ÉDITORIAL AVRIL 2021

LA CORRIDA DU SIÈCLE

J’ai lu récemment l’ouvrage du biterrois Pierre Alazard édité par le Chameau malin « D’un lustre à l’autre 1846-1946 Cent ans d’immigration espagnole et andorrane au Campnau” (Capnau). Ce livre, très documenté sur l’évolution de cette population, m’a permis de me rappeler que mon grand-père (Satgé) d’origine Tarnaise, me parlait du CAPNAU où ses ancêtres avaient résidé il y a plus de 200 ans. C’était un quartier peuplé de gens venus pour la plupart de zones rurales. C’était un quartier populaire où se regroupèrent progressivement les nouveaux arrivants qui cherchaient travail et subsistance.

Place Saint Esprit

Le Capnau est situé sur les hauteurs de Béziers au-dessus de l’Orb, le long de l’actuel Boulevard d’Angleterre entre les églises de La Madeleine et de Saint Aphrodise et le Couvent des Clarisses aujourd’hui disparu. A leur arrivée à Béziers, on retrouve dans les registres municipaux : des Carlistes fuyant les guerres fratricides espagnoles (1840-1875), des Catalans Pyrénéens de la province de Lérida, des Andorrans et les « Gavachs » du Tarn et de l’Aveyron. Beaucoup s’installèrent dans les humbles rues des Soeurs Grises, de la Vierge, du Calvaire, du Malpas, des Tisserands, des Pénitents Noirs, de la Porte Olivier… avant d’émigrer vers d’autres quartiers de la cité. Suivant les divers recensements on a pu évaluer la population du quartier de 1600 à 2200 habitants suivant les fluctuations dues aux crises viticoles du phylloxéra et de la mévente du vin jusqu’aux événements tragiques de 1907. Il faut rajouter les épidémies de choléra en 1854 suivies d’une importante mortalité de nourrissons et d’enfants en 1860 due à la variole et la chloroquine. Cela n’empêchera pas la population de Béziers de passer de 15 000 habitants en 1820 à plus de 50 000 habitants au recensement de 1901. Pierre Alazard fait remarquer que plus de 53% viennent de ces régions, de ce pays qu’il dénombre avec précision : l’Espagne, l’Andorre, l’Italie et les Gavachs du Sud du Massif Central.

Rue Sainte Claire

Cette lecture me rappela que dans les années 80 j’allais voir les Corridas de la San Isidro au Bar du Capnau, à l’angle de la rue Cassan et de la rue Charles Labor le long de l’église de la Madeleine. Ce bar, aujourd’hui fermé, était géré par le sympathique José MATEO d’origine espagnole. C’était le seul lieu public du quartier en-dehors des Églises. Il avait deux intérêts pour moi, voir les corridas à la télévision espagnole (T.V.E.) et boire le Fino, spécialité du Bar. J’avais choisi la date du 1er Juin 1982 car le Cartel présentait un intérêt majeur pour moi, les Toros de la Ganadería de Victorino Martin. L’éleveur de Galapagar, dans les abords de Madrid, a ramené l’élevage Sévillan de Don Escudero Calvo de pure origine Albaserrada par Saltillo et Santa Coloma, ces bêtes qui paissent de nos jours en Extremadura. Le Cartel des Toreros était parfaitement adapté aux critères exigeants de Toros exigeants de Victorino. Le chef de lidia était le chevronné Ruiz MIGUEL habitué aux corridas difficiles comme les toros de MIURA, Pablo ROMERO et encore plus VICTORINO MARTIN.

Vic Fezensac a immortalisé son triomphe de la Feria de Pentecôte 1970 face à ces toros (2 oreilles et la queue) par une statue grandeur nature implantée face à la grande porte des Arènes Gersoises. Lui qui sortit 10 fois en triomphe des Arènes de Las Vantas était le torero de ces Toros tant pour le Ganadero que pour ses compagnons de Cartel à qui il apportait maîtrise et expérience. Ce fut le cas ce jour là. Luis Francisco ESPLA fût un torero précoce préparé avec son frère Juan Antonio par leur père à Alicante. Bambi, comme l’appelaient ses proches, commença sa carrière de novillada avec picador en 1974 à 16 ans. Après un passage rapide comme novillero puntero il prit l’alternative dès le 20 mai 1976 à 18 ans des mains de Paco CAMINO, et NIÑO de la CAPEA comme témoin, tous toreros de la Casa Chopera qui l’apodèrait à ce moment là. Malheureusement le passage dans la catégorie majeure fut trop précoce malgré son talent et sa connaissance du toreo. Peut-être n’était-il pas le mieux adapté aux corridas des figuras et de leurs toros. La protection de ses débuts disparut. Il fallait se remettre en cause s’il voulait ressurgir. La corrida de Victorino MARTIN à Madrid durant la San Isidro était un pari (apuesta) risqué mais nécessaire pour donner un renouveau à sa carrière qui avait connu un bache dur à supporter même s’il n’avait que 24 ans. José Luis PALOMAR originaire de Soria prit une alternative de qualité en 1978 (26 ans) avec les maestros J.M. Manzanares et Capea. Bon torero classique et sérieux il connut un grand succès pour la Beneficiencia 1980 sortant en triomphe des Arènes de Las Ventas face aux Victorinos.

Cartel parfait pour cette corrida du 1er juin 1982. L’émotion fut permanente toute la tarde. Le premier toro fut exceptionnel de puissance et de bravoure. De nom POBRETON, très bien présenté, sans poids excessif, il prit 3 piques en partant de loin avec alegria et en poussant sous le fer avec rectitude. Il permit à Ruiz MIGUEL de couper 1 oreille avec une très forte porte pétition de deuxième, influencée par le comportement hors norme du Toro. Le torero Gaditano de San Fernando fut supérieur devant son second, faisant briller son Victorino dans sa faena de muleta alors que Pobreton lui avait pris parfois le dessus dans la première : une oreille. Au fur et à mesure que la corrida se déroulait, le ton montait. Il y avait une grande émotion dans le public dès le premier tiers avec ces piques, cette bravoure franche qu’ils n’avaient pas l’habitude de voir, surtout à cette époque là. L’exception fut le 2ème toro, puissant et brave, au cheval mais très compliqué et dangereux pour Espla. L’ensemble de la course fut « unique » avec des tercios de pique impressionnants par leur régularité et l’entrega vers le cheval sous le peto. Même dans le bar du Capnau devant la télévision je me rendais compte que nous assistions à un événement surprenant.

Luis Francisco ESPLA avait accepté le combat devant son premier adversaire dangereux. Il devait triompher devant le cinquième puisqu’il était seul à ne pas avoir coupé d’oreille. Heureusement pour lui ce toro sortit brave noble et plus suave. Le torero d’Alicante sut montrer à l’aficion ses qualités avec intelligence en cachant sa faiblesse grâce au temple de sa muleta. Le torero sut vendre au maximum son art, amélioré et embelli par ses adornos qui le caractérisaient. Le sommet arriva en fin de faena. En face du toro il lâche sa muleta, défait calmement son corbatin et l’attache délicatement et avec solennité à la corne impressionnante du toro. Ce geste ne plut pas trop à Victorino qui voyait son toro à ce point dominé, mais il transmit au public une ambiance de folie. Même dans la salle du Bar du Capnau les clients étaient enthousiasmés et je ne pouvais pas retenir cette sensation, pourtant je n’avais bu que deux verres de Fino! Devant le triomphe et les clameurs du public la présidence accorda les 2 oreilles

La pression sur José Luis PALOMAR est forte. Après une première oreille coupée au troisième et 2 vueltas al ruedo dans des arènes déchainées, il doit couper une oreille supplémentaire au dernier pour accompagner ses camarades sortants en triomphe. On put voir RUIZ MIGUEL se rapprocher de lui dans le callejon pour l’encourager et le tranquilliser à la sortie du sixième. José Luis PALOMAR, torero classique donna le maximum particulièrement avec la muleta. Ce fut un toreo dominateur embelli par des naturelles de face. Il termina la faena par des passes aidées par le haut en utilisant l’épée de muerte qu’il gardait durant toutes ses faenas. Après l’estocade qui suivit, l’oreille s’imposait avec un public déchainé.

La sortie en triomphe de Victorino MARTIN et des trois toreros est spectaculaire et émouvante. Cette image restera dans l’histoire : 6 oreilles devant une corrida complète de Victorino dont 5 toros resteront gravés dans les mémoires pour leur qualité et leur bravoure pendant toute leur présence dans le ruedo. Cette corrida devient historique et porta le nom de « CORRIDA DU SIÈCLE » que je n’ai pas oubliée comme tous ceux qui la virent en direct.

La salle du Bar était bruyante, tous impressionnés par un événement taurin aussi complet. Je suis parti les larmes aux yeux en courant, je n’avais que 40 ans, au siège de l’Union Taurine Biterroise sur les Allées Paul Riquet au-dessus du café Glacier ou les sociétaires  se réunissaient les mercredis soirs pour les tertulias où nous commentions avec passion l’actualité taurine et les vidéos que nous pouvions récupérer. Je fis le compte rendu sur la corrida historique que je venais de voir au BAR du CAPNAU. Cette année fut inoubliable pour Victorino.

Le 19 Juillet 1982 la Corrida de la Presse était organisée en corrida concours avec Manolo CORTES, J.A. CAMPUZANO et Ortega CANO. Des ganaderias historiques avaient été retenues : Hernandez Pla, Bohorquez, Victorino Martin, Miura, Guardiola, Cuadri. Le toro Belador de Victorino sort en troisième position pour Ortega CANO. Il renverse la cavalerie spectaculairement dès la première pique et les deux suivantes sont excellentes. Le public est enthousiaste et demande une 4ème pique que le Président n’accorde pas. Les spectateurs réclamant l’indulto dès la moitié de la faena de CANO, réservé devant la bravoure et la noblesse étonnante du Victorino. Le président confirme l’indulto de Belador, qui est le premier dans les Arènes de Las Ventas. Le Toro fixé au centre refuse de sortir pendant plus d’une heure. Ortega CANO se voit octroyer aucun triomphe, tant le public n’a d’yeux que pour Belador. Certains diront que l’indulto de ce Victorino était dû au succès de ses frères du 1er Juin.

Je regrette que la dernière corrida de Victorino Martin à Béziers ait été décevante même si deux Toros permettaient. J’espère que nous pourrons les revoir prochainement chez nous. C’est un élevage majeur de l’Histoire Taurine moderne !

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU -Édito n° 95 – AVRIL 2021

L’UTB remercie pour ses trois pastels du Capnau l’artiste Johanna Bouvarel.