ÉDITORIAL – SEPTEMBRE 2015

UN SINGE EN HIVER 

Ce film culte réalisé en 1962 par Henri Verneuil, est pour moi un des plus grands du cinéma français. Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo, exceptionnels, sans oublier Suzanne Flon, Noël Roquevert… que les gens de 20 ans ne peuvent pas connaître (dommage pour eux). Il faut ajouter au scénario d’Antoine Blondin et aux dialogues de Michel Audiard, leurs immenses talents.

J’ai fait la connaissance cet été à Cuellar (Ségovie) fameux pour ses encierros depuis des siècles, de cinq personnages hors série, venus dans cette bourgade de Castille courir les toros bravos, poussés par leurs fantasmes de l’âme espagnole. Tous venus des Iles Britanniques ou des States. Imaginez-vous :
– un Ecossais de Glasgow (Angus), étonnant dans ses certitudes de « corredor » devant les cornes,
– un Anglais (Alexander) toujours vêtu de sa veste rayée élimée d’étudiant londonien, sur sa tenue traditionnelle blanche et rouge de Pamplona,
– un Gallois de Cardiff (Tip) amoureux de la terre de ses ancêtres qu’il chante avec passion,
– un Hawaïen (Beau) ex tennisman et cuisinier particulier.
Sans oublier Larry, un professeur d’université de plus de 65 ans venu des States s’installer à Valladolid, attiré par son admiration du toro bravo et de l’Espagne (quel échauffement concentré dès 8 heures pour courir à 10 heures du matin !). Tous ces personnages m’ont rappelé Jean-Paul Belmondo (Gabriel) dans « Un singe en hiver », en plein délires inénarrables (il faut voir le film) quand il fait part à Gabin et aux clients du bar de ses ambitions, de son rêve de devenir le 2
ème torero français après Pierre Schull (alternative en 1958 en Arles). Nous les excusons d’avoir oublié Félix Robert qui confirma en 1895. Voir Belmondo (Gabriel) comme le faisait Antoine Blondin sur les Grands Boulevards Parisiens, effectuer des quiebros et des ébauches de chicuelinas au milieu des voitures dans les rues d’un petit village de Basse-Normandie et l’écouter parler de son rêve de présentation dans les arènes de Madrid !!! Sans oublier Jean Gabin (Albert), ancien du Tonkin, évoquant « un des petits singes égarés comme on en rencontre en Chine au moment des premiers froids » où il repart à la fin retrouver ses rêves…
Je remercie la grande aficionada Lore Monnig, Présidente du New York City Club Taurin de m’avoir permis de les connaître, de les écouter parler avec passion (en anglais, en espagnol et même en Ecossais) de leurs rêves fous (souvent arrosés) mais sincères, de leurs fantasmes qui les avaient amenés dans cette bourgade de Castilla pour courir les historiques encierros de Cuellar.

Si un jour, un de mes petits-enfants me demandait « Papi, tu as vu vraiment un singe en hiver », je pourrai maintenant répondre comme dans la dernière réplique du film, Gabriel (Belmondo) à sa fille : « je pense que j’en ai vu au moins cinq ». Oui, j’aime cette Espagne si imparfaite pour notre esprit cartésien, mais si exaltante, qui incite à des aventuriers venus du bout du monde, de participer à des jeux hors série, mais aussi de créer dans son sein d’autres aventuriers, des philosophes, des écrivains au sommet de la culture universelle. Oui, n’oublions pas ces strophes de Jose Maria de Heredia pour glorifier les découvreurs des Amériques « Fatigués de porter leurs misères hautaines, de Palos de Moguer routiers et capitaines partaient, ivres d’un rêve historique et brutal ». C’était l’Espagne. Oui, Miguel de Cervantès a pu créer le personnage « El ingenioso Hidalgo Don Quijote de la Mancha » pour faire passer dans une œuvre universelle éthique, lyrique, tragique et comique, un message sur l’âme castellana, profond et complexe.
Nos 5 singes en hiver, conscients ou non de leurs folies, nous montrent que cette terre dure leur a inspiré cette manière très particulière pour exprimer leurs rêves mais aussi leur amour pour ce pays où la tragédie et la fête sont si proches. C’est l’Espagne. Vous devez penser, va-t-il écrire sur la temporada d’août ? Je vous répondrai que ces temps-ci, la corrida me fait moins rêver et qu’elle m’inspire peu ou peut-être trop de commentaires. En fait, le monde taurin est muselé par le pouvoir de 3 ou 4 empresas qui souhaitent le garder pour elles-mêmes, même s’il s’éteint…

La dernière actualité me fait poser des questions : Pourquoi Diego Urdialès, torero méritant après 15 ans d’alternative, s’est vu attribuer 3 oreilles à Bilbao avec sortie en triomphe de la Plaza de Vistalegre, pour deux bons coups d’épée ? Il est Riojano et la prochaine feria de Logroño s’annonce. Quel est le propriétaire empresario de ces arènes et le collaborateur, homme fort de l’organisation de Bilbao ? Pourquoi le Juli s’est fait voler son triomphe de la 2ème oreille de son Garcigrande après une de ses meilleures faenas de ces dernières années ? Pour empêcher sa sortie à hombros qui gênait… ! Pourquoi les cartels prévus de la Feria d’octobre de Madrid viennent d’être chamboulés au dernier moment ? Afin de mettre la jeune révélation, Lopez Simon, dans des conditions idéales pour cette étape importante de conclusion de sa temporada ? Regardez du côté de Salamanque, ce sont les mêmes qui lui ont fait annuler son engagement avec La Brède pour remplacer Manzanarès à Istres. Dommage ! Quand on a ses qualités, on peut éviter de tels subterfuges. Vous comprendrez pourquoi trop souvent, ce monde n’arrive plus à me faire rêver. Heureusement, nous avons de temps en temps la chance que le toro remette de l’ordre, malgré leurs « montages » !
Les toros de Pedraza de Yeltes de la Feria de Dax et le merveilleux cinquième de Pedres à Bayonne le 5 septembre, ont démontré avec émotion que cet animal exceptionnel existe encore et que le jeune Juan del Alamo mérite plus de considération. Certains toreros, non maîtrisés, subissent des vétos « calculés ». Ils dérangent car ils risquent de remettre en cause l’équilibre que les « patrons », empresas et figuras, ont mis tant d’années à mettre en place. Ils s’affrontent parfois mais savent aussi se réconcilier sur le dos des « dérangeants ».

Nous pouvons quand même vous donner notre bilan des principales Ferias du mois d’août :
Dax 
: triomphe retentissant des Pedraza de Yeltes. A à noter positivement Pepe Moral, Juan del Alamo et… Juli. Quant à Mendoza, il n’avait rien à voir avec sa présentation 2 jours avant à Béziers, ni par ses chevaux, ni par sa motivation. Quel triomphe ! Pourtant, les toros n’étaient pas plus intéressants.
Béziers
 : bilan très mitigé. Toros : grande déception des Jandilla et des Capea – Bons Garcigrande malgré le trapio anovillado de deux exemplaires et un manso perdido. Margé : bien présentés mais tempérament décevant « plaqués aux planches au 3ème tiers, hors les 4ème et 6ème – Toreros : Castella au-dessus du lot malgré les Jandilla du premier jour – Manzanarès : facilité et grande esthétique de son toreo face à l’excellent Domingo Hernandez avec 2 grandes séries pour conclure sa faena – Bautista : toujours aussi professionnel et technique face à un sorteo défavorable – Escribano : lidia complète, banderilles impressionnantes et très bonne faena au 4ème, qui méritait 2 oreilles – Cayetano Ortiz : très volontaire et appliqué. Grande estocade au 6ème Margé – Medhi Savalli : motivé, il a su reconquérir, devant un bon Miura, le public biterrois qui l’a toujours apprécié.
Bilbao
 : Feria décevante au niveau des toros – Le lot de la Feria à l’unanimité et meilleur toro pour les Jandilla – Garcigrande : 3 bons toros – Victorino : corrida sérieuse, exigeante et intéressante, sauf le naïf 3ème d’un trapio insuffisant pour la Plaza de Bilbao – Une oreille pour Ureña (?) – Alcurrucen : corrida sérieuse mais décevante à part l’excellent 4ème pour Urdialès (2 oreilles ?) – Juan Pedro Domecq : échec total d’un lot inexcusable pour le ganadero (Bueyes) – Bañuelos : grande déception de cette ganaderia inappropriée pour Bilbao à tous les niveaux (je l’avais prévu dans l’édito de juillet). Le Président Matias a trouvé 2 triomphateurs qui arrangeaient bien : Diego Urdialès et Ureña. Suivez mon regard.

Ce mois d’août ne m’a pas apporté, à part quelques exceptions précitées, ce que j’attends de la Fiesta Brava. Heureusement, j’ai eu la joie de vérifier la grande temporada 2015 de l’élevage français des Frères Gallon. Après les prix des corridas concours de St-Martin de Crau et Millas (novillos), la ganaderia vient de triompher à Iñesta en Espagne : 6 oreilles coupées sans tenir compte des « maximos trofeos » symboliques suite à l’indulto par Morenito de Aranda du Jabonero n° 7 « Odalisco ».
Après la corrida goyesque de Boujan, je viens de lire le titre de la presse locale qui ne met en avant que « l’envie de Gaëtan Ortiz ». Ont-ils des ordres pour rabaisser Tomas Cerqueira qui a coupé 2 oreilles et qui pouvait de plus revendiquer, comme l’a demandé le public, deux trophées à son 2
ème (estocade franche et foudroyante pour conclure sa bonne faena). Quant au reportage du signataire, je lui ferai remarquer :
– que 5 bons toros de Gallon sur 6 avaient le trapio d’une plaza de 3
ème catégorie (1500 places) et que le petit 2ème de la course, n° 116, a démontré une exceptionnelle bravoure durant ces trois tercios : deux piques poussées prises de loin de son propre chef et patron du ruedo toute la faena. Pour plusieurs aficionados, il méritait même le mouchoir bleu de la vuelta al ruedo (mais il n’y avait pas la claque utilisée par certains : ce n’est pas le genre de la maison). Je pense avoir assez d’expérience pour lui faire ces commentaires et surtout, je revendique d’être beaucoup plus LIBRE. Je voudrais lui apprendre que s’il a eu moins de quites que ce qu’il espérait, cela vient du fait que la pratique taurine prévoit, qu’après le changement de tiers après la première pique, l’autre torero ne peut pas faire de quite. J’espère qu’il a quand même vu que Cerqueira, par esprit de communauté, a invité le sobresaliente Jérémy Banti à faire « son quite » après la 1ère pique quand il a vu que le toro servait. Nous pouvons dire, sans protectionnisme partisan, que nos deux jeunes toreros ont rempli leur contrat, même s’ils pouvaient faire mieux (ils toréent très peu).
Boujan a démontré par la Feria des Vendanges 2015 son authentique tradition et son titre de Ville Taurine, avec le soutien nécessaire d’une aficion biterroise indépendante qui doit encore plus rechercher ses fondamentaux pour être à la hauteur de son passé glorieux.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Edito n° 29 – Septembre 2015

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