CHRONIQUE D’UNE COMMUNICATION MANQUÉE !
Le monde de la tauromachie a toujours été caractérisé par l’influence de la presse et de la communication. Par le passé, on a vu les « critiques taurins » prendre partie en faveur de telle ou telle figura du moment, ce qui entretenait la polémique et même des engouements qu’après coup, on peut estimer excessifs. L’influence de cette communication dépendait de « signatures » éminentes qui donnaient plus ou moins de répercussion aux comptes-rendus « partisans » des corridas, notamment dans les plus grandes plazas espagnoles. C’est ainsi qu’après le duel « Joselito-Belmonte », la presse mobilisa 25 ans plus tard, les « partidarios » de Manolete et Luis Miguel Dominguin. Comme nous le savons, ces deux competencias exacerbées s’achevèrent tragiquement. Plus tard, Ernest Hemingway s’impliqua directement dans la concurrence des deux beaux-frères, Luis Miguel et Antonio Ordoñez.
L’époque de la médiatisation est arrivée avec l’apparition, dans les années 60, de la télévision en Espagne qui permit d’atteindre plus facilement les masses populaires. Cette période fut marquée par l’apogée de Manuel Benitez « El Cordobes » qui n’eut pas de véritable concurrent à ce niveau, car les autres maestros de l’époque et leurs mentors ne souhaitaient pas rentrer dans ce jeu médiatique. Pourtant Paco Camino, Santiago Martin « El Viti » et leur compagnon Diego Puerta étaient aussi les maestros prestigieux de la fin des années 60 et début 70.
De nos jours, la généralisation de la télévision des grandes ferias et l’invasion d’internet, magnifique invention qui est trop souvent pervertie, ont complètement modifié le rôle de la presse et de la communication. Cela nous a amenés à l’ère d’un marketing effréné, tout autant dans le lancement des novilleros, dans la communication des figuras, que dans le montage des ferias pour « inventer » l’évènement. Depuis 2012, on assiste aussi à des activités promotionnelles en tous sens (places gratuites offertes par les toreros, toreo de salon dans les lieux publics avec la jeunesse, invitation des practicos aux tientas…), sans oublier la touche glamour. Il est vrai que Luis Miguel, grand précurseur, avait devancé tout le monde sur ce terrain. Heureusement le toro, avec ses impondérables et ses surprises, est là pour rappeler que tout n’est pas dans la « com » et que les meilleurs montages peuvent être chamboulés.
La feria d’avril de Séville 2013 est l’exemple même de cet échec. L’empresa avait bâti son programme (sans la télévision), sur l’encerrona de Manzanares, le mano a mano El Cid-Luque et la présence d’El Juli dans 3 corridas, dont les Miura qui, traditionnellement, clôturent la feria le « Dimanche des Farolillos ». El Juli avait démarré en trombe cette féria en « ouvrant » la Porte du Prince le dimanche et paraissait devoir tout écraser. Malheureusement, la cornada sérieuse infligée par le Victoriano del Rio a tout remis en cause. Surtout que le mano a mano des toreros sévillans, face aux Victorino, fut ennuyeux ainsi que l’encerrona de Manzanarès dont on attendait tant. Les figuras motivées par le succès du Juli n’ont pu « remater » leurs actuations. Malgré une envie évidente (ex : Castella, Talavante, Perera), ils n’ont pu compenser le comportement des toros choisis pas l’empresa et leurs veedors.
Même le succès méritant du jeune Nazare ainsi que l’oreille de Manzanares face aux Victoriano del Rio, ne resteront pas dans l’histoire. Seul Morante de la Puebla s’était positionné, par ses « passages » géniaux, à la hauteur d’El Juli. Tout le plan de marketing qui devait se conclure par la présence du maestro madrilène, face aux mythiques Miura, s’écroulait. L’empresa Pages n’avait pas d’autres solutions que d’appeler Manuel Escribano, réclamé par la « vraie » aficion sévillane et les journalistes indépendants. Les Miura, choisis par El Juli, permettaient (5 sur 6) des faenas adaptées pour des toreros spécialistes comme Rafaelillo et Javier Castano, qui ont réalisé des prestations intéressantes, même si le très bon deuxième méritait mieux.
Par contre, Manuel Escribano, qui n’avait rien à perdre, est rentré dans cette corrida sans à priori, avec « sa » tauromachie, sa fraîcheur, sa détermination, son élégance (oui !) pour une tarde qui s’est terminée crescendo devant le sixième par trois séries de naturelles inattendues et un coup d’épée impressionnant (prix de la meilleure faena et de la meilleure estocade). Manuel Escribano a non seulement triomphé, mais il a démontré que la vraie tauromachie ne se fait pas dans les « oficinas » ou dans les salons des hôtels, mais dans le ruedo, par un affrontement entre un torero décidé et inspiré et un toro bravo. Car les Miura de Séville n’étaient ni « toristes » ni « toreristes », mais « bravos », avec l’exigence qui caractérise les toros de cette ganaderia qui même, et surtout, quand ils sont braves, demandent et méritent un énorme respect, tant du torero que du public qui doit savoir valoriser leur lidia. Celui de Séville ne s’y est pas trompé.
Mai 2013 – n°4