Il y a dans l’histoire culturelle d’une ville des moments historiques. Ce fût le cas à Béziers, lundi 15 juin 2015 au soir, avec l’inauguration du nouveau Musée taurin de Béziers, et ce pour deux raisons : d’abord le lieu, situé dans un des plus beau de cette ville : l’Espace Riquet, rue Massol, un ancien bâtiment religieux dont les origines doivent remonter à l’époque romane… ensuite, avec la présence d’un des plus grands, le Maestro Biterrois Sébastien Castella, triomphateur pour la 4eme fois à Madrid lors de la San Isidro.
De nombreuses personnes et personnalités se pressaient pour découvrir les collections du Musée dont la plupart sont issues de celles de l’Union taurine Biterroise (UTB), la plus ancienne des associations taurines de Béziers. C’est ce qu’expliqua son président Michel Bousquet en remerciant la Ville de Béziers, son maire et ses services, ainsi que tous ceux qui ont oeuvré à l’accrochage des nombreuses et nouvelles pièces sorties des réserves. Un chaleureux remerciement à Sébastien Castella pour sa présence et pour son dépôt au musée d’un habit goyesque. Dans son allocution R. Ménard, maire de Béziers souligna l’importance de la Tauromachie dans la culture des Biterrois et dans les régions du sud de la France. Culture et tradition taurine qu’il faut défendre et préserver. Concluant cette partie de la soirée Sébastien Castella remercia l’Aficion biterroise pour cet hommage et promit de tout faire pour être beaucoup plus souvent présent parmi elle, ce qu’il regrettait de ne pas avoir suffisamment fait jusqu’à présent…
LE NOUVEAU MUSÉE TAURIN DE BÉZIERS – article paru dans la revue TOROS (n°2005 – 17/07/2015) –
» Un endroit splendide puisqu’il s’agit d’une ancienne chapelle d’un couvent dominicain évidemment aménagée, mais dont l’architecture religieuse est encore palpable. Comment rester insensible à ces peintures du plafond – au 1er étage – donnant aux habits de lumières un aspect sacré renforcé par la reconstitution d’une chapelle, semblable à celles existantes dans certaines arènes, où sur un prie-dieu repose l’habit du matador d’origine anglaise Henry Higgins « Cañadas » qui fût apodéré par Brian Epstein l’homme qui découvrit en 1961 et managea un temps… « The Beatles « . Comme quoi !
C’est dans de vastes salles, dont une avec hauteur sous plafond de près de dix mètres, que vous pourrez admirer les collections du musée provenant des multiples acquisitions faites au fil du temps par l’Union Taurine Biterroise (UTB), enrichies de dons et dépôts d’aficionados, sans oublier ceux de la Ville de Béziers. La richesse et la diversité des collections s’expliquent par l’ancienneté de l’UTB, union en 1968 des plus vieux clubs biterrois : la Société Tauromachique (créée en 1898 par Castelbon de Beauxhostes) et le Club Taurin Biterrois (1923). Les plus anciens aficionados biterrois se souviennent de quelques uns de ces objets et souvenirs visibles dans un appartement situé sur les allées Paul Riquet, puis après diverses pérégrinations – Hôtel Gimier d’Arnaud, puis Bergé – finir au mail Chapat attendant un endroit digne de leur histoire.
Le Musée, dont la gestion et l’organisation sont faites conjointement par l’UTB et la Ville, comporte à présent trois parties.
Tout d’abord deux salles pour des expositions temporaires. Actuellement jusqu’au 2 aout « des Toros et des Hommes:la Relation » du peintre biterrois Jean-Jacques Marie et depuis le 10 juillet « Habits de lumière » quarante pièces exceptionnelles du célèbre confectionneur madrilène Justo Algaba ; ses Trajes de Luces dans tous leurs éclats illuminent les différentes salles du musée rejoignant jusqu’au 4 octobre 2015 ceux à demeure. Puis, ouvertes au public, les deux salles de l’Union taurine décorées par de nombreuses photos de matadors de toutes époques et d’affiches d’hier et d’aujourd’hui avec notamment un immense tableau du Sétois Di Rosa.
La troisième partie, au premier étage, le musée proprement dit. Là s’étale sous vos yeux la richesse et l’Histoire de la tauromachie, biterroise bien sûr, mais aussi nationale et espagnole. La salle Francisco Goya, aux murs pourpre – entourant le costume goyesque que vient d’offrir Sébastien Castella – recèle les 40 eaux-fortes de la série « La tauromaquia », troisième édition réalisée à partir des originaux en 1876 à Paris par Loizelet. Un véritable trésor pictural permettant, tel un reportage, de voir la Corrida – du campo à l’arrastre – telle qu’elle fût pratiquée en Espagne à la fin du XVIIeme et au début XIXeme. Étrange histoire que cette série commencée par Goya vers 1815-1816 et terminée à Bordeaux en 1824 qui connue plusieurs éditions, certaines plaques de cuivre détruites par l’artiste, d’autres perdues, retrouvées, contestées, vendues au fil du temps puis retrouvée en France à Paris en 1920 et rendues à l’Espagne en 1921. Au sujet de cette série Théophile Gauthier, dans son livre Voyage en Espagne, écrit avec enthousiasme : « Les exploits de Gazul, du Cid, de Charles Quint, de Romero, de l’étudiant Falces, de Pepe Illo qui périt misérablement dans l’arène, sont retracés avec une fidélité toute espagnole ». Cette série, au delà des récits, a permis aux historiens de la tauromachie d’y trouver les racines de la Corrida dite moderne.
Les deux autres salles, dont l’immensité de la première permet une mise en valeur des collections, comportent de nombreux habits de lumières de Maestros ayant combattu dans le quatrième et puis dans l’actuel ruedo Biterrois *. Ce dernier construit et inauguré une première fois le 11 juillet 1897, puis une seconde définitivement terminée – comme le montre une imposante photo accrochée dans l’escalier – le 29 mai 1921. Examiner l’habit et la cape de paseo offert par l’élégant et coquet Don Luis Mazzantini, c’est constater le peu d’évolution du Traje de Luces tel que l’avait défini avec la montera le Maestro Francisco Montes « Paquiro » en 1836 dans son Traité de la Tauromachie sur les règles de la corrida, fixant les règles de la corrida moderne. Mais c’est aussi se souvenir que Mazzantini combattit dans les arènes en bois du quartier de l’abattoir en tant que novillero lors de leur inauguration le 9 juillet 1882, puis comme matador de toros dans les arènes actuelles en 1898 et 1899 ; arènes qui faillirent être rasées en mai 1911.
Et puis, grâce à la photographie revoir des clichés des arènes biterroises en bois du terrain Palazy, entourées d’une série d’affichettes de la fin du XIXeme siècle, c’est plonger dans l’atmosphère d’une autre époque ; examiner de près ces carteles c’est lire les noms des plus renommés Matadors : Lajartijillo, Pepe Hillo, Mazzantini, Gueritta, Revette, Bombita… face à des élevages célèbres et parfois disparus : de Veragua, Jarana, Alvarez Rodriguez, Marqués de Saltillo, Concha y Sierra, Miura… C’était l’époque où les noms des picadores et des banderilleros figuraient sur l’affiche, où de belles andalouses y côtoyaient matadors, piqueros et toros imposants. Et déjà le « sponsoring » avec au « cartel » l’élixir Kola Clément « boisson recommandée aux militaires, chasseurs, byciclistes et touristes » (sic).
Les espadas de Luis Miguel Dominguin, de Sanchez Frascuelo, du mexicain Luis Frey… la sienne tua-t-elle en 1922 le Miura « Perlito » dont la tête trône à coté ? Il y a de fortes chances. Espadas et cornes aux pitones effilés, symboles de la vie celle du Matador et de la mort, celle du Toro et parfois l’inverse, participent en ce lieu à l’atmosphère à la fois temporelle, intemporelle et historique…
Le costume du Picador Michel Bouix rappelle par les dorures de la chaquetilla et du chaleco la position première tenue par les piqueros dans les spectacles taurins jusqu’aux années 1850. C’est le picador José Bayard « Badilla » de père français qui fût l’initiateur de ce costume autour des années 1900, car chose curieuse Montes « Paquiro » dans son traité sur les règles de la tauromachie n’avait rien défini en la matière pour la tenue des picadores. Matador, craignait-il encore l’aura de gloire des varilargueros de son époque ?
Les nombreux tableaux – entre autres ceux de l’artiste Biterrois et chroniqueur taurin Jean de Label – disposés dans les différentes salles démontrent l’importance de la Tauromachie dans l’univers des peintres. Les traces de luces – dont les passementeries rappellent la mode chez les Bourbons au XVIIIeme siècle – des matadors Nimeño II, Sébastien Castella, Richard Millian, Francisco Paquiri… accompagnées de photos et tableaux entourent un bloc central recouvert d’affiches géantes – 2m70 – que seule la hauteur du lieu pouvait mettre en valeur. Affiches majestueuses aux dessins et couleurs festives – éditées pour la plupart par la maison Ortega de Valencia ou moins anciennes par Laminograf de Barcelona – au graphisme réaliste, parfois précieux, ensoleillaient les murs des villes taurines d’Espagne et de France. Ces lithographies, éditées sans texte à des milliers d’exemplaires, permettaient aux organisateurs de corridas d’y faire imprimer, souvent localement, lieux, dates, composition des cartels, prix… ainsi la même composition picturale pouvait se retrouver sur les murs de Béziers, Nîmes, Séville, Madrid, Bilbao…
Beaucoup d’autres objets d’un présent proche et du passé attendent les visiteurs ; comment ne pas rester insensibles quelques instants face au buste de cire récupéré à Séville représentant le grand « Manolette » ou à une des muletas de « Dominguin ». Pour certains cela sera une découverte, pour les aficionados un retour sur souvenir. En sortant d’un tel lieu, une chose est certaine : la Corrida, tout ce qui la compose et que nous devons défendre, est l’osmose avec l’Art du visuel et du virtuel : dessin, sculpture, peinture, photographie, costume… En cela, la tauromachie est partie prenante de la Culture de notre pays. «
Hugues Bousquet
* 1859 – 1877 – 1882 – 1893 – 1897