ÉDITO DÉCEMBRE 2013

« O NOS UNIMOS, O EL TOREO TIENE LOS DIAS CONTADOS »
(Ou nous nous unissons ou les jours de la tauromachie sont comptés)

Cette déclaration n’a pas été faite par un aficionado illuminé ou un ganadero désespéré devant les difficultés à maintenir son élevage de toro brave. C’est un matador de toros historique de ces 20 dernières années qui a fait cette déclaration dans l’Extra des Toreros 2013 de la revue Aplausos. Certes, les défenseurs du statu quo nous diront que Finito est un torero du passé dont l’avenir est derrière lui (même si en 2013 il avait le soutien de Simon Casas) et qu’il fait partie des toreros aigris ou désabusés.

Quelle que soit la représentativité de Juan Serrano « Finito de Cordoba » dans l’escalafon actuel des matadors de toros, il reste un « maître » de la tauromachie moderne dont la technique et l’expression artistique font l’admiration des aficionados avertis et des toreros (matadors et novilleros). En fait, sa déclaration est plutôt « désintéressée ». Certes, nous n’oublions pas que Juan est né en 1971 à Sabadell, aux portes de Barcelona, de parents andalous venus en Catalogne pour « gagner leur vie », comme beaucoup de leurs congénères. Il a certainement très mal vécu la fermeture des arènes de Barcelona et les oppositions du catalanisme dans une région qui a marqué sa première jeunesse mais aussi ses succès inoubliables à la Monumental où il attirait un nombreux public. En fait, Finito fait référence à d’autres dangers qui viennent du monde taurin lui-même.

Nous avons dénoncé, en plusieurs occasions, l’évolution actuelle de la tauromachie qui ne peut servir qu’un petit groupe (toreros, empresarios et ganaderos punteros) qui se satisfont d’une situation qui, tant au niveau économique que médiatique, en fait encore des privilégiés dans une Espagne exsangue où le nombre de spectacles taurins s’est écroulé en cinq ans, surtout dans les arènes de 3ème catégorie (corridas et novilladas piquées). Nous devons rester vigilants face à des adversaires virulents où nous retrouvons mêlés des intérêts « philosophiques » et « politiques » très différents, unifiés dans un « amour » exacerbé de la gens animale, mais nous pensons que la première solution au problème actuel de la corrida se trouve dans le monde taurin lui-même.
Dans le même esprit, Juan Antonio Gomez Angulo, Président de la Commission de Travail pour le Développement et la Protection de la Tauromachie, déclare que les ganaderos sont les moins responsables de la situation économique et au contraire doivent être protégés.

A l’exception des 5 ou 6 élevages punteros imposés par les figuras, ils sont pour la plupart dans une situation financière catastrophique. Leurs efforts de gestion, en diminuant le nombre de vaches et donc de naissances, donneront-ils des résultats suffisants car comment amortir les frais fixes pour maintenir une finca (hommes et matériels, sans oublier les frais financiers). Par contre, Gomez Angulo affirme que le coût de production des spectacles taurins doit baisser, de la réduction des honoraires jusqu’à la diminution du prix des places.
Cela demande un profond processus de transformation pour maintenir les spectacles taurins ! Il pense que « tous doivent renoncer à une partie de ce qui leur correspond, tous doivent réviser leurs prix et leurs marges parce que si rien ne change, le spectacle ne pourra pas se maintenir longtemps ».

Nous ne pouvons qu’approuver ces affirmations. Elles concernent tous les intervenants :
Les grandes empresas car sans changement, les petites arènes vont disparaître les unes après les autres. Un comportement égoïste de leur part serait suicidaire à moyen terme.

Les toreros figuras qui pratiquent des tarifs exorbitants qui :

  • font augmenter le prix des places qui atteint un niveau insupportable
  • oblige les arènes (1ère et 2ème catégories) à multiplier les mano a mano, les « encerronas » pour négocier avec les toreros la diminution du coût du plateau avec comme conséquences de :
  • lasser le public par la répétition des mêmes cartels qui ne sont plus des évènements ni des « competencias »
  • diminuer les possibilités pour les toreros jeunes ou pour les toreros moins médiatisés car le « people » fonctionne encore même s’il est aussi en régression.

Ce ne sont pas leurs initiatives de marketing ridicules et à « contra estilo » pour améliorer leur image ou le « glamour » pour aller vers le grand public qui amènent plus de monde aux arènes. Au contraire, il faut rendre au spectacle taurin sa « vérité » d’hommes extraordinaires (qu’ils sont) qui vont affronter des animaux tout aussi extraordinaires.

Les professionnels des cuadrillas ont aussi leur part de responsabilité : ils ont obtenu des rémunérations et une couverture sociale qui certes leur apportent des garanties pour leur période d’arrêt et leur retraite, mais qui entraîne un coût exorbitant, notamment pour les arènes de 3ème catégorie ainsi que pour les novilladas en général. Ils s’accrochent à leurs avantages acquis alors que le système court à sa perte. Leurs représentants ont toujours eu comme réel interlocuteur, l’ANOET (Association regroupant les empresas des grandes arènes) qui se soucie peu des problèmes de leurs collègues des petites arènes et qui leur a concédé, dans des périodes faciles, des conditions très avantageuses car elles n’étaient pas prioritaires pour eux. Il est regrettable que les empresas des petites arènes n’aient jamais pu constituer une association structurée, représentative, apte à négocier avec force car ce sont elles qui organisent (ou qui organisaient…) le plus de spectacles et qui ont subi la situation qui pesait déjà sur leur rentabilité, même quand les temps étaient meilleurs.

Les organisations syndicales oublient que la majorité des « subalternes » qu’elles représentent, intervient dans les novilladas et spectacles mineurs ou dans les arènes de 3ème et 4ème catégories (portatives). Les coûts fixes de l’organisation vont entraîner une disparition progressive de ces spectacles car les aides des municipalités diminuent ou disparaissent et le nombre de spectacles diminue suite à la crise économique et au conformisme des toreros. La tendance de la part des empresas « représentatives » (ANOET) serait de remettre en cause la prise en charge des cuadrillas, tant au niveau de la rémunération que des charges sociales puisque les « subalternes » sont choisis par les toreros qui sont leurs vrais « patrons ». Cette solution serait envisageable pour les matadors de toros « figuras » qui ont des cachets élevés mais ne serait pas applicable pour les toreros modestes qui perçoivent des cachets minimes, surtout dans les petites arènes et encore moins pour les novilleros qui ont des difficultés à faire face à leurs frais.

Il nous paraît plus juste de :

  •  baisser le coût des figuras : il est vrai qu’elles interviennent surtout dans les arènes de 1ère et 2ème catégories bien qu’en fait, en 2013, malgré la crise, certaines ont toréé près de 10 corridas dans les arènes de 3ème, sur un total de 40 à 30 « festejos » seulement !
  • baisser le coût des cuadrillas pour les novilleros et les plazas de 3ème et 4ème catégories (rémunérations et charges sociales)
  • alléger l’organisation des « sans picadors » en diminuant le nombre de banderilleros et le coût de la sécurité sociale.

Il faut noter que le milieu associatif français qui depuis 20 ans a fait des efforts importants pour les novilladas, surtout dans le Sud-Ouest, rencontre de grandes difficultés pour pérenniser ces organisations qui sont l’avenir de la corrida.

Les propriétaires des arènes (publiques ou privées) qui ne sont pas en gestion directe (Pamplona, Bilbao, Dax, Bayonne…) ont établi des conditions de location intéressantes et même très avantageuses dans certains cas, grâce à la concurrence entre empresarios qui augmente le coût de l’organisation et participe à l’augmentation du prix des places de corridas. La situation actuelle ne permet plus de maintenir cette situation car elle aggrave la rentabilité pour les empresas et pour les spectateurs avec comme conséquence la baisse de fréquentation, surtout si le spectacle est ennuyeux ou répétitif (voir éditos antérieurs). Les solutions existent mais elles demandent des sacrifices de la part de tous et de vraies initiatives généreuses. En effet, nous assistons à certaines initiatives artificielles qui relèvent du marketing communicatif pour se donner une image positive vis-à-vis des aficionados et du grand public, « para darse une cara de bueno » comme disent nos amis espagnols. Ce n’est pas cette mascarade que nous attendons des toreros mais un comportement vraiment responsable et respectueux de l’aficion « tanto en el ruedo que a la calle ». Mais tous ces sacrifices n’auront de justifications et de résultats que si les empresarios baissent le prix des places quand ils le peuvent et si le public revient aux arènes afin d’empêcher la chute du nombre de spectacles.
Durant cette temporada, nous n’avons pas voulu vous décrire un monde taurin idyllique mais réaliste, dont l’avenir nous préoccupe fortement, comme vous l’avez certainement constaté. Vous pouvez nous adresser vos commentaires par mail :

Ce dernier édito de l’année 2013 clôture cette nouvelle expérience qui, nous l’espérons, vous a intéressés. Souhaitons que le ciel s’éclaircisse pour la temporada 2014 et que nous puissions vivre ensemble de grands moments à travers la passion qui nous unit.

P.S.  Les « Figuras Réunies… » Morante, Juli, Manzanares, Perera et Talavante viennent d’adresser une lettre aux Maestrantes de Sevilla pour les informer qu’ils se refusent à négocier avec Canorea (Empresa Pagés), actuel empresario de la Real Maestranza, pour leur participation à la Feria 2014. Ils confirment qu’ils n’ont rien compris (?) à la situation.
Si nous ne connaissons pas les détails des litiges, nous pensons que cela concerne la possible baisse de leurs rémunérations. Nous estimons ce chantage inacceptable de la part de ces toreros qui ne savent s’unir que pour défendre leurs propres intérêts financiers. Question : leurs apoderados ap­prouvent-ils cette manœuvre ?
A SUIVRE…

Le responsable de rédaction, Francis ANDREU

Edito n° 9 – Décembre 2013

 

EDITO NOVEMBRE 2013

TOUT DÉPEND DE NOUS !

Ainsi titre Hugues Bousquet dans « LO TAURE ROGE » d’octobre 2013. Cette exclamation rejoint la conclusion de notre dernier édito (n°7). Il s’adresse effectivement à l’aficion qui, comme nous le pensons aussi, a sa part de responsabilité dans la situation actuelle du monde taurin. Nous lui laisserons la responsabilité de motiver les aficionados face aux « anti » et aux « animalistes » bien pensants, mais nous ne pouvons que le soutenir. Son analyse est très juste et son rappel du danger (voir Rodilhan) que représente pour notre « tradition » et notre « passion » du TORO BRAVO, est réaliste. Il ne faut pas minimiser, même s’ils ne sont qu’une minorité, le comportement de ces individus et de ces groupuscules activistes, caractérisés par l’intimidation ainsi que leur obscurantisme malheureusement appuyé parfois par la presse régionale (?) (un comble !).

Nous choisirons de cibler notre analyse sur le comportement des aficionados avant, pendant et après la corrida, car ils jouent un rôle important dans son évolution actuelle qui nous préoccupe. Nous commencerons par les « fondamentaux » :
– Bravoure et embestida du toro
– Courage, technique et expression artistique du torero.
Il faut savoir les apprécier dans leur ensemble et leur complexité. Les divergences entre les « TORISTES » et les « TORERISTES » (notre édito de mars 2013), existent depuis longtemps, surtout depuis l’apparition de la tauromachie « moderne » et des toreros historiques dans cette évolution : Juan Belmonte et Joselito « El Gallo », même si les deux maestros avaient une grande amitié que la rivalité de leurs partisans ne put rompre… Nous regrettons que, depuis quelques années, ces différences de goût compréhensibles, se soient « extrémisées », surtout par des prises de position regrettables de certains toristes qui ont jeté des anathèmes et émis des critiques extrêmes pleines de préjugés. Ils se manifestent aussi par des vociférations dans les gradins qui troublent la lidia et la faena, dans un but inavoué d’être protagonistes. Nous avons constaté heureusement en France, ces derniers temps, que certains maîtres à penser de ce courant se sont rendus compte que les extrêmes, comme dans tous les secteurs de la société, desservent la cause qu’ils veulent ou qu’ils sont sensés défendre. Surtout que dans ce cas, ils ne sont pas toujours les plus connaisseurs ou les « mas entendidos », même s’ils sont parfois de bonne foi.

Arrêtons ces querelles stériles, même si certains y trouvent leur plaisir et leur raison d’être. Cela ne peut que nous desservir. Le bon aficionado doit, en premier, savoir apprécier le comportement du toro brave, pendant toute la durée de son combat dans le ruedo, soit pendant les 3 « tercios ». Le toro doit d’abord « délivrer » son agressivité première, démontrer son « alegria » et son galop pour répondre aux cites des banderilleros et ensuite aux sollicitations dominatrices et déterminées du torero avec la muleta, par des charges puissantes et « franches » (ce qui ne veut pas dire naïves et sans race), pendant 10 minutes.

En effet, le public aficionado, au sens large, demande cette « longue » faena plus ou moins artistique, plus ou moins dominatrice, que le torero ne réussira que si ses qualités de courage, de technique et son inspiration lui permettent de se mettre en valeur, mais aussi si le toro accepte de combattre jusqu’à la « fin ».

Pour arriver à cette « quintessence », l’aficionado devrait savoir, ou comprendre, que le Tercio de Piques s’il peut nous permettre d’admirer la puissance et la combativité du toro bravo en répondant à « l’appel » du piquero, n’est pas une fin en soi. Certes la « pique » est un moment spectaculaire, émotionnant et émouvant qui peut démontrer la capacité de combattre cet animal hors norme qui « dépasse » le rationnel et que nous admirons. Mais l’aficionado ne doit pas oublier que la pique n’est, à l’origine, qu’un « moyen » pour permettre au torero de faire avec sa muleta une faena efficace mais aussi si possible artistique, pour préparer une estocade franche et efficace. Si un toro qui a pris 3 piques, même spectaculaires, en venant de plus de 10 mètres avec volonté et puissance, s’arrête par la suite, se défend sur place incapable de charger et de répondre aux cites du torero et parfois de ne plus s’intéresser au combat, il y a une erreur quelque part. Qui est responsable ? Le Ganadero, le Torero, le Président, la Presse spécialisée, l’Aficionado ?
Tous sont responsables.
– Oui bien sûr, le Ganadero est responsable, prisonnier entre les exigences des professionnels, les goûts du grand public et de l’aficion. Il a « loupé » sa sélection, ses croisements et ses toros ne vont plus « a mas » durant la faena.
– Oui, le Torero est responsable car ses exigences ont perturbé la « sélection » du toro bravo et sa cuadrilla n’a pas su mener la lidia.
– Oui, le Président peut être responsable lui aussi s’il n’a pas su doser le tercio de piques, figé droit dans ses bottes !
– Oui, la presse taurine n’informe pas bien et même désinforme le public. Nous avons actuellement plus de glamour, de « sensationnel » que de « fondamentaux », notamment sur internet sans oublier les pages de la presse écrite remplies de rédactionnels taurins, plus publicitaires qu’informatifs.
– Oui, l’aficionado a aussi sa part de responsabilité dans l’évolution du monde taurin actuel :

  • il demande des faenas de 40, 50 passes devant des toros qui en permettent 15 ;
  • il demande (ou accepte) des faenas standardisées des figuras, quel que soit l’adversaire affronté, sans valoriser la difficulté de certains toros ;
  • il n’exige pas, notamment pour les cartels de figuras en France, une présentation des toros en adéquation avec l’importance des arènes, ce qui enlève de l’importance, de l’émotion au spectacle ;
  • il se laisse imposer des cartels standards ou des mano a mano artificiels qui ne laissent pas de place à des toreros jeunes, ambitieux qui peuvent faire évoluer un système figé, faire « bouger les lignes »…

Conséquences :
Les figuras se maintiennent entre elles dans les cartels des grandes arènes françaises ou espagnoles (1 ère et 2ème catégorie) qui se remplissent, alors que les cartels des autres corridas, trop marginali sées (à l’exception de certaines arènes spécialisées ou Las Ventas de Madrid) attirent le plus souvent un faible public.

L’aficionado, par son action auprès des empresas, de la presse spécialisée (trop conformiste), des municipalités et, en France, dans les Commissions Taurines, doit faire pression sur les responsables du système pour reconsidérer leur manière de gérer le monde taurin qui apprécie parfaitement le maintien du statu quo. Il leur permet, sur l’instant, de maintenir leur pouvoir et protéger leurs finances du moment et leur influence. Mais quid du lendemain ? Par les temps qui courent, dans une civilisation de plus en plus déstabilisée, l’aficion doit rester vigilante, ne pas perdre son temps dans des querelles stériles qui n’intéressent que des marginaux et donnent parfois des arguments à nos vrais adversaires. Elle doit se concentrer, se regrouper pour la défense des fondamentaux qui permettront à la corrida de se maintenir dans une époque difficile, tant au niveau économique qu’existentiel. La solution n’est pas dans la critique systématique, car la corrida est un spectacle difficile, avec des imprévus et des impondérables qui ne sont pas maîtrisables. Ce n’est pas une « science exacte ». Pour autant, il ne faut pas accepter ce qui dès le départ est basé sur des critères inacceptables, qui ne conviennent qu’à ceux qui en profitent.

L’aficion et surtout ses représentants ou ses porte-parole ne doivent pas se laisser endormir par des « faveurs » faciles qui ne coûtent rien à ceux qui les « distribuent » mais qui profitent ensuite de leur « passivité » pour conforter leur pouvoir et maintenir le système. Plus l’aficion se réunit pour défendre ses valeurs et notre tradition, plus elle sera forte pour repousser ceux qui veulent les détruire ou ceux qui veulent profiter de la situation.

Nos adversaires, quels qu’ils soient, savent que c’est dans nos divisions qu’ils trouveront leur force. Les exemples dans le monde taurin français sont multiples et vérifiables. Certains ont su très bien le faire, avec des effets malheureusement négatifs pour l’aficion. Il ne s’agit pas de tout « fondre dans un même moule » mais de conserver la lucidité indispensable pour défendre nos fondamentaux. Car les détenteurs du pouvoir savent parfaitement flatter les « ego » pour mieux les utiliser sans qu’ils s’en rendent compte. De même, ne tombons pas dans les extrémismes car face à nous, nous avons un mélange de courants aux motivations et tendances « philosophiques » très étranges, qui se réunissent parfois sur des objectifs plus ou moins avouables. L’HISTOIRE se renouvelle.

L’aficion doit pouvoir vivre sa passion basée sur des goûts différents, mais doit savoir se réunir sur des idées fortes qui sont l’essence même de notre raison d’être « aficionados ».

Edito n° 8 – Novembre 2013

ÉDITO OCTOBRE 2013

APRÈS L’ÉTÉ 2013…

Nous sommes forts inquiets de l’évolution du monde taurin qui, certes, n’a jamais été un paradis où la probité et l’angélisme régnaient. Le romantisme a quitté la tauromachie depuis longtemps mais, de nos jours, l’évolution est franchement préoccupante car 3 ou 4 personnes bloquent le système dans leur unique intérêt et leurs discours, parfois idéalistes, ne trompent que ceux qui veulent bien l’écou­ter. Ils ne laissent « passer » que ce (ou celui) qui leur convient car cela ne leur fait pas d’ombre et que « certains » pourraient être utilisés plus tard dans le cadre de nouveaux accords. Les toreros figuras et leurs représen­tants utilisent les techniques de marketing comme pour lancer un nouveau parfum ou une nouvelle voi­ture. Nous avons constaté les effets négatifs du système même si, soit par intérêt, servilité ou « compa­gneurisme », certains veulent nous faire croire qu’ils ont vu des « choses » extraor­dinaires. Les « montages », les mano a mano, les encerronas ont continué à marquer l’été taurin. Ils n’ont rien apporté, bien au contraire, car la répétition enlève toute surprise, lasse les vrais aficionados et même le grand public.

Si l’on veut entrer dans le détail, il est regrettable de constater que les figuras qui devraient être des loco­motives du système, ne le tirent pas vers le haut pour améliorer la situation face à la crise. Le statu quo leur va très bien. Les manœuvres enfantines de marketing qui ont fleuri dernièrement sur le net (place gratuite pour les jeunes, toreo de salon public avec les enfants, entrevistas…) ne trompent personne et n’ont aucune efficacité, car tout doit se résoudre dans les ruedos et non dans les « oficinas » de relations publiques.

El Juli qui avait démarré en trombe la temporada, a vu malheureusement son élan stoppé par la bles­sure de Séville dont il a tardé à se récupérer. Il est revenu sous la pression pour retrouver son état de grâce antérieur… Le reste de sa temporada (notamment juillet, août et septembre) a montré « Julian » avec son envie de rester le « leader » et le « patron » du système, triompher dans certaines arènes sans convaincre vraiment. Son toreo dominateur a perdu la sérénité et l’élégance qu’une figura de son rang doit conserver pour être le grand torero qu’il est, surtout devant des toros triés sur le volet.

Manzanares, de son côté, n’a pas connu la grande temporada que nous avons vue il y a 2 ans, avant ses blessures à répétition à la main de 2012. Lui aussi a perdu sa sérénité et surtout la « dimen­sion » de son toreo. Même sa très belle faena des Vendanges à Nîmes, pleine de majesté et d’esthé­tisme, n’a pas eu la profondeur que l’on pouvait attendre du magnifique torero d’Alicante devant un extraordinaire Garci­grande qui alliait une grande noblesse et un galop impressionnant qui ont donné à la faena une grande émotion.

La crise économique, très sensible en Espagne, accentue le phénomène car le gâteau à se partager est plus petit. L’intérêt des 5 « grands » est de maintenir l’équilibre existant et de ne donner un ticket d’entrée qu’à ceux qui ne gênent pas et qui en plus, pourront servir à l’avenir.

Malgré ce, nous avons noté des éléments positifs :

La montée en puissance de Perera dont les qualités techniques et la maîtrise devant le toro sont impressionnantes même si sa tauromachie manque « d’âme » et de « sentimiento » que l’on peut exiger d’un tel torero, surtout devant les ganaderias qu’il affronte. Sans vouloir diminuer sa tauromachie, c’est un numéro de « dompteur » sans la touche artistique et l’émotion que l’on peut en attendre. Le maestro Paco Ojeda, dans son époque de gloire, avait un rayonnement, une majesté que le torero d’Extremadura n’arrive pas à nous transmettre, même si sa tauromachie est inspirée de celle du torero de Sanlucar « ojala lo consiga » ! (pourvu qu’il y arrive)

Enrique Ponce nous a fait rêver à Bilbao et espérer qu’il veuille, avec la même ambition, se mêler à la lutte pour reprendre le leadership. Il est vrai que pour lui, le coso de VIstalegre (de Bilbao) a été un lieu de prédilection tout au long de sa carrière, avec un public qui « attend » le maestro de CHIVA avec admiration et chaleur. Il faut espérer que pour la temporada prochaine, PONCE revienne avec des intentions conquérantes car il pourrait « faire bouger les lignes » et pousser le reste de ses collègues vers l’excellence. Il n’est qu’à voir son effet dans la Goyesca d’Arles où ses deux compagnons au cartel ont montré une volonté et une détermination, certainement motivés par sa présence au paseo à leurs côtés.

Nous retenons aussi la temporada d’Antonio Ferrera qui démontre que sa technique, sa maîtrise, jointes à son « pundonor » et à son ambition retrouvée, nous font espérer un renouveau inattendu. Comment oublier ses deux actuations devant les Adolfo Martin de la San Isidro. COLOSSAL. L’apoderamiento par Raul Gracia « El Tato » paraît avoir changé la mentalité du torero de Badajoz qui nous avait habitués à plus d’instabilité…

Manuel Escribano, la révélation 2013, tant en France qu’en Espagne, a été stoppé brutalement dans sa temporada par la très grave blessure infligée par un toro de Flor de Jara. Les mois d’août, septembre et octobre auraient pu lui permettre de confirmer cette année magnifique, en faisant le paseo à Arles, Nîmes (où il n’a jamais toréé même novillero ?), Albacete, Logroño, Zaragoza… même si Madrid n’avait pas encore prévu sa confirmation d’alternative que l’on pouvait espérer dans de bonnes conditions durant la Feria d’Octobre ? Découvert accidentellement par le grand public grâce à la substitution du Juli à Sévilla, le torero de Gerena a démontré que le système ne fonctionne pas puisqu’il écarte, depuis près de 10 ans, des talents et des ambitions qui peuvent faire évoluer le « marché » (excusez-nous d’employer un terme aussi déplacé mais malheureusement conforme à la réalité). Escribano, outre ses qualités « toreras », a la faculté naturelle de transmettre avec le public car son envie, sa joie de toréer ajoutées à son esthétisme, ne peuvent qu’impacter sur le spectateur. Il faut espérer que Manuel se rétablisse complètement de cette gravissime blessure afin, qu’en 2014, il puisse confirmer et se repositionner dans l’escalafon, comme pouvait le laisser espérer sa temporada. Il est de ceux, non atteints par le conformisme, dont nous avons besoin pour faire évoluer les choses, si on leur laisse le temps et les lieux pour le démontrer.

En ce qui concerne les toreros français :

Sébastien Castella continue à sa place dans le monde taurin, installé avec les « premiers ». Il est regrettable que le comportement des 6 toros affrontés le 16 août à Béziers ne lui ait pas permis d’atteindre dans sa ville les sommets qu’il espérait pour un telle journée, dans laquelle il avait beaucoup investi pour en faire un événement important dans sa carrière.

Jean Baptiste (Bautista) a démontré cet été, tant à Béziers qu’à Arles, qu’il était un excellent torero dont le classicisme et la pureté, qui s’appuient sur une technique éprouvée, sont remarquables, sans oublier sa régularité avec l’épée.

Les toreros restent des êtres « supérieurs » qui osent s’affronter à la bête extraordinaire qu’est le Toro Bravo, malgré les dérives de certains élevages. C’est leur entourage professionnel et leur volonté de fermer le système, afin de garantir aux uns et aux autres la maîtrise de leur « négoce » qui, avec la complicité passive ou active des médias, sont à l’origine de l’évolution que nous dénonçons.

La crise économique et ses conséquences (400 corridas ou novilladas de moins qu’en 2007-2008) ne font qu’accentuer leur volonté de maîtrise de la tauromachie en Europe. Cette « stabilité » recherchée à tout prix ne peut être que négative pour le public, l’aficion et le monde taurin dans son ensemble. L’aficionado a aussi sa part de responsabilité dans cette situation. Nous en reparlerons prochainement.

n° 7 – Octobre 2013

ÉDITO AOÛT 2013

LES TOROS DE LA SAN FERMIN 2013

Les organisateurs de la Casa de Misericordia de Pamplona ont toujours recherché, par leurs corridas de San Fermin, un toro avec des armures imposantes, parfois excessives à nos yeux, qui correspondent parfaitement à l’état d’esprit de l’aficionado navarrais et plus généralement à l’aficionado du nord de l’Espagne. Il est un fait que l’aficion et même les « pastores » du ganado bravo navarrais et basques sont habitués à approcher le toro à pied, à l’affronter parfois et à le courir dans les encierros sans autre arme qu’un baston pour les « pastores » ou un journal plié dans une main pour les « coureurs ».

Notre regretté ami Claude Pelletier, magnifique et passionné aficionado-revistero bayonnais, trop tôt disparu, faisait le commentaire suivant : cette caractéristique des traditions basques et surtout navarraises, influe dans la conception du toreo et dans l’attitude exigeante du public et de l’aficion populaire de cette région vis-à-vis des toreros. Ils savent ce que c’est d’approcher le toro, de l’affronter sans autre arme que leur fameux courage. Au contraire, l’aficion andalouse, moins populaire à ses débuts, était plus marquée par les jeux du toro avec le cheval réservé la noblesse et à la bourgeoisie, plus tournée vers l’expression artistique des toreros qui, plus tard, l’affrontèrent avec cape et muleta, même au campo.

Un de nos amis, Antonio Purroy Unanua, ingénieur agronome à l’Université de Pamplona, nous faisait remarquer il y a 30 ans, que contrairement à la situation préoccupante de la faiblesse des toros dans de nombreuses arènes, le toro à Pamplona ne tombait pas. Il estimait, preuves scientifiques à l’appui, que le fait de le faire courir dans l’encierro le matin de la corrida, le déstressait. Selon ses études, le manejo traditionnel du toro avant la corrida (camion, corrales, chiquero) provoque un stress énorme au toro bravo qui engendre des toxines qui atteignent la musculature du toro et peuvent provoquer les chutes et les génuflexions dans le ruedo, dont les aficionados ont beaucoup souffert pendant des années. Nous faisons confiance à l’analyse de notre éminent aficionado scientifique sur ces faits et il faut reconnaître qu’ils se sont souvent confirmés dans les San Fermin des années 1960 à 2000.

Le problème a changé puisque, depuis cette date, de nombreux ganaderos font courir les toros au campo dans d’affreux torodromes poussés par des cavaliers qui sont censés faire de ces toros des athlètes qui ne tomberont pas dans l’arène. Ce que nous constatons avec plaisir de nos jours. Cette modernisation est pour nous une arme à double tranchant. Il faut noter qu’en même temps, les mêmes ganaderos ont décidé de mettre des fundas pour les cornes des toros avant leurs 4 ans, afin de les protéger des accidents et des combats.

Nous estimons, avec d’autres, que cette nouvelle pratique est plutôt néfaste au comportement du toro qui, si l’on ajoute l’herradero, les traitements et prises de sang imposés par les services vétérinaires, la pose et dépose des fundas, le toro de 4 ans, avant d’être combattu, passe minimum 6 fois dans le mueco . Toutes ces manipulations ne peuvent qu’altérer la naturalité du comportement d’un toro bravo, animal très sensible à ces emprisonnements.
Tous ces éléments tendent à « déformer » la bravoure du toro.

Si nous revenons à la San Fermin 2013, nous avons assisté à un comportement désolant des toros, à l’exception de certains toros de Dolorès Aguirre, de certains Miura et surtout de deux excellents Fuente Ymbro. Par contre, les encierros de Pamplona n’ont jamais été aussi rapides, notamment avec des toros entraînés à courir sans but particulier pour la plupart (hors Miura et Dolorès Aguirre).
Nous estimons que l’apparition du torodrome dans l’élevage du toro bravo, s’il a un effet apparent sur la force du toro, sans oublier l’amélioration de l’état sanitaire et de l’alimentation, a des conséquences négatives. Le toro court comme un athlète mais n’embestit pas, ne charge pas comme un toro bravo qui, dans l’arène, doit attaquer franchement et répondre à la sollicitation du torero avec fixité et bravoure. Regardez bien le comportement de ces toros modernes qui se déplacent, courent de manière démotivée, sans manifester la codicia (l’envie exacerbée par la bravoure) typique du toro bravo.
A Pamplona, nous avons noté, cette année, des comportements qui nous amènent à penser qu’après cette course au sprint, apparemment autrefois salutaire, le toro se trouve enfermé dans le chiquero, séparé de ses congénères, frustré après une course qu’il est habitué à faire dans le campo plusieurs fois par semaine, en groupe, sans but véritable. Les téléspectateurs que nous étions, avons vu que la plupart des toros de Pamplona, en dehors des exceptions mentionnées, ne chargeaient pas mais couraient comme désintéressés autour du torero, sans donner d’émotion malgré leur trapio, « saliendo solo de los muletazos con la cara alta » (sortent seuls de la muleta avec la tête haute). A force de courir derrière la muleta, certains s’arrêtent, « se rajan » parce qu’ils ne veulent plus jouer.

Les trophées ont été nombreux, mais hors exception, ils ont été attribués généreusement, sur pétition d’un public festif, moins exigeant qu’autrefois devant ce spectacle trop souvent banal. Le toro doit se déplacer dans le campo pour boire, s’alimenter, changer de territoire, conduit si nécessaire par les vaqueros ; avoir un « exercice » naturel. Pour éviter la faiblesse, il faut d’abord nourrir les toros progressivement pendant 4 ans, mais les mères elles aussi doivent avoir une alimentation équilibrée pour bien « porter » et ensuite nourrir les jeunes. Le torodrome n’est pas une solution naturelle. Il enlève au toro sa spontanéité, sa liberté, son instinct sélectionné, dans l’approche de son adversaire qu’il affronte dans le ruedo des arènes. Mais, ne vous y trompez pas. Viva Pamplona, viva San Firmin, viva !

P.S.  Antonio Purroy Unanua, devenu une personnalité importante en Navarra, est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le toro bravo.

ÉDITO n° 6 – Août 2013

 

ÉDITO JUILLET 2013

NOS COMMENTAIRES APRES LA SAN ISIDRO

Comme nous l’avions prévu dans notre édito de février, les premières ferias, tant en France qu’en Espagne, ont vu la multiplication d’encerronas (seul contre six) et de mano a mano artificiels qui pour le moment, n’ont rien apporté de positif au spectacle et à l’aficion. Nous avons déjà évoqué les raisons économiques et monopolistiques qui motivent ce type d’organisation. Les résultats ont été décevants, tant au niveau artistique qu’évènementiel malgré la médiatisation effrénée (le succès particulier de la fréquentation d’Istres et l’actuation très professionnelle de JEAN-BAPTISTE ne changent rien à l’ensemble du problème).

En dehors de justifications symboliques et émotionnelles comme pour CASTELLA dans ses arènes de Béziers en août, nous regrettons à nouveau cette évolution ajoutée à la diminution du nombre de corridas pour raison de crise économique (Séville, Murcia, Almeria, Alicante, Bayonne…). Après la feria de Séville qui a vu triompher l’inattendu Manuel ESCRIBANO, la feria de Madrid vient de mettre en valeur comme triomphateurs indiscutables  ceux qui toréent peu comme Antonio FERRERA (énorme devant les Adolfo MARTIN) et Joselito ADAME (torero mexicain le moins protégé dans son pays), sans oublier Alberto AGUILAR et le jeune PEREZ MOTA qui torée encore moins (moins de 10 corridas en 2012). Cela démontre que la solution de concentrer la temporada sur une dizaine de toreros n’est pas la bonne alors que les cartels doivent inclure la nouveauté et les opportunités offertes aux jeunes.

En même temps à Madrid, les figuras ont certes conforté leur place dans le « marché » taurin coupant 1 ou 2 oreilles grâce à leur oficio, leur professionnalisme et leurs qualités foncières rodées par leur nombre d’actuations, sans oublier leur talent. Par contre, aucune figura n’a révolutionné le monde taurin et n’a mis le coup de pied dans la fourmilière. Le seul torero parmi les figuras qui après et malgré sa blessure de Séville, a démontré qu’il était au dessus du lot, reste El JULI par son poder, sa toreria, tant devant les seuls mauvais toros de Victoriano del Rio à Nîmes, que par son extraordinaire faena devant un GARCIGRANDE dans la corrida de SAN FERNANDO à ARANJUEZ. Aveugle celui qui ne veut pas voir. Il était absent volontairement cette année de la San Isidro car, contrairement à son collègue MANZANARES, il ne voulait pas affronter les sifflets anticipés et malintentionnés d’une partie minoritaire (mais très bruyante) du public de Las Ventas. Ils n’ont comme objectif que déstabiliser certaines figuras comme l’ont déjà fait par le passé leurs ancêtres avec MANOLETE, JOSELITO, El GALLO…

Il faut noter à Madrid le 1er juin, le triomphe, inédit à un tel niveau, des banderilleros de Javier CASTAÑO : Marco GALAN, David ADALID et Fernando SANCHEZ et du piquero « TITO » SANDOVAL unis dans une vuelta al ruedo commune. Heureusement, les grandes ferias du nord de l’Espagne paraissent revenir à des solutions plus classiques tout en donnant par leurs cartels, des opportunités à la nouvelle génération (excepté ADAME absent de Bilbao). Il est vrai que la Junta Administrativa de Bilbao et la Casa de Mesirecordia de Pamplona, tout en ayant des objectifs de rentabilité, ont aussi des conceptions moins mercantiles et monopolistiques que l’association des grands groupes qui domine le système.

La corrida a toujours besoin de vraies nouveautés et de competencia qui permettent à certains de se remettre en selle et à des jeunes de se faire connaître, contrairement aux accords des oficinas qui souhaitent maintenir le statu quo ou ne faire apparaître, au gré des besoins, que ceux qui ne les perturberont pas. N’oublions pas que lorsque Paco OJEDA a triomphé et étonné l’aficion française à Béziers en 1982, il était inconnu du grand public. Il venait juste de confirmer son alternative à Madrid au mois de juillet devant les CORTIJOLIVA (quel cadeau…). Il avait déjà 28 ans.

En ce qui concerne les toros, la ganaderia qui domine ce début de temporada par sa constance dans la qualité selon tous les critères du toro bravo, est incontestablement celle de VICTORIANO DEL RIO qui s’est fait remarquer à Séville, Madrid et Nîmes (présenter 4 toros brillants sur 6 est particulièrement notable). Nous remarquerons également le comportement très intéressant du lot d’Adolfo MARTIN à Madrid, exigeant mais brave et très encasté. Dans un autre style, nous pouvons nous réjouir du comportement du lot de BOHORQUEZ à la San Isidro. Après les ganaderias du maestro CAPEA, ces ganaderos démontrent que grâce à plusieurs années de travail, le renouveau de l’encaste MURUBE, avec ses caractéristiques, n’est pas limité aux corridas de rejoneo. Les autres ganaderias se sont montrées, soit déficientes, soit trop inégales pour être remarquées.

Par contre, nous devons mentionner le lot exceptionnel de bravoure, d’embestida (avec 5 toros hors norme) de Dolorès AGUIRRE après 3 ou 4 piques. Ces toros sont sortis dans le ruedo de St-Martin de Crau avec la devise noire, portant le deuil de leur ganadera décédée 20 jours avant. A croire que ces toros savaient qu’ils devaient être supérieurs pour l’honorer. Ils l’ont été et les aficionados présents s’en souviendront longtemps.

Nous constatons avec satisfaction que certains, et non des moindres, commencent à se faire entendre pour dénoncer eux aussi ces déviations dans les cartels de ferias qui ne peuvent aboutir qu’à un déclin progressif et au désintérêt du vrai public aficionado, quel que soit son ancienneté Ce ne sont pas les effets de la communication moderne que développent actuellement les figuras pour améliorer leur image médiatique, qui pourront cacher longtemps les effets négatifs de cette évolution.

Edito n° 5

ÉDITO MAI 2013

CHRONIQUE D’UNE COMMUNICATION MANQUÉE !

Le monde de la tauromachie a toujours été caractérisé par l’influence de la presse et de la communi­cation. Par le passé, on a vu les « critiques taurins » prendre partie en faveur de telle ou telle figura du moment, ce qui entretenait la polémique et même des engouements qu’après coup, on peut esti­mer excessifs. L’influence de cette communication dépendait de « signatures » éminentes qui don­naient plus ou moins de répercussion aux comptes-rendus « partisans » des corridas, notamment dans les plus grandes plazas espagnoles. C’est ainsi qu’après le duel « Joselito-Belmonte », la presse mo­bilisa 25 ans plus tard, les « partidarios » de Manolete et Luis Miguel Dominguin. Comme nous le savons, ces deux competencias exacerbées s’achevèrent tragiquement. Plus tard, Ernest Hemingway s’impliqua directement dans la concurrence des deux beaux-frères, Luis Miguel et Antonio Ordoñez.

L’époque de la médiatisation est arrivée avec l’apparition, dans les années 60, de la télévision en Espagne qui permit d’atteindre plus facilement les masses populaires. Cette période fut marquée par l’apogée de Manuel Benitez « El Cordobes » qui n’eut pas de véritable concurrent à ce niveau, car les autres maestros de l’époque et leurs mentors ne souhaitaient pas rentrer dans ce jeu médiatique. Pourtant Paco Camino, Santiago Martin « El Viti » et leur compagnon Diego Puerta étaient aussi les maestros prestigieux de la fin des années 60 et début 70.

De nos jours, la généralisation de la télévision des grandes ferias et l’invasion d’internet, magnifique invention qui est trop souvent pervertie, ont complètement modifié le rôle de la presse et de la com­munication. Cela nous a amenés à l’ère d’un marketing effréné, tout autant dans le lancement des no­villeros, dans la communication des figuras, que dans le montage des ferias pour « inventer » l’évè­nement. Depuis 2012, on assiste aussi à des activités promotionnelles en tous sens (places gratuites offertes par les toreros, toreo de salon dans les lieux publics avec la jeunesse, invitation des practicos aux tientas…), sans oublier la touche glamour. Il est vrai que Luis Miguel, grand précurseur, avait devancé tout le monde sur ce terrain. Heureusement le toro, avec ses impondérables et ses surprises, est là pour rappeler que tout n’est pas dans la « com » et que les meilleurs montages peuvent être chamboulés.

La feria d’avril de Séville 2013 est l’exemple même de cet échec. L’empresa avait bâti son pro­gramme (sans la télévision), sur l’encerrona de Manzanares, le mano a mano El Cid-Luque et la présence d’El Juli dans 3 corridas, dont les Miura qui, traditionnellement, clôturent la feria le « Dimanche des Farolillos ». El Juli avait démarré en trombe cette féria en « ouvrant » la Porte du Prince le dimanche et paraissait devoir tout écraser. Malheureusement, la cornada sérieuse infligée par le Victoriano del Rio a tout remis en cause. Surtout que le mano a mano des toreros sévillans, face aux Victorino, fut ennuyeux ainsi que l’encerrona de Manzanarès dont on attendait tant. Les fi­guras motivées par le succès du Juli n’ont pu « remater » leurs actuations. Malgré une envie évidente (ex : Castella, Talavante, Perera), ils n’ont pu compenser le comportement des toros choisis pas l’empresa et leurs veedors.

Même le succès méritant du jeune Nazare ainsi que l’oreille de Manzanares face aux Victoriano del Rio, ne resteront pas dans l’histoire. Seul Morante de la Puebla s’était positionné, par ses « passages » géniaux, à la hauteur d’El Juli. Tout le plan de marketing qui devait se conclure par la présence du maestro madrilène, face aux mythiques Miura, s’écroulait. L’empresa Pages n’avait pas d’autres solutions que d’appeler Manuel Escribano, réclamé par la « vraie » aficion sévillane et les journalistes indépendants. Les Miura, choisis par El Juli, permettaient (5 sur 6) des faenas adaptées pour des toreros spécialistes comme Rafaelillo et Javier Castano, qui ont réalisé des prestations inté­ressantes, même si le très bon deuxième méritait mieux.

Par contre, Manuel Escribano, qui n’avait rien à perdre, est rentré dans cette corrida sans à priori, avec « sa » tauromachie, sa fraîcheur, sa détermination, son élégance (oui !) pour une tarde qui s’est terminée crescendo devant le sixième par trois séries de naturelles inattendues et un coup d’épée im­pressionnant (prix de la meilleure faena et de la meilleure estocade). Manuel Escribano a non seule­ment triomphé, mais il a démontré que la vraie tauromachie ne se fait pas dans les « oficinas » ou dans les salons des hôtels, mais dans le ruedo, par un affrontement entre un torero décidé et inspiré et un toro bravo. Car les Miura de Séville n’étaient ni « toristes » ni « toreristes », mais « bravos », avec l’exigence qui caractérise les toros de cette ganaderia qui même, et surtout, quand ils sont braves, de­mandent et méritent un énorme respect, tant du torero que du public qui doit savoir valoriser leur lidia. Celui de Séville ne s’y est pas trompé.

Mai 2013 – n°4