ÉDITORIAL MAI 2019

ON DIRAIT LE SUD…

« On dirait le sud
Le temps dure longtemps
Et la vie sûrement
Plus d’un million d’années… »

Le décès récent du chanteur Nilda Fernandez, qui m’avait inspiré l’édito de mai 2016 Madrid,Madrid me pongo triste… m’a poussé à réécouter avec émotion le Sud, en duo avec son créateur Nino Ferrer. Je précise que Nino Ferrer (Ferrari) n’a pas été que l’auteur de l’amusante Mirza. Le prestigieux Pedro Almodovar sut traduire de l’Italien sa chanson Un año de amor que Luz Casal interprétait avec Pienso en mi dans le film mythique Talons aiguilles.

La disparition tragique de Nino à 64 ans et celle de Nilda à 61 ans, attirent d’autant plus mon attention que ces deux artistes avaient décidé de résider dans nos terres d’Oc où ils s’étaient réfugiés et y terminèrent leur vie. Ces départs, près de leurs sensibilités sudistes toujours revendiquées, suscitent en moi tristesse et mélancolie, mais me confortent sur leur amour de nos terres. Oui, je considère les dernières strophes de Sud comme un appel à résister pour défendre nos traditions millénaires. Cet appel, plus mental que guerrier à mes yeux, a été écrit pourtant il y a plus de 50 ans. Était-il si lucide sur notre avenir ?

Nous assistons, il est vrai, à un acharnement permanent pour standardiser nos vies en utilisant les arguments les plus fallacieux. Oui, je pense de plus en plus que la corrida est en danger et qu’elle a plus besoin de détermination que de mondanités. La complicité de médias collabos, de penseurs intéressés à détruire nos fondements et de politiques prêts à tous les mensonges pour obtenir le pouvoir, peut faire disparaître des pans entiers de l’histoire de nos terres du Sud. Les instigateurs veulent tout uniformiser car ils ne sont pas arrivés à imposer leur hégémonie dans les années 50-60 après l’échec du message qu’ils voulaient imposer au monde. Beaucoup ont disparu mais leurs idéologies profondes subsistent. Ils reviennent disfrazados en récupérant la crédulité des bobos et la sensibilité d’une jeunesse déboussolée par le monde absurde qui nous entoure.

Je ne pourrai assister à toute la San Isidro en direct à la télévision pendant mon séjour d’une semaine sur les bords de l’Adriatique. D’ores et déjà, sans remettre en cause les triomphes du Juli et Manzanares à Séville ou de Perera à Madrid sans oublier la tauromachie précise et dominatrice de Sébastien devant les Jandilla décevants de San Isidro, j’ai eu quelques satisfactions ces dernières semaines. Malgré l’uniformité apportée par les écoles taurines, la tauromachie est encore capable de créer de nos jours la diversité et de la faire découvrir à un nouveau public.

Séville m’a permis de voir le toreo très personnel de Cayetano Rivera Ordoñez qui ne correspond à aucun des critères actuels. Il transmet une émotion inédite qui a surpris le public, étonné au début, mais que la présidence habituée aux standards des années 2000, n’a pas su voir (vuelta al ruedo après chaque faena avec des pétitions supérieures à celle de la première oreille du Juli le jour de sa Porte du Prince ?…).

Le jeune Pablo Aguado a interpellé immédiatement le public de la Maestranza par ses faenas courtes dans son style néo-sévillan, sans le duende Romeriste, mais imprégnées de pureté et de relâchement tout en restant efficaces, coupant 4 oreilles face à ses deux Jandilla. Le public sut réagir immédiatement à cette interprétation très personnelle de la tauromachie, de ses racines, avec lenteur, temple et douceur conclue par de grandes estocades. Même le public de Las Ventas a réagi très positivement à la personnalité d’Aguado face au sixième Montalvo. La faena fut importante, particulièrement dans les naturelles a camara lenta, d’une grande pureté dans leur exécution. L’épée ne permit pas de conclure mais Madrid sut découvrir Pablo Aguado. Ils devront accepter ses faenas courtes qui permettent de profiter au maximum du meilleur moment du toro. C’est un choix du torero de convaincre sur 30 passes, conditionnées certes à un toro approprié.

Lors de la corrida de Jandilla à Séville, Morante de la Puebla a atteint un niveau et une constance dans sa faena que je ne lui avais plus vus depuis longtemps. Poussé par le paroxysme de la volonté et de la qualité de Roca Rey et la première faena étonnante de Pablo Aguado, Morante se devait de réagir devant le quatrième. Excellent à la cape par ses véroniques de réception qui ne me surprennent pas tant il domine cette suerte, c’est avec la muleta qu’il m’a convaincu dans sa volonté de réaliser une grande faena complète, dans son style si personnel conclu d’une bonne estocade lui permettant de couper une oreille. Enfin ! Merci, car cela m’a confirmé que la tauromachie peut être authentique et diverse.

L’annonce de la mort de Fernando Domecq a remis en actualité le souvenir du remarquable travail de ce grand ganadero, tant à la tête du légendaire élevage, que pour faire renaître le fer de Zalduendo grâce aux origines Veragua des reproducteurs et reproductrices issus de l’élevage familial.

Internet m’a permis de revoir la faena complète d’Emilio Muñoz face à Jarabito à Séville en 1999. Outre les grandes qualités du toro de Zalduendo, elle m’a rappelé la personnalité du toreo du maestro de Triana lorsqu’il le réalisait dans ses bonnes tardes.

J’ai gardé le phénomène Roca Rey pour conclure. Il m’étonne. Je crois pouvoir dire qu’il nous étonne tous les jours par le vuelo exceptionnel de son capote sur les véroniques et ses quites variés. Il arrive à nous transmettre une émotion artistique intense que l’on retrouve dans ses faenas de muleta. Grâce à son jeu de poignet exceptionnel, il exécute des figures dont la pureté me paraît irréelle. Je n’ai pas encore tout compris. Il me surprend tous les jours. Je vous invite à y prêter attention, cela paraît parfois irréel. Mais il ne se satisfait pas de sa maîtrise. Il a déclaré après son triomphe : Para emocionar, yo creo que necessita una pequeña dosis de locura. En el caso del torero a tratarse de un arte, hace falta que le pongas corazon.
Je ne traduirai pas. Il faut que l’aficionado aussi fasse l’effort de suivre dans leur ensemble les prodiges de tels toreros dans leur expression et leur diversité afin de mieux les ressentir.

Surtout n’oubliez pas les derniers vers nostalgiques de Nino Ferrer dans le Sud :
« … C’était pourtant bien
On aurait pu vivre plus d’un million d’années
Et toujours en été »
Dubrovnik 26 mai 2019

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 73