sa tauromachie. Il n’a rien lâché et a justifié chaque jour sa place de n°1. Après ses triomphes importants à la San Isidro, Pamplona, Valencia, Valladolid, Béziers, Puerto de Santa Maria, San Sebastian et Salamanque, il a arrêté sa temporada après la Feria de Logroño dont il a été déclaré le triomphateur : trophée « Rioja y Oro » remis en personne par le Président du Gouvernement Régional de la Région, Jose Ignacio Ceniceros. Il a fait l’unanimité, tant au niveau du public, du monde taurin, que de la presse, après ses faenas devant les 3 Fuente Ymbro (mano a mano). Si son second lui a permis de mettre en avant ses qualités artistiques, devant le 6ème, après une voltereta impressionnante heureusement sans gravité, il a démontré à nouveau qu’il était à même de faire, bien que diminué physiquement, une faena construite et poderosa, devant un adversaire très compliqué, tout en conservant sa sérénité. Après la remise du trophée Cossio 2015 par la Real Federacion Taurina d’Espagne, toute l’aficion et tout le mundillo espagnols ont reconnu sa domination sur la temporada qui s’achève. Jose Luis Lozano a déclaré publiquement : « la faena de Castella à la San Isidro est historique, nous continuerons à en parler dans 20 ans ».
Je vous avais promis, poussé par l’actualité, de revenir en fin de temporada sur nos terres biterroises, pour examiner avec recul la temporada et l’avenir de la corrida à Boujan et à Béziers (par ordre chronologique).
Les arènes des bords du Libron avaient fait le BUZZ en 2014, après l’annonce de la fin de la mise à mort pour la Feria des Novilladas des fêtes traditionnelles du début d’août (édito de mai 2014). Heureusement, la prise de responsabilité et la proposition de Tomas Cerqueira à la ville de Boujan d’organiser conjointement la Corrida des Vendanges d’octobre 2014 (seul face à 4 toros de Gallon), ont permis de relancer la corrida authentique dans les arènes de Boujan qui me paraissaient vouer à perdre progressivement leur image. Le succès populaire et artistique de cette Feria des Vendanges a permis de les crédibiliser à nouveau. Les organisateurs de MB Aficion qui ont lancé l’organisation de la Feria de Novilladas piquées en juin 2015, ont obtenu un résultat satisfaisant, malgré la déception sans surprise des Pablo Romero sauvés par les deux meilleurs novilleros du moment : Andrès Roca Rey et Joaquim Galdos. Je regrette quand même l’absence d’un novillero français dans ces deux novilladas. Pour 2016, les organisateurs annoncent que la Feria, baptisée « Toros y Campos », Feria Torista du Sud-Est, renaît avec un programme ambitieux qui sera dévoilé le 15 janvier prochain. Il faut féliciter la préparation et la médiatisation de l’évènement tant taurin que festif. Je regrette cependant l’utilisation du terme « Toriste », comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire car il divise plus que ce qu’il unit. La Corrida est UNE, avec ses qualités et malheureusement ses défauts aussi. Le meilleur exemple est la Feria de Dax 2015 où les toros de Salamanca de Pedraza de Yeltes (d’origine Domecq par Aldeanueva) ont donné le meilleur jeu de toute la temporada française pour l’aficionado, tant par leur émouvant tercio de piques que par leur bravoure tout au long de la lidia. Seule préoccupation : comment maintenir trois évènements majeurs dans cette arène, même si Béziers est si proche ?
Quant aux arènes du Plateau de Valras, malgré quelques rumeurs (comme tous les ans), nous devons attendre pour qu’elles se confirment. J’espère que tant dans la programmation que dans l’application du Règlement, nous reviendrons à des pratiques saines et respectueuses des fondamentaux de la corrida.
J’ai eu la chance de retrouver dernièrement, dans les archives de notre Musée, le premier Règlement Taurin de la Ville de Béziers daté d’avril 1899, signé par un Maire historique de notre ville : Alphonse Mas et le Président de la Commission Taurine (l’UVTF n’existait pas). Les membres de cette Commission avaient mis en place un règlement précis et judicieux, adapté aux pratiques taurines de l’époque, démontrant une connaissance et une aficion étonnantes dont beaucoup devraient tirer les leçons. Le problème de l’aficion et de l’organisation des spectacles taurins dans notre ville est remis en cause par la désinformation organisée que nous vivons depuis plus de 10 ans pour maintenir un système qui dégrade progressivement la qualité et l’intégrité de NOTRE corrida de toros. Comment le journal local peut-il écrire, tout en l’éclipsant, que le spectacle du Gala Taurin des Journées Taurines était terne, alors que nous avons assisté à une tarde intéressante, tant par le bétail d’Alain Tardieu que par les jeunes matadors de toros ? N’oublions pas le « papier » dénigrant de présentation du journaliste taurin local (qui était absent). Ils roulent pour qui ? Vous avez tous compris que l’objectif est de détruire. Il est vrai qu’Attila a déjà pratiqué la technique de la Terre Brûlée il y a 15 siècles. Il y a deux conceptions pour expliquer cette pratique, mais l’objectif est le même : nuire à tous ceux qui peuvent apporter des possibilités nouvelles en leur enlevant tout recours pour apporter des solutions. « Après moi le déluge… ». Ne vous inquiétez pas, il en existe, si l’aficion reste ferme et démontre sa volonté de vivre.
Si elle regarde son passé, l’aficion biterroise se rendra compte que l’histoire de nos arènes et de la corrida à Béziers, n’a pas été un long fleuve tranquille. Elle a connu des moments brillants mais aussi des périodes très difficiles :
– Les arènes du Plateau de Valras ont été construites en moins d’un an, après l’incendie du terrain Palazy. Qui l’aurait cru possible ?
– La création de la Feria en 1968 a suivi une période très difficile pour faire revivre la corrida. Malgré ce, l’empresa utilisa nos arènes comme l’annexe de celles de Nîmes. Il a fallu l’arrivée en 1980 de Biterrois pour donner un nouvel élan dont nous bénéficions encore.
– La création de la Régie municipale en 1985 a permis de protéger nos arènes des abus, tout en maintenant la qualité. Le rôle de la municipalité a toujours été primordial dans ces renaissances. Je pense fermement que devant le laxisme et le clientélisme qui marquent ces 15 dernières années, la Ville a la responsabilité morale et économique de maintenir cet outil, je dirai mieux ce symbole fondamental pour la Feria qui, ajouté au renouveau de nos vins, peut redonner le goût de vivre et une dynamique à notre cité.
L’échec populaire du dernier Gala Taurin ne doit pas décourager l’aficion locale qui, elle aussi, doit jouer un rôle dans ce possible renouveau, tout en reconnaissant ses erreurs. Elle l’a montré par le passé par la création en 1983 par notre Club doyen, des Journées Taurines qui rencontrèrent pendant près de 15 ans un succès incontestable reconnu par le monde taurin, tant français qu’espagnol. Mais les jalousies manipulées ont découragé ses initiateurs qui ont préféré jeter l’éponge pour qu’elles continuent à vivre dans d’autres mains plus consensuelles. Le Festival organisé en 1992 par les clubs taurins biterrois, qui n’étaient pas encore fédérés, au profit de la Recherche sur la Moelle Epinière, connut un succès important, tant populaire que taurin, avec le comportement exemplaire des toros de Guardiola et des maestros invités qui ont tous joué le jeu.
Cette Aficion active et indépendante, devenue gênante aux yeux de certains, il fallait la canaliser et progressivement essayer d’étouffer ses élans pour remplir les arènes par un public devenu un simple consommateur, sans âme ni références.
Nous subissons une désinformation médiatique qui alterne les rédactions publicitaires admiratives… et les attaques insidieuses contre les fondements de notre tradition taurine. Malgré ce, il existe une place pour la vie de nos associations. La solution n’est pas de lutter les unes contre les autres, mais de défendre leurs identités et de s’unir si nécessaire. Contre vents et marées, Christian Coll du « Mundillo » démontre que tout est possible quand on croit à sa passion et à ses engagements.
Même si ces mots ont été prononcés dans des circonstances bibliques et historiques, j’ose les reprendre : « n’ayez pas peur » de résister tant aux antis qui ne cherchent qu’à vous détruire avec l’aide de la pensée unique bien pensante, qu’aux « marchands du Temple » qui galvaudent notre aficion. Ainsi, vous prouverez à la Ville qu’elle peut s’appuyer sur votre soutien et votre dynamique pour reprendre en main la situation qu’elle a su sauver plusieurs fois.
Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Edito n° 31 – Novembre 2015