LES TOROS DE LA SAN FERMIN 2013
Les organisateurs de la Casa de Misericordia de Pamplona ont toujours recherché, par leurs corridas de San Fermin, un toro avec des armures imposantes, parfois excessives à nos yeux, qui correspondent parfaitement à l’état d’esprit de l’aficionado navarrais et plus généralement à l’aficionado du nord de l’Espagne. Il est un fait que l’aficion et même les « pastores » du ganado bravo navarrais et basques sont habitués à approcher le toro à pied, à l’affronter parfois et à le courir dans les encierros sans autre arme qu’un baston pour les « pastores » ou un journal plié dans une main pour les « coureurs ».
Notre regretté ami Claude Pelletier, magnifique et passionné aficionado-revistero bayonnais, trop tôt disparu, faisait le commentaire suivant : cette caractéristique des traditions basques et surtout navarraises, influe dans la conception du toreo et dans l’attitude exigeante du public et de l’aficion populaire de cette région vis-à-vis des toreros. Ils savent ce que c’est d’approcher le toro, de l’affronter sans autre arme que leur fameux courage. Au contraire, l’aficion andalouse, moins populaire à ses débuts, était plus marquée par les jeux du toro avec le cheval réservé la noblesse et à la bourgeoisie, plus tournée vers l’expression artistique des toreros qui, plus tard, l’affrontèrent avec cape et muleta, même au campo.
Un de nos amis, Antonio Purroy Unanua, ingénieur agronome à l’Université de Pamplona, nous faisait remarquer il y a 30 ans, que contrairement à la situation préoccupante de la faiblesse des toros dans de nombreuses arènes, le toro à Pamplona ne tombait pas. Il estimait, preuves scientifiques à l’appui, que le fait de le faire courir dans l’encierro le matin de la corrida, le déstressait. Selon ses études, le manejo traditionnel du toro avant la corrida (camion, corrales, chiquero) provoque un stress énorme au toro bravo qui engendre des toxines qui atteignent la musculature du toro et peuvent provoquer les chutes et les génuflexions dans le ruedo, dont les aficionados ont beaucoup souffert pendant des années. Nous faisons confiance à l’analyse de notre éminent aficionado scientifique sur ces faits et il faut reconnaître qu’ils se sont souvent confirmés dans les San Fermin des années 1960 à 2000.
Le problème a changé puisque, depuis cette date, de nombreux ganaderos font courir les toros au campo dans d’affreux torodromes poussés par des cavaliers qui sont censés faire de ces toros des athlètes qui ne tomberont pas dans l’arène. Ce que nous constatons avec plaisir de nos jours. Cette modernisation est pour nous une arme à double tranchant. Il faut noter qu’en même temps, les mêmes ganaderos ont décidé de mettre des fundas pour les cornes des toros avant leurs 4 ans, afin de les protéger des accidents et des combats.
Nous estimons, avec d’autres, que cette nouvelle pratique est plutôt néfaste au comportement du toro qui, si l’on ajoute l’herradero, les traitements et prises de sang imposés par les services vétérinaires, la pose et dépose des fundas, le toro de 4 ans, avant d’être combattu, passe minimum 6 fois dans le mueco . Toutes ces manipulations ne peuvent qu’altérer la naturalité du comportement d’un toro bravo, animal très sensible à ces emprisonnements.
Tous ces éléments tendent à « déformer » la bravoure du toro.
Si nous revenons à la San Fermin 2013, nous avons assisté à un comportement désolant des toros, à l’exception de certains toros de Dolorès Aguirre, de certains Miura et surtout de deux excellents Fuente Ymbro. Par contre, les encierros de Pamplona n’ont jamais été aussi rapides, notamment avec des toros entraînés à courir sans but particulier pour la plupart (hors Miura et Dolorès Aguirre).
Nous estimons que l’apparition du torodrome dans l’élevage du toro bravo, s’il a un effet apparent sur la force du toro, sans oublier l’amélioration de l’état sanitaire et de l’alimentation, a des conséquences négatives. Le toro court comme un athlète mais n’embestit pas, ne charge pas comme un toro bravo qui, dans l’arène, doit attaquer franchement et répondre à la sollicitation du torero avec fixité et bravoure. Regardez bien le comportement de ces toros modernes qui se déplacent, courent de manière démotivée, sans manifester la codicia (l’envie exacerbée par la bravoure) typique du toro bravo.
A Pamplona, nous avons noté, cette année, des comportements qui nous amènent à penser qu’après cette course au sprint, apparemment autrefois salutaire, le toro se trouve enfermé dans le chiquero, séparé de ses congénères, frustré après une course qu’il est habitué à faire dans le campo plusieurs fois par semaine, en groupe, sans but véritable. Les téléspectateurs que nous étions, avons vu que la plupart des toros de Pamplona, en dehors des exceptions mentionnées, ne chargeaient pas mais couraient comme désintéressés autour du torero, sans donner d’émotion malgré leur trapio, « saliendo solo de los muletazos con la cara alta » (sortent seuls de la muleta avec la tête haute). A force de courir derrière la muleta, certains s’arrêtent, « se rajan » parce qu’ils ne veulent plus jouer.
Les trophées ont été nombreux, mais hors exception, ils ont été attribués généreusement, sur pétition d’un public festif, moins exigeant qu’autrefois devant ce spectacle trop souvent banal. Le toro doit se déplacer dans le campo pour boire, s’alimenter, changer de territoire, conduit si nécessaire par les vaqueros ; avoir un « exercice » naturel. Pour éviter la faiblesse, il faut d’abord nourrir les toros progressivement pendant 4 ans, mais les mères elles aussi doivent avoir une alimentation équilibrée pour bien « porter » et ensuite nourrir les jeunes. Le torodrome n’est pas une solution naturelle. Il enlève au toro sa spontanéité, sa liberté, son instinct sélectionné, dans l’approche de son adversaire qu’il affronte dans le ruedo des arènes. Mais, ne vous y trompez pas. Viva Pamplona, viva San Firmin, viva !
P.S. Antonio Purroy Unanua, devenu une personnalité importante en Navarra, est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le toro bravo.
ÉDITO n° 6 – Août 2013