«QUAND LES TOREROS VEULENT… »

Les 6 premiers mois de la temporada en cours m’ont apporté de grandes satisfactions qui peuvent nous procurer un rêve d’avenir si l’on se réfère à ces dernières années du monde taurin. Pendant cette période, j’ai pensé que les deux toreros majeurs, à mes yeux, de ce début des années 2000 n’avaient pas apporté leur vrai potentiel dans nos plazas. Certes, Juli depuis sa carrière triomphale de novillero et après son alternative, a démontré une intelligence, une maîtrise, une puissance qui lui ont permis de battre dans les premières années les records quantitatifs de triomphes en remplissant les arènes. Je regrette par la suite ses misérables querelles matérielles avec les empresas entraînant avec lui quelques collègues majeurs. Je pense que ce n’était pas son rôle, même avec un monde empresarial taurin défaillant à plusieurs titres. Les aficionados, dans leur majorité, n’ont pas compris cette démarche qu’ils ont ressentie comme égoïste. Il aurait fallu une mise en cause globale incluant ganaderos et aficion pour être efficace. Il aurait pu utiliser son prestige d’une autre manière pour apporter ce renouveau nécessaire, autre que celui du pouvoir financier, qui n’a pas été obtenu. Ils ont même desservi à mes yeux la cause de la corrida. Juli alternera trop souvent des triomphes faciles et des banalités ayant pour conséquence un découragement du public qui ne lui trouvait plus sa puissance et son alegria caractéristiques. Si progressivement depuis 2010, Juli a pris une autre attitude, c’est surtout à mes yeux depuis le début de la temporada que nous vivons qu’il a montré un très haut niveau, tant par ses recours techniques qu’il n’avait pas vraiment perdus, mais surtout poussés à l’extrême par l’envie qu’il démontre notamment dans les grandes ferias. Je me rappelle voir à la télévision en direct à la Feria de Séville, El Juli avant le paseo avec Manzanares et Aguado. J’ai remarqué sur son visage, dans son attitude, une détermination de bête fauve qui ne laissa aucun doute sur le fait qu’il allait les manger. Ce fut le cas.

Le cas de Morante est encore plus étonnant. Le Maestro de la Puebla nous a montrés pendant 20 ans d’alternative, un comportement si irrégulier, paraissant désintéressé au point de le rendre parfois désagréable. Dans l’édito de septembre 2021, j’ai attiré l’attention sur les mots qui le caractérisent actuellement à mes yeux : torero génial. Effectivement, depuis ces dernières années, Morante a démontré un changement brutal dans sa manière d’être. Progressivement, il s’est comporté comme s’il avait compris que sa classe, hors du commun, lui imposait de donner un autre niveau à sa tauromachie. Il est devenu ce torero génial responsable tant vis-à-vis du public que je l’espère, par nécessité de relancer le monde taurin tellement indispensable à sa survie. Cette situation ne peut que nous préoccuper alors qu’en Espagne le monde taurin est confronté au gouvernement de Pedro Sanchez II (PSOE – Unidas – Podemos) avec des accords avec les indépendantistes qu’il confirme par ses actes avec l’appui des animalistes, malgré la protection trop souvent théorique du Tribunal Constitutionnel. Il faut quand même constater le maintien de la corrida à Palma de Majorque. Quand on veut…
Le monde empresarial a sa part de responsabilité dans cette situation, d’autant plus qu’il est confronté au comportement illégal (Gijon…) de quelques maires. Je pense que la meilleure des solutions, en dehors des aides pour les éleveurs et pour les novilladas, est le comportement des toreros figuras pour ramener un public fidèle dans les arènes.

Quelle joie de voir ces jours-ci les arènes de Pamplona et les encierros. Cette passion existe surtout quand elle est soutenue par un comportement exemplaire des toreros ainsi que des toros comme ceux de Victoriano del Rio, la Pamosilla, Jandilla… alors que pourtant le pouvoir navarrais, en accord avec les Basques de Bildu, a un comportement ambigu.

En France, les déclarations contre la corrida des élus sont plus discrètes en dehors des animalistes englobés dans Nupes qui préparent un projet de loi. Le président Macron et les autres partis ont déclaré leur soutien à la corrida dans les zones de tradition. Merci à ceux qui, chez nous, ont mis en place un système qui nous a permis de nous défendre par une création institutionnelle comme l’UVTF. Malheureusement, nous n’empêcherons pas les déclarations inacceptables de quelques extrémistes peu nombreux et bruyants, notamment à Béziers. Je pense, comme plusieurs, que nous devons réagir avec les moyens légaux pour démontrer à la population les vraies motivations de ce groupe qui fait de la désinformation sans aucun scrupule, profitant de la complicité de la presse locale. Les dernières enquêtes sérieuses démontrent que dans les zones de tradition, la population, nettement majoritaire, souhaite que les politiques ne touchent pas à la corrida : chez nous pas de débat, c’est oui !!

Je suis beaucoup plus inquiet sur la situation aux Amériques avec un comportement agressif d’une partie des pouvoirs publics (issus des mouvements révolutionnaires) surtout dans les capitales : Caracas, Bogota ( ?), Quito… Un juge vient même de fermer les arènes de La Mexico suite à une plainte déposée par une association. Quand on sait le peu de volonté et d’efficacité que les pouvoirs publics, la justice et la police démontrent dans ce pays pour protéger les êtres humains et leurs biens contre les mafieux ! Le monde est-il sérieux ? Espérons que l’appel auprès d’autres instances sera efficace et que les temps puissent changer… Le Mexique est une grande nation taurine. En fait ce mouvement correspond plus à une attitude que l’on peut considérer comme anti espagnole, typique du chavisme, qu’à la corrida de toros proprement dite.

Il est vrai que depuis quelques temps la lassitude ou l’âge m’amène à aller moins aux arènes, notamment pour des ferias parfois trop longues à mes yeux. Je choisis mes déplacements par goût personnel qui tient à des souvenirs, à des amitiés avec des aficionados locaux ou voir toréer des toreros de connaissance. Il est vrai que, par ailleurs, internet ou les télévisions espagnoles nous permettent de suivre l’actualité avec plus de facilité que par le passé.
Lors de mon voyage à la Feria de Cordoba avec l’UTB pour le jumelage avec le Circulo Taurino, j’ai pu admirer une tarde exceptionnelle du rejoneador Diego Ventura et de Morante, avec des gestes géniaux, un engagement, une prédisposition, une manière d’être, une envie de triompher rarement égalée. Était-ce le moment, le lieu symbolique : la Plaza de los Califas. Juli et Morante ont montré aussi à Las Ventas pour la San Isidro des tardes parmi les meilleures de leur carrière, étonnant une partie du public. Ils atteignirent ce niveau à Pamplona et à Burgos particulièrement pour le maestro sévillan. J’espère ne pas me tromper, tout cela n’est pas du hasard. Le public, l’aficion ont aussi un rôle à jouer dans cet éventuel renouveau. Quelques jours plus tard dans les arènes de Las Ventas où l’UTB a présenté avec Pepe Puente Jerez l’exposition exceptionnelle du 8 juillet au 18 septembre pour le 75ème anniversaire de la mort de Manolete, je suis allé au Tendido 5 regarder la corrida de la tarde. J’étais voisin du Tendido 7 des insupportables aficionados qui se veulent connaisseurs avec leurs a priori. J’ai été témoin de l’engagement extrême mais lucide, sans perdre sa maîtrise, du jeune Maestro Roca Rey.

17 juillet 2022 – Roca Rey à Lunel face à un Nuñez del Cuvillo

Pourtant, les interventions bruyantes des spectateurs du 7, insuffisamment couvertes par les spectateurs de l’ombre qui ne les acceptaient pas. Son adversaire de Fuente Ymbro puissant et manso perdido s’était réfugié aux tablas, entre la porte du toril et la porte du paseo. Le jeune péruvien, impassible, parvint à le maîtriser, à le toréer véritablement malgré ses réactions dangereuses et imprévisibles. Certes, il perdit les trophées à cause de plusieurs échecs à l’épée alors qu’il avait démontré une maîtrise, un courage impressionnant qui méritaient l’appui de tout le public pendant la faena. Malheureusement, ces inqualifiables du Tendido 7, heureux d’avoir perturbé un torero important, ont conforté une décision qui me coûtera : ne plus assister à une corrida à Las Ventas. Qu’attend le reste du public madrilène compétent pour faire taire ceux qui croient, se basant sur des théories erronées, dans une plaza représentative comme Las Ventas ?

J’ai remarqué aussi des faits exceptionnels qui par leur envie et leurs qualités techniques me redonnent l’espoir, parmi les novilleros. En premier, j’ai remarqué le jeune mexicain Isaac Fonseca qui a réalisé déjà en 2021 une temporada d’exception avec son triomphe dans la Finale Nationale de la Ligue des Novilleros en coupant trois oreilles, suivies de trois oreilles et la queue dans les arènes toristes de Cadalso de los Vidrios et l’Alfarero de Oro de Villafranca de la Segra. Dès le début 2022, l’ouragan Fonseca continua ses actuations triomphales. Blessé le 25 juin avec une fracture à la mâchoire et deux légères cornadas après avoir coupé une oreille dans la Finale des Triomphateurs de Las Ventas, il a coupé 4 oreilles à Pamplona à dix jours d’intervalle. Ce jeune héros va prendre l’alternative à la Feria de Dax au mois d’août prochain.

Le cas du jeune chiclanero Christian Parejo, bien connu de l’aficion biterroise, vient de démontrer une force de caractère impressionnante ajoutée à une technique et un sens artistique qui impactent sur le public.

Istres le 19 juin 2022

Le 19 juin à Istres il toréa à partir de 11 heures une novillada piquée médiocre d’Espartaco, coupant une oreille. Autorisé à quitter les arènes avant 13 heures, il part de Salon de Provence en petit avion privé Cesnna 182 limité à quatre personnes en tout, pilotes compris pour un voyage de 1500 kms (escale obligatoire) vers Palos de la Frontera (Huelva). Arrivé juste pour le paseo à 22 heures 30, il coupa trois oreilles après une journée si éprouvante et se qualifia pour la grande finale des novilleros d’Andalousie à Antequera du 25 juin où il termina second avec trois oreilles. Christian fut important le 3 juillet à Boujan après deux faenas excellentes qui auraient dû lui rapporter quatre oreilles après avoir manqué l’estocade à son premier. La faena de son second Valdefresno m’a particulièrement impressionné tant par sa qualité esthétique que son engagement dans le combat. C’était du haut niveau !

Ces faits positifs, hors du commun, sont représentatifs de certains matadors et novilleros qui peuvent nous faire encore rêver au renouveau de la tauromachie. Ils peuvent repousser par leur force et leur succès les comportements abjects et malhonnêtes des activistes, de certains politiques et de la presse servile. Ils nous attaquent avec d’autant plus d’efficacité que le monde taurin n’a pas su s’organiser pour faire valoir les succès et la qualité exceptionnelle que peut atteindre la tauromachie. Nous ne pourrons résister qu’en nous organisant et nous unissant autour des toreros pour démontrer l’exception que représente la corrida de toros dans le monde actuel. Je suis reconnaissant à ces personnages qui nous rendent notre honneur alors que le monde taurin l’a trop souvent trahi.

Je ne puis terminer sans penser à ces Mozos Pamplonicos, parfois déraisonnables mais si amoureux de leur tradition, qui courent les toros dans les ruelles de la capitale navarraise. Nous avons la chance : après deux ans de pandémie ils n’ont rien oublié, au contraire. Ils ont revu, dans les rues ou dans les ruedos ce qu’ils voyaient en rêve.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 107 – 2022

ÉDITORIAL

« OH WHEN THE SAINTS GO MARCHING IN»

Je me promenais récemment à Séville dans le barrio de Triana, quartier populaire typique au bord du Guadalquivir. J’étais séduit par l’ambiance harmonieuse de ces rues où l’on trouve à tout à la fois le côté enchanteur de certaines maisons marqués par los azulejos et les céramiques avec les tablaos flamencos, les bars et le singulier mercadillo près du célèbre pont qui relie le quartier populaire au centre de la cité. Les quartiers bourgeois, les palais des grandes familles, les magnifiques monuments surmontés par le clocher de la Giralda, ancien minaret hispano-mauresque rattaché à la monumentale cathédrale Notre-Dame construite au XVème siècle. Je marchais seul dans la rue silencieuse et je me suis pris à imaginer ce quartier dont l’histoire artistique est marquée par les toreros majeurs : Gitanilla de Triana, les Chicuelo, Cagancho, Juan Belmonte, créateur de la corrida moderne, sans oublier Emilio Muñoz ; et de nos jours, les célèbres chanteurs de la période moderne, les rockeurs du groupe Triana (Abre la Puerta) sans oublier le classique flamenco Naranjito de Triana et les Gypsies flamencos.
La douceur de ce quartier et de la ville me rappelle une autre grande cité près du grand fleuve du Mississippi aux États-Unis : New Orléans ou La Nouvelle Orléans créée par les colons français au XVIIIème siècle, imprégnée par de nombreux artistes tant dans la littérature que dans la musique. Cette promenade m’a rappelé l’historique chanteur trompettiste Louis Amstrong (Satchmo) qui fit connaître son talent dans le monde entier. Je m’imaginais entendre son interprétation avec sa voix si particulière du fameux negro spiritual qui, étrangement, m’a ramené à la tauromachie sévillane, à la Real Maestranza et à la Porte du Prince.

Oh when the saints go marching in
Oh when the saints go marching in
Oh Lord, how I want to be in that number
Oh when the Saints go marching in

Oh, quand les saints entreront en marchant,
Oh, quand les saints entreront en marchant,
Oh, Seigneur, je veux être du nombre
Oh, quand les saints entreront en marchant.

Le chant de cet hymne gospel a été transformé par l’interprétation exceptionnelle de Louis Amstrong comme celle de « What a wonderful world » (quel monde merveilleux).

Cette flânerie me ramena sur terre quand j’aperçus la statue de la Musicienne Flamenca du Pont Isabelle (Pont de Triana) et le monument à Juan Belmonte (El Pasmo de Triana). Franchissant le pont, nous entrons sur l’autre rive plus bruyante et agitée qui nous attend avec la Plaza de la Maestranza qui est le but de ma présence à Séville pour la fameuse Feria d’avril. Cet évènement majeur de la saison, tant économique que festif pour la capitale andalouse, accentue encore plus la différence entre Triana et le reste de la cité comme les abords de la Cathédrale, le Barrio de Santa Cruz, l’Alcazar, l’Hôtel Colon et les casetas du campo de feria. Cette année, l’empresa et l’aficion étaient satisfaites de retrouver leur vraie feria, aux dates habituelles de la Primavera après la réouverture officielle des festivités, notamment des férias taurines qui avaient tant souffert en 2021.

L’indisponibilité d’Emilio de Justo, après son impressionnante cojida du 10 avril à l’estocade du Pallares, premier de sa corrida à Madrid contre six toros de ganaderias différentes, a marqué ce début de feria. Les fractures des vertèbres cervicales vont l’écarter de l’actualité alors qu’une temporada importante l’attendait suite à ses succès de 2021.

La substitution de Séville fut finalement euphorique pour le public sévillan puisqu’elle a permis de voir triompher son remplaçant Daniel Luque qui coupa 3 oreilles avec sa première sortie par la Porte du Prince. Nous remarquerons particulièrement sa première faena devant un grand toro de Victoriano del Rio bien complétée devant son deuxième Alcurrucen. Même si cela n’enlève rien à ce grand succès qui marque la carrière de Luque, il faut noter que le public de la Maestranza est devenu bondadoso vis-à-vis des toreros dans la pétition des trophées. Cette feria a enregistré les sorties triomphales de Luque, Guillermo Hermoso de Mendoza, l’étonnant jeune toledano Tomas Rufo et El Juli. Par contre, le Président volera le succès de Roca Rey en enlevant une oreille à son 2ème toro. Le toujours jeune Andrès, qui vit à Gerena comme Luque et Escribano, n’est peut-être pas assez sévillan ou bien le Président voulait-il rattraper certaines oreilles antérieures que l’on pouvait discuter ? J’ai été surpris par l’actuation du Juli devant ses toros préférés de Garcigrande. Julian n’a pas toujours répondu à l’attente des aficionados ces derniers temps. Le public était venu pour voir deux des toreros préférés de la Maestranza, Jose Maria Manzanares et Pablo Aguado. Avant le paseo, j’ai aperçu sur son visage une concentration et une marque de volonté inhabituelles alors qu’après 25 ans d’alternative au plus haut niveau il paraissait avoir perdu son ambition. Ses deux concurrents ont paru tellement impressionnés par sa première faena qu’ils ont paru décontenancés dans des interprétations banales, sans imagination et hésitantes par moment. La qualité inférieure de leurs toros n’explique pas tout.

Quand on voit les photos de sa sortie par la Porte du Prince ave son visage illuminé, on comprend l’importance de ce succès dans la carrière des matadors de toros (le 6ème pour El Juli). Cette envie que nous rappelle cet extrait du chant d’Amstrong « Je veux être de ce nombre – I want to be in that number ».

La corrida n’est pas une activité banale. C’est un évènement où la passion et l’émotion sont prépondérantes. Certes, il a fallu créer un règlement pour éviter les dérives. Il faut le respecter mais comment un président de corrida peut, à Séville, priver Andrès d’une oreille méritée aux yeux de la grande majorité des spécialistes, le dépossédant d’un succès majeur avec une pétition unanime comme, à moindre titre, le 2ème du 5ème Miura de Manuel Escribano, avec une pétition très largement majoritaire. Les défenseurs du pouvoir incontestable et du respect imposé de la décision du président ne m’empêchent pas de penser que d’autres éléments ont un rôle prépondérant dans ces décisions que je juge abusives. J’ai présidé trois ans, sans le moindre incident, les corridas aux arènes de Béziers et j’ai laissé parfois mes sentiments et mon aficion orienter ma décision (sauf pour la première oreille demandée majoritairement par le public) lorsqu’elle paraissait méritée dans l’esprit.

La Plaza n’est pas un tribunal et le président a pour mission de maintenir l’ordre et de récompenser plus que de condamner. N’oublions pas que la corrida, même dans une plaza de 1ère catégorie, est une fête du toro et de son combat avec l’homme qui l’affronte. Nous devons être exigeants sur la défense de l’intégrité de la corrida mais je pense que nous devons aussi lui conserver son esprit festif et sensible et pas inquisiteur. Je n’ai jamais été un admirateur béat des maestros. Je sais apprécier leur comportement lorsqu’ils donnent, en plus de leur technique, un engagement physique et mental pour triompher devant un public connaisseur et sans à priori. Les échecs sincères à l’épée ont toujours existé. Ils ne doivent pas effacer des faenas importantes. Le public, par ses attitudes, doit savoir démontrer au maestro déçu ou même abattu après tous ses efforts, sa reconnaissance. Ce fut le cas dernièrement d’Andrès Roca Rey à Séville le 6 mai et d’El Juli à Madrid ce 11 mai 2022.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 106 – 2022

éditorial fevrier 2022

« LOS CALIFAS DE CORDOBA»

L’Andalousie est considérée par la majorité des aficionados européens comme la zone de prédilection du toro bravo et de la corrida sur le vieux continent. Séville est la capitale de la Province et de la Communauté Autonome Andalouse, tant pour son importance administrative et politique des zones urbanisées de la basse plaine du Guadalquivir, que pour la richesse de son agriculture, ses riches territoires touristiques, notamment des rivages océaniques. Si de nos jours, cette préséance indéniable a apporté à la capitale Bética beaucoup de prérogatives sur toutes les autres capitales provinciales d’Andalousie, on ne peut nier le prestige des autres territoires majeurs maritimes, Cadiz et Malaga. De même, les cités de Cordoue et Grenade qui ont connu l’influence maure pendant leur occupation de l’Espagne du Sud, ont gardé les traces indélébiles de la culture hispano-mauresque démontrant la richesse économique et culturelle de ces régions pendant plusieurs siècles, se prolongeant pendant la Reconquista majeure du XIIIème siècle à partir de la victoire de las Navas de Tolosa en 1212. Cette époque luxuriante pour Cordoue est reconnue par tous les spécialistes, notamment par le classement du centre historique au patrimoine mondial de l’UNESCO. La devise espagnole de la ville Casa de guerrera gente y de sabiduria clara fuente (Demeure d’une guerrière population et de sagesse claire fontaine) exprime tout à la fois la capacité de lutter de cette cité et la richesse de ses penseurs historiques dont les philosophes d’origine romaine Sénèque et Lucain et les penseurs du monde arabe, Averroès et Maimonide. Cela sous-entend Cordoue comme une cité plus austère que Séville. On rattache à Séville dans l’expression de sa culture et de sa tauromachie, un caractère plus facile, plus léger malgré son imposante Semaine Sainte. L’aficion taurine marquée par l’histoire et les toreros historiques du XIXème siècle, décida de décerner le titre honoraire de CALIFE à des toreros exceptionnels cordouans de naissance, marqués par une carrière hors du commun. Ils ont fait l’histoire de cette terre en souvenir du Royaume Maure de Cordoue et dans le monde taurin. Il est vrai qu’ils ont marqué leur époque :

1er Calife de Cordoue : Lagartijo (1841-1900)

Comme de nombreux toreros des XVIIIème et XIXème siècles, il commença sa carrière comme subalterne de cuadrilla. Il fait remarquer son élégance unique et sa perfection artistique. Torero complet, admirable à la cape, inégalé aux banderilles, à la fois dominateur et artiste avec la muleta. On remarqua avec sa cape, sa larga cordobesa pour conclure les séries en s’éloignant lentement avec la cape sur l’épaule. Son point faible resta son coup d’épée même si sa media lagartijera placée dans le haut du garrot était efficace. Elle est utilisée parfois encore de nos jours. Il commença sa carrière dans les cuadrillas infantiles avant de passer par toutes les étapes de la profession jusqu’à son alternative à 24 ans. Matador de toros pendant 28 ans, il participa à 1632 corridas et tua plus de 4500 toros. Il était admiré par ses compagnons de cartel, notamment Frascuelo, le torero de Grenade ou son compatriote le jeune Guerrita qui déclara : on est payé du prix de sa place à le voir seulement au paseo. Son surnom de Lagartijo (petit lézard) correspondait certainement à une habileté supérieure.

2ème Calife : Rafael Guerra Guerrita (1862-1941)

Son nom est inséparable de l’histoire des toreros originaires de Cordoue. Son père étant concierge des abattoirs, il commence très jeune dans des capeas et continue comme subalterne de matadors. Banderillero extraordinaire, il débute dans les cuadrillas de figuras historiques : Fernando El Gallo et Lagartijo qui l’appréciait pour ses actuations dans le ruedo. C’était la représentation idéale du torero largo qui dominait toutes les suertes avec aisance et sa connaissance des bêtes. Maître incontesté de la tauromachie de 1888 à 1899, sa carrière va être marquée de triomphes importants. Comme souvent, cette supériorité qu’il affichait, commença à lui apporter l’hostilité d’une partie du public au point qu’il décida tout à coup de se couper la coleta. Il déclara ce jour-là en 1899 : Je ne m’en vais pas des toros, on me chasse.

3ème Calife : Rafael Gonzalez Machaquito (1880-1955)

L’arrêt inattendu de Guerrita laissa un vide et en l’absence de figuras, le jeune cordouan employé des abattoirs va démontrer un courage exceptionnel affrontant les toros les plus forts. Les empresas compensèrent la période artistique défaillante par le combat exceptionnel du Cordouan qui réduisait les toros les plus violents dans des corps à corps impressionnants qu’il concluait par des estocades spectaculaires en se jetant sur les cornes. Il sut maintenir ce comportement et cette émotion pendant les treize années de sa carrière (temporada 1904 : 100 corridas). Il se retira en 1913 après avoir donné l’alternative à Juan Belmonte.
Son nom reste toujours à la mode grâce à la marque fameuse d’un anis sec imprimée de la photo du Maestro.

Nous arrivons dans une autre génération née au début du XXème siècle :

4ème Calife : Manuel Rodriguez (1917-1947).

Il porte l’apodo de MANOLETE comme son père et son grand-père et issu d’une famille de toreros dans une situation précaire après le décès du père et de ses oncles dans le ruedo. Comme les jeunes du quartier, il jouait dans les arènes et fit partie rapidement d’une troupe de toreros comiques. Sa rencontre avec son futur apoderado, Jose Flores Camara, aura un rôle majeur dans son comportement dans le ruedo. Nous sommes en pleine guerre civile en Espagne qui traverse des années agitées depuis 1936 avec la création de la République Espagnole. Ancien matador cordouan lui aussi, Pepe Camara va profiter de la période particulière que vit l’Espagne divisée, pour faire évoluer le toreo du jeune Manolete vers le spectaculaire que paraît suivre le goût général du public. Dès que les arènes ouvrent, il constate que le résultat est supérieur à ses espérances puisqu’il remplit les gradins. Après son alternative à Barcelone, la confirmation en octobre 1940 à Madrid est triomphale. Dès 1943, Manolete est le premier à l’escalafon. Contrairement à ses prédécesseurs Lagartijo et Guerrita qui se caractérisèrent par une tauromachie élégante, parfaite dans toutes les suertes, même en banderilles, qualifiée de l’adjectif largo, Manolete se distingue par un répertoire corto, avec une émotion unique dans sa faena de muleta. Ce n’est pas une appréciation qualitative mais technique pour son répertoire. Son admirable courage lui apportait la force morale d’attendre la charge des toros jusqu’à la limite du possible, certains parleront de l’impossible !!! C’est un changement total dans l’évolution du toreo que le sévillan Belmonte avait devancée par son toreo ferme, recevant la charge. Manolete lui, par une marche anticipée en direction de la corne contraire, oriente d’avance la trajectoire du toro. Quand le toro ne chargeait pas, Manolete marchait littéralement sur lui, se positionnant à la pointe de la corne pour déclencher l’attaque du toro. Il ne faut pas négliger l’interprétation artistique exceptionnelle, le corps droit, le geste lent, la gravité de son visage et sa sérénité austère et héroïque. La mort tragique de Manolete suite à la cornada du Miura Islero dans les arènes de Linarès, va créer une onde de choc énorme en Espagne et au Mexique. Même si le torero de Cordoba n’a jamais toréé en France à cause de la guerre civile, de la deuxième guerre mondiale et de la fermeture des frontières par Franco, il est admiré par l’aficion française auprès de laquelle il conserve un impact spécial. A partir du 8 juillet, Béziers et l’Union Taurine Biterroise vont honorer, au Musée Taurin, le 75ème anniversaire de sa mort par l’exposition Soñando de un sueño soñe du sculpteur madrilène Jose Puente Jerez.

5ème Calife : Manuel Benitez El Cordobès (1936)

Il naît dans la province de Cordoue à Palma del Rio. Orphelin de père et de mère, il est élevé par sa sœur Angela. Il est passionné par le combat avec les jeunes toros dans le campo, de nuit (furtif) mais il est confronté à beaucoup de problèmes pour toréer au point de sauter dans le ruedo, espontaneo. Sa rencontre avec Rafael Sanchez El Pipo lui permet de faire ses débuts avec picador à Cordoue le 7 août 1960. Le public est étonné par son courage inattendu, incroyable… malgré plusieurs volteretas. Le Pipo est surpris par la réaction des aficionados et investit dans une grande campagne de communication et publicitaire qui a des effets importants et rapides dans toute l’Espagne. El Cordobès attire aux arènes un public populaire dès son alternative en 1963 à Cordoue confirmée en 1964 à Madrid. L’engouement des cordouans pour la corrida a fait naître les nouvelles arènes El Coso de los Califas avec une capacité de 17000 places qui fut inaugurée par El Cordobès en 1965. Manuel Benitez Perez a inventé un style totalement différent de celui de ses 4 célèbres prédécesseurs cordouans. Peu présent à la cape, il va étonner avec la muleta par des passes surprenantes et personnelles basées sur ses qualités physiques et une grande capacité de flexibilité de ceinture qui va lui permettre un toreo spectaculaire avec le liant de ses passes de muleta. Son comportement dans la lidia le distingue de ces « ancêtres » où la maîtrise était prioritaire. Il apporte une sensation de tremendisme avec ses attitudes typiques qui portent sur le public. Manuel Benitez El Cordobès a marqué cette époque. Il fut le premier à recevoir le titre de Calife du Toreo de son vivant, tant son impact fut important sur l’ensemble de la population. L’attribution de ce titre honoraire et prestigieux fut l’objet de critiques de la part des aficionados puristes qui ne retrouvaient pas le style de l’andaloucisme cordouan, marque de fabrique des toreros déjà revêtus du titre de Calife del Toreo.
Depuis le début des années 70 qui vit l’arrêt réel de la carrière d’El Cordobès (malgré des reprises intermittentes), Cordoue n’a pas connu de torero avec le même impact, le même caractère typique, avec ce style d’andalous des hautes terres plus rudes que ceux de Séville et de Jerez. Ils correspondaient bien au titre symbolique qui leur fut attribué.
Cependant, au début des années 90, Juan Serrano Finito de Cordoba, descendant d’une famille du campo cordouan, prit une alternative massive à Cordoue. Je me rappelle ses seguidores qui venaient le soutenir à la Real Maestranza de Sevilla. Il marqua l’aficion dès son début en novillero par la qualité de sa tauromachie, son temple et la classe de sa fameuse main droite. Les premières années de sa carrière ont déchaîné une passion exacerbée chez ses compatriotes qui voyaient en lui le nouveau Calife. Finito fut un excellent torero dont la finesse, comme le dit son apodo, lui permit de grandes tardes (premier de l’escalafon en 2001 et 2002 avec plus de 100 corridas). Sa carrière est marquée par de nombreux indultos adaptés à son style face à des toros braves et nobles. Malheureusement, Finito de Cordoba, torero élégant dans le ruedo jusqu’à ses trajes de tercio pelo (habits de velours), n’avait peut-être pas le caractère endurci des porteurs du titre célèbre.
Quelques temps après, un jeune cordouan intéresse l’aficion par son style classique. Jose Luis Moreno se présente comme novillero à Madrid en 1995 et prend son alternative en 1996 à Cordoue avec Enrique Ponce comme parrain et Finito de Cordoba comme témoin. Cartelazo ! Il commence sa carrière brillamment et intéressait aussi bien l’aficion que le monde professionnel. Fin 2001 il totalisait 160 corridas. Jose Luis Moreno ne put confirmer à son niveau des qualités indéniables qu’avaient remarquées les aficionados classiques. Il est pourtant sorti 7 fois en triomphe du Coso de los Califas (arènes de 1ère catégorie).

Les cinq personnages extraordinaires, détenteurs du titre honorifique de Califa de Cordoba, ont démontré dans leur vie un comportement extrême. Leur personnalité est attachée au territoire qui les a vu naître où les civilisations après des siècles d’affrontements, ont su créer ce caractère cordouan si particulier.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 105 – Février 2022

éditorial janvier 2022

« El Toreo es de brazos no de pies»

Cette déclaration attribuée à Pedro Romero, torero historique né en 1754 à Ronda, représente parfaitement le début de la tauromachie moderne où l’homme va affronter à pied dans un ruedo, le toro sauvage des terres andalouses. Il était le fils de Francisco Romero né en 1720, considéré comme un des premiers de ces hommes à faire partie de cette tauromachie qui apparut après l’arrêt de la corrida à cheval que pratiquait la noblesse espagnole pour affronter et tuer le toro à la lance. Cette pratique eut un coup d’arrêt brutal après l’interdiction au début du XVIIIème siècle par le Roi Philippe V, Bourbon d’origine française. Après cette prohibition, certains anciens peones des chevaliers, appuyés par la volonté du peuple, décidèrent de maintenir ce combat similaire à pied sous une forme plus proche de ses origines millénaires. Lorsqu’on essaye d’imaginer ce que devait être le comportement de l’homme chargé de tuer le toro, on comprend pourquoi Pedro Romero a pu affirmer la nécessité de n’utiliser que les bras. Cet homme exceptionnel devait s’approcher, avec le minimum de mouvements de son corps, muni d’une épée et d’une muleta simpliste enroulée autour d’un support en bois pour attirer ou dévier le toro de la main gauche, alors qu’il devait maintenir la main droite très ferme pour exécuter l’estocade, le plus souvent à recibir. La corrida a évolué progressivement pour permettre au torero, aidé au préalable par le combat sauvage et héroïque du piquero sur un cheval dépourvu de protection, d’apporter une expression artistique avec la cape. Il pensait progressivement satisfaire son esprit créatif et attirer ainsi plus de spectateurs vers ce nouveau combat d’un homme face au toro. Lorsque Pedro Romero ajoute sin valor, para ver llegar el toro no hay nadie que ejecuta bien las suertes – sans courage pour voir arriver le toro, il n’y a personne qui puisse bien exécuter les suertes.

On comprend que le torero ne limite pas ses actions à porter l’estocade pour essayer de déplacer le toro sur des trajectoires maîtrisables. Il est évident que, sans courage, le torero ne peut, pour dominer ses propres gestes et les allures de son corps, détourner ou esquiver le toro. La lecture de certains ouvrages anciens nous confirme que le torero devait s’entraîner à exécuter toutes ces actions et ses attitudes. Si nous ne pouvons que confirmer la nécessité du courage du torero, on ne peut se limiter à une générosité héroïque qui serait suicidaire. Ce courage doit lui permettre de maîtriser la charge, de la conduire et de l’adoucir, de la templer . Quand on examine la carrière de Pedro Romero, on comprend facilement son insistance sur le rôle du courage. A son époque, le métier de torero consistait à diriger l’ensemble du combat avant de mettre à mort avec l’épée et l’aide de son palliatif de muleta. Le courage était sans aucun doute sa principale vertu, lui dont on dit qu’il avait tué plus de 5000 toros dans sa carrière ! Il est vrai qu’il tua son premier toro adulte à 17 ans pour terminer officiellement à 45 ans, sans oublier plusieurs réapparitions. Cette expérience, reconnue de tous, lui permit de diriger l’Ecole Royale de Tauromachie de Séville en 1830.

Si je ne puis revendiquer la moindre expérience de toréer, j’ai assisté, tant au campo dans les tientas que dans les becerradas, au début de jeunes toreros accompagnés d’anciens maestros expérimentés. J’ai vu de jeunes débutants améliorer leur technique et accepter progressivement la charge symbolique du toro de salon et garder leur maîtrise grâce à leur capacité de toréer les becerras alors qu’à leur début presque tous se les renvoyaient dessus par réflexe naturel de protection.

Deux toreros historiques de la tauromachie sévillane ont démontré un courage de référence dans leur carrière avec une technique différente. Ils ont laissé dans leur histoire un souvenir inoubliable :

– le torero prestigieux qui, à mes yeux, se rapprochait le plus des ancêtres du toreo, est Juan Belmonte né en 1892 sur les bords du Guadalquivir qui a eu une longue époque d’apprentissage à la tauromachie. Il s’est forgé un toreo basé sur l’immobilité des jambes dans toutes les suertes en les maintenant près du toro. Il faut dire qu’il avait surtout un répertoire de muletero. Sa technique s’appuyait sur une utilisation maximale de ses bras et un temple qui lui permettait de maintenir le toro et de le conduire près de son corps. Je ne vais pas décrire l’exécution personnelle de toutes ses suertes qui sont restées dans l’histoire. Nous disposons, heureusement, de quelques images qui marquent ce style si particulier. Il a évolué avant d’arriver à la quintessence de cette magnifique mais exigeante tauromachie. Il fallait cette maîtrise, faite de classe et d’entrega, pour pouvoir entrer en competencia avec Joselito qui prit l’alternative à 17 ans et étonna tout de suite le public qui a vu ce gamin montrer plus de savoir que ses aînés alors qu’il réclamait des bêtes respectables qui faisaient ressortir sa précoce maîtrise.

– Jose Gomez Gallito « Joselito », était déjà connu dans les tientas et fit son premier spectacle à 13 ans vêtu de l’habit de lumières. Sa tauromachie est opposée à la déclaration initiale de Pedro Romero. Il a une connaissance exceptionnelle des toros, qu’il a forgée dans toutes les fincas andalouses, ajoutée à des qualités physiques et esthétiques uniques. Joselito surclasse rapidement tous les toreros de son époque jusqu’à l’apparition en 1913 de Juan Belmonte. Le torero de Triana a un style complètement différent avec sa tauromachie ferme statique mais émotionnelle alors que Joselito torero largo par excellence avait un répertoire important dans tous les tercios. N’oublions pas ces banderilles que lui permettaient sa connaissance des toros et ses capacités physiques hors du commun. Le surdoué Joselito et la tauromachie extraordinairement émouvante de Belmonte, vont créer cette concurrence entre ces deux jeunes prodiges qui au lieu de les séparer, va les rapprocher en les poussant à l’excellence, dans leur style si différent mais tout autant authentique face aux toros imprévisibles de l’époque.

On peut dire que les toreros actuels avec leur précision, leur temple, toréent mieux que jamais. Mais reconnaissons que les toros actuels sont différents qu’au début du XXème siècle avec des comportements plus inattendus d’autant plus qu’il existait beaucoup plus d’encastes. Certes, de nos jours, dans les arènes de première catégorie, les toros ont plus de trapio mais leur comportement est plus standardisé par l’invasion des Veragua Domecq. La technique des toreros actuels est travaillée au millimètre, tant au niveau des bras, du poignet, de la ceinture et des déplacements des jambes qui les positionnent dans des conditions idéales, travaillées pour des séries puissantes templées et des remates spectaculaires. Il est certain que les déclarations de Pedro Romero correspondaient parfaitement à son époque. Je pense que la confiance apportée progressivement, tant par le travail permanent au campo que par les répétitions du toreo de salon ajoutés à la détermination, a permis au torero de s’approcher encore plus pour maîtriser son estocade.

De nos jours, dans le ruedo, l’efficacité du déplacement millimétré du torero – pour se croiser, citer les toros sur l’œil contraire, maîtriser la jambe de sortie – lui permettent de se repositionner pour lier les séries. Il est évident que sans sa bravoure, même devant un toro plus brave et plus noble, cette maîtrise des suertes est impossible. Certes, l’habileté et la technique du torero pour tromper le toro sont essentielles tant qu’elles n’enlèvent pas la sincérité qui apporte d’autant plus d’émotion que sa vaillance permet la domination du toro bravo.

J’aurais pu vous proposer d’autres toreros qui ont fait face à l’agressivité et à la force de ce toro bravo. Nous en connaissons même qui l’ont fait en maintenant l’authenticité de ce combat tout en lui en lui apportant leur personnalité. Les déclarations prémonitoires de Pedro Romero sur les principes du toreo, ont été confirmées par la nécessité de base de tuer le toro en faisant appel à ces vertus. Il ne pouvait pas prévoir que des Maestros, grâce à leur confiance, apportent autant à la tauromachie en profitant pendant près de 3 siècles, de l’évolution de la bravoure du toro.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 104 – Janvier 2022