ÉDITORIAL – AOUT 2015

 mouchoirsLES OREILLES ET LES TROPHÉES

L’actualité attire notre attention sur l’attribution des trophées par les présidences et leurs répercussions par les médias taurins, pour ne pas dire la Com du mundillo moderne. Afin de lever toute ambiguïté, il est précisé dans l’article 82 du Règlement taurin espagnol, que les prix ou trophées décernés lors des corridas sont :
– oreilles,
– salut au tiers,
– vuelta al ruedo,
– sortie en triomphe par la Porte principale des arènes.
Le président pourra exceptionnellement estimer et concéder que la queue du toro soit coupée et attribuée au torero. Il est précisé que si la première oreille est attribuée à la demande majoritaire du public, la deuxième dépendra du jugement exclusif du président qui prendra en compte la demande du public, le comportement du toro, la bonne direction de la lidia, la faena tant à la cape qu’à la muleta et l’estocade. Mais pourquoi des oreilles et des queues comme récompenses ! Cette coutume apparaît à la fin du XVIIIème siècle dans les Real Maestranza de Caballeria, pour donner un signe de propriété au torero à pied méritant en lui attribuant tout ou partie de la viande de son toro.
La première attribution d’oreille connue officiellement à Madrid est celle qui fut décernée en 1876 dans la Plaza de Toros de Goya, à Chicoro qui venait de tuer Medias Negras de Benjumea en présence du roi Alphonse XII. Le triomphe du torero fut total après une faena complète, saut à la garrocha, pose de banderilles qualifiée d’admirable et après un stupéfiant volapié, le toro mourant instantanément, sin puntilla. Le public en délire, enthousiaste, demanda que la dépouille de Medias Negras lui soit attribuée. Après l’acceptation de la présidence, le torero coupa lui-même l’oreille du toro devant le public frénétique, créant un spectacle sans précédent dans la Plaza de Toros de Madrid. Le début d’une ère nouvelle s’écrivait. Cette pratique s’est institutionnalisée et incluse dans le règlement taurin comme vu ci-dessus.
L’attribution de trophées a pris de l’ampleur dans le temps. C’est ainsi que le fameux José Gomez, El Gallo, fut le premier à couper une oreille à la Real Maestranza de Sevilla en 1915. Le comble arriva en 1939 où un jeune novillero sévillan du quartier de San Bernardo fut tellement exceptionnel et provoqua un tel enthousiasme du public que le président dut lui concéder 2 oreilles, la queue et jusqu’à deux pattes du novillo. Il devait devenir le grand Pepe Luis Vazquez décédé en 2013. Ces pratiques étaient excessives mais spontanées. Elles correspondaient à l’enthousiasme d’un public, d’un peuple pour qui la corrida était un exutoire naturel de sa joie, de sa passion et de ses tragédies, dans ces époques difficiles qu’a connues l’Espagne.
Dans l’actualité, certains éditorialistes et journalistes taurins sérieux, dénoncent le recours abusif à ces récompenses par le monde des empresas et des apoderados influents, avec la complicité de certains médias qui utilisent l’annonce des trophées dans leur politique de communication pour leurs spectacles ou leurs protégés. Toujours aussi compétent et indépendant, le madrilène Paco Aguado ose même écrire : « La tyrannie informative des oreilles » et dénoncer « la progressive dégénérescence de la chronique des toros ».

Nous avons déjà dénoncé les titres trompeurs – trapaceros – de certains chroniqueurs (si on peut les appeler ainsi) qui ne font allusion qu’aux « triomphes historiques » et aux « apothéosiques sorties a hombros » qui se basent uniquement sur des chiffres qui ne reflètent pas la véritable substance du toreo et cherchent seulement l’effet publicitaire. Ces comptes-rendus et ces titres, notamment sur les sites internet spécialisés, ressemblent trop à des « tableros deportivos » qui comptabilisent les scores et les goales et nous rappellent les classements de la Liga. Personnellement, si je regrette et dénonce cette pratique des médias serviles et intéressés, je ne remets pas en cause le principe de l’attribution des trophées aux toreros à la fin de leur faena. Si elle est utilisée avec indépendance et clairvoyance, tout en mettant la faena du torero en valeur, elle permet de valoriser auprès du grand public la substance de la corrida ainsi qu’une échelle de valeur de la performance des toreros dans le ruedo. Tel qu’il est rédigé, le Règlement taurin français, comme l’Espagnol, est suffisamment précis pour permettre au président de doser ses décisions en tenant compte de la ferveur populaire qui, dans certains cas, peut s’imposer à lui. Il faut qu’il soit suffisamment lucide, serein et expérimenté pour montrer son autorité aux cuadrillas (elles comprennent vite votre compétence, votre fermeté réelle et votre crédibilité).

Le président doit aussi veiller au respect de l’ordre public, tant dans le ruedo que dans les gradins. Les techniques modernes facilitent la communication avec les alguaziles et les responsables du maintien de l’ordre. Le président ne doit pas chercher à être le protagoniste de la corrida mais il doit l’accompagner, tout en maintenant l’éthique indispensable à ce spectacle si particulier. Il est évident que les présidents ont des sensibilités différentes qui peuvent ressortir dans leurs jugements sur les toros et sur les toreros. Ils doivent cependant tenir compte du point de vue du public mais ne doivent pas être sous sa pression ni sous celle de l’empresario.

Cela nous amène à parler de la présidence de la Feria de Béziers 2015. Comme en 2014, M. le Maire a décidé de la confier à une seule personne. Nous aurions donc dû voir une présidence qui maintienne ses critères d’appréciation durant les 5 spectacles majeurs, en gardant sa sensibilité personnelle pour octroyer les trophées. Au contraire, j’ai regretté des différences entre chaque corrida, surtout au niveau des oreilles octroyées :
– Comment décerner 1 oreille à Pablo Hermoso après 3 pinchazos et une à Perera le même jour après une estocade nettement caïda d’un banal Jandilla ? Dans ces conditions, ces oreilles ne pouvaient être attribuées qu’après des pétitions nettement majoritaires et insistantes du public et être compatibles avec l’esprit du règlement. Ce ne fut pas le cas.
– La présidence (certes ce n’est pas la seule), a primé excessivement les estocades a recibir (à la mode) même mal exécutées, mal positionnées ou peu effectives.
– L’oreille du premier novillo d’Andres Roca Rey n’a pas été attribuée, malgré une pétition très nettement majoritaire et bruyante.
– Sébastien Castella s’est vu attribuer les 2 oreilles du 5ème Garcigrande alors que sa faena à son premier était nettement supérieure, à nos yeux, devant un beau toro plus exigeant dont Sébastien sut tirer la quintessence.
– A la fin de l’excellente faena complète d’Escribano face au bon 4ème de Margé, la Présidence a laissé monter au maximum la pétition unanime du public. Alors qu’elle paraissait vouloir montrer les deux mouchoirs en même temps pour attribuer les oreilles comme le public s’y attendait, elle n’a accordé incompréhensiblement qu’une oreille ( ?). Encore une décision qui perturbe le public car incompatible avec les précédentes.

Ces décisions incohérentes (laxisme et fermeté) ne justifient pas de recourir à la présidence unique, tout du moins en ce qui concerne l’unité des critères et la crédibilité des jugements de l’Autorité vis-à-vis du public. Ces commentaires, bien entendu, n’ont rien à voir avec la personne du président désigné qui a peut-être subi la pression de certains assesseurs, qui ne doivent être que des conseillers. Le public des arènes de Béziers est très divers : spectateurs biterrois manquant de références extérieures, touristes le plus souvent occasionnels et aficionados expérimentés minoritaires. Il est bon de ne pas le troubler par des décisions contradictoires. Certes pour les amateurs affirmés, le plus important est le contenu des faenas mais le public a besoin d’une confirmation officielle de ses sensations, par des décisions présidentielles cohérentes. Sinon, nous n’améliorerons pas les connaissances de notre public, surtout que nous pâtissons de plus en plus de l’absence des aficionados régionaux confirmés pour les consolider (notre édito de septembre 2014). A cet effet et dans un souci de cohérence des décisions, il faut noter l’initiative positive prise par la Fédération des sociétés taurines de France, pour la formation des présidences et pour l’attribution des trophées dans les arènes françaises.
Nous reviendrons sur le bilan de la Feria de Béziers pour la synthèse de fin août, notamment après la Semana Grande de Bilbao.

Pour conclure, nous tenons à souhaiter un bon rétablissement à Saul Jimenez Fortes après sa très grave blessure à la face à Vitigudino, en espérant qu’elle ne lui laissera pas de séquelles pénalisantes. C’est un très bon torero de la nouvelle génération, avec beaucoup d’aficion et d’une grande sincérité, mais ses graves blessures commencent à être préoccupantes.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Edito n° 28 – Août 2015