Éditorial – Avril 2016

OBJECTIF PRIORITAIRE : RÉCUPÉRER LA BRAVOURE

Le Professeur Antonio Purroy Unanua a intitulé ainsi l’article qu’il a fait paraître récemment dans la presse taurine indépendante. Il nous explique les raisons du manque de bravoure que nous rencontrons trop souvent dans les élevages lidiés lors des grandes férias pour les figuras. Il nous rappelle que depuis une centaine d’années, les toreros importants ont imposé aux ganaderos une évolution qui nous a amenés, progressivement, à la situation actuelle. Ce grand aficionado, comme dans sa conférence au Musée Taurin de l’UTB le 27 février dernier, nous démontre cette évolution qui a transformé la caste Vistahermosa. Cette origine donnait aux yeux des toreros, le toro le plus complet et équilibré pour la lidia qui, après avoir été brave au cheval, arrivait à la muleta dans des conditions adéquates pour charger (embestir). L’histoire de la tauromachie est jalonnée de toros de cette caste. La branche Parladé – Tamaron – Comte de la Corte provenant de la caste Vistahermosa, a donné notamment la ganaderia du Duque de Veragua dans laquelle Juan Pedro Domecq Nuñez de Villaviciencio avait su détecter les qualités de ces origines lorsqu’il l’a achetée en 1928. Son fils, Juan Pedro Domecq y Diez, suivit son travail et sut faire briller la devise rouge et blanche qui remporta plusieurs corridas-concours. Malheureusement ses petits-fils (famille très nombreuse), ont augmenté la quantité du bétail en créant trois autres fers (Jandilla, Parladé et Zalduendo) et ont vendu à d’autres ganaderos beaucoup de vaches et reproducteurs pendant plus de 30 ans. Ils ont accepté la loi du marché et les exigences des figuras en accentuant le caractère de noblesse, dans leur sélection, vers le toro artiste… Cet élevage a donc servi de base à de nombreuses autres ganaderias, directement ou indirectement, ce qui nous amène à la situation actuelle par l’abus d’une sélection adoucissante et l’affaiblissement de la caste par ces nombreuses ventes qui accentuent la tendance actuelle du mono encaste.

Après les Fallas de Valencia, je vous avais fait part de mon ennui et de la tristesse devant le comportement de la quasi-totalité des toros de cette grande féria. Malheureusement, la dernière féria de Séville qui s’achève ne fait que confirmer la constatation antérieure et nous inquiète encore plus sur l’évolution du comportement du toro bravo, base essentielle de la corrida. Cette constatation n’est pas nouvelle mais, cette année, le début de la temporada a montré une situation catastrophique. Sur l’ensemble des corridas, l’impression générale des aficionados, tant sur les gradins de la Maestranza que devant la télévision, est l’ennui et même la colère. Ce ne sont pas quelques exemplaires (1) de Juan Pedro Domecq, (2) de Torrestrella, (1) de Daniel Ruiz gâché par El Cid, (3) de Victorino Martin, (4) de Nuñez del Cuvillo sur 12 et (1) de Funte Ymbro (excusez si j’en ai oublié), qui nous rendront notre alegria. Certes, j’ai apprécié comme tous le comportement du bon 2ème Cuvillo de Manzanares que le Maestro a été obligé de toréer vraiment, contrairement à la naïveté de son premier qui courait innocemment derrière sa muleta, sans jamais comprendre ce qu’il faisait et sans montrer l’émotion du combat que l’on attend d’un toro bravo. Au contraire, le public et les aficionados ont surtout apprécié le combat du grand toro bravo (Cobradiezmos) de Victorino Martin indulté à la fin de la faena de Manuel Escribano. Il n’était peut-être pas parfait pour les puristes qui l’ont vu escarbar (gratter le sol) d’abord avant de s’élancer pour une deuxième pique prise en brave au galop avec fixité et par la suite sur les trois premières séries au début de la faena de muleta. Au contraire, à mes yeux, cette attitude démontre encore mieux la valeur de son combat, car sa bravoure n’était pas naïve. Le fait qu’il ait su dépasser ses interrogations, la valorise encore plus. Cela valorise aussi la faena de muleta d’Escribano qui a aguante (accepté) les doutes de son adversaire au début pour recevoir ensuite muleta basse, la charge fixe, spectaculaire et vibrante de Cobradiezmos, grand toro bravo jusqu’à la fin de la faena. Le public et les aficionados de la télévision se sont réjouis spontanément de la décision du Président. Durant cette féria, nous n’enlèverons pas les mérites de plusieurs toreros dont les jeunes Pepe Moral, Javier Jimenez et surtout Andrès Roca Rey dont l’entrega, la domination et les prises de risques n’ont pas été récompensées à cause de la mansedumbre de ses adversaires mais aussi par ses échecs à l’épée face à des toros attirés aux planches. Les adversaires de Juli, Talavante et Ponce très motivés par la concurrence des jeunes, purent cependant montrer leurs qualités, contrairement à Castella, Perera, Luque … devant des adversaires décastés et faibles. Le succès un peu exagéré de Juan Jose Padilla avec ses 3 oreilles, fait plaisir à l’aficion et consacre pour l’ensemble de son œuvre le grand torero de Jerez. Par contre, les 2 oreilles de Lopez Simon restent pour moi un nouveau mystère pour consacrer une série de muleta par toro par faena, certes conclues par deux bonnes estocades. Je tiens à attirer l’attention sur Jose Maria Manzanares qui devant 2 Cuvillo noblissime pour le premier et plus racé pour le second, aurait dû obtenir deux succès plus retentissants, surtout avec ses estocades maisons foudroyantes. Jose Maria tarde à retrouver ses moments glorieux de Séville en 2011, 2012 et même 2015 devant les mêmes Cuvillo. Il n’a pas récupéré ce niveau. Les triomphateurs véritables de la féria resteront Escribano et Ureña pour leurs faenas devant les vrais braves de Victorino. Quand la vraie émotion est présente dans le ruedo, elle écarte facilement toutes les autres considérations, même celles de la faena complète de Morante de la Puebla face à son second Cuvillo. Le comportement suave et la candeur du toro ont disparu, écrasés par le talent et le métier du torero de la Puebla del Rio, très motivé par la douceur de son adversaire et sa volonté de faire oublier les 3 avis face au Garcigrande du dimanche de Pâques, alors que la temporada sévillane est son grand objectif de 2016 avec 5 corridas, d’autant plus qu’il ne sera pas à Madrid.

Depuis le début de la temporada 2016, nous avons assisté à une faiblesse chronique de certains élevages, même chez les Fraïle et les Jandilla qui nous avaient habitués à mieux. Trop de toros ont abandonné le combat lorsque le torero leur a pris le dessus. Ils sortent progressivement des muletazos avec une tendance à fuir le combat malgré la volonté et le talent des toreros pour les conserver dans leurs muletas. C’est le comble de la disparition de la vraie bravoure : se rajan. Toutes ces constatations correspondent malheureusement à l’analyse d’Antonio Purroy concernant l’évolution catastrophique de l’encaste Domecq qui envahit le monde taurin des figuras et des férias. Pourtant, notre grand aficionado navarrais, après cet amer constat, garde l’espoir. Il en appelle à la responsabilité des ganaderos mais cela vaut autant pour les figuras et même l’Aficion. Il nous dit : « y ahorra que ? Et maintenant, que faire ? Aujourd’hui on ne peut effacer d’un coup de plume l’encaste Domecq qui inonde tous les coins de la ganaderia brava espagnole, mais oui, nous pouvons demander (exiger ?) qu’ils reviennent à la voie de la bravoure, récupérer cette bravoure totale que jamais ils n’auraient dû perdre. La responsabilité des ganaderos propriétaires de cette encaste, dans leurs diverses variantes, est très importante pour le futur de la tauromachie.

Nous ne pouvons pas admettre que l’on dise que la vraie bravoure est celle d’un toro qui, après être resté invisible pendant la suerte de varas, se mette à charger dans la muleta d’une manière noble et prévisible. Cela pourrait être la vraie noblesse mais jamais la vraie bravoure. Dénonçons pour toujours cette supercherie. Un toro bravo doit faire face avec le cheval, croître sous le châtiment, répéter au moins une seconde fois, démontrer l’envie d’attaquer. Après, il doit se réveiller aux banderilles. Une fois dans la muleta, répéter les charges avec une noblesse encastée qui transmette de l’émotion sur les gradins et exige d’être dominé par le torero et finalement créer de l’art et de l’émotion. Il faut faire à nouveau ce type de toros, les ganaderos doivent y arriver et cela doit venir de la caste Vistahermosa, de la ligne Domecq, parce qu’elle est largement majoritaire dans la ganaderia brava actuelle. De plus, c’est le toro que demandent les bons aficionados et il faut arriver à ce qu’il devienne aussi celui du public en général. Les gens reviendront aux arènes uniquement si l’on voit le risque et l’émotion dans le ruedo. Les ganaderos qui se motiveront dans cette tâche, se sentiront plus authentiques en élevant un véritable toro de lidia. Les toreros aussi en sortiront bénéficiaires parce que seul l’affrontement à un toro bravo et encasté donne de l’intérêt à leur profession. La satisfaction de pouvoir se réaliser avec un toro après avoir pu le dominer et en plus créer de l’art jusqu’à donner de l’émotion au public, doit produire une sensation de joie indescriptible…Et surtout, ce qui est profitable à la fiesta brava, la récupération de la bravoure et de la caste de toro de lidia, est l’aspect fondamental pour sauver la tauromachie universelle ; ce sont tous des avantages !!

Merci Antonio pour ce texte que l’on a pu vous traduire. Sa détermination est optimiste et nous permettra d’espérer, même si ce résultat ne pourra s’obtenir vraiment qu’après plusieurs années de travail.

Suerte para todos !!!!!

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – édito n° 36