ÉDITORIAL NOVEMBRE 2018

EL MUNDO

Une vingtaine de sociétaires de l’UTB participa au voyage organisé par le club pour la Feria de San Isidro 1985. Les nuits madrilènes nous permirent de découvrir Les Chavorillos qui animaient avec succès le fameux cabaret « La Villa Rosa » sur la plaza Santa Ana. Les quatre jeunes chanteurs furent retenus par l’Union Taurine pour animer notre première bodega de feria située dans l’espace de l’ancien Trianon. Ils revinrent à Béziers pour d’autres Ferias et les Journées Taurines 1988. Miguel, le talentueux chanteur soliste du groupe, interprétait notamment « El Mundo » que fit connaître Sergio Dalma à la fin des années 80. Ces souvenirs restent toujours dans ma mémoire. Ils me rappellent tant de choses positives mais aussi tant d’amis disparus. J’ai toujours aimé cette chanson et je retiens aujourd’hui le texte de sa dernière strophe :

El Mundo
No se ha parado ni un momento
Su noche muere y llega un dia
Y ese dia vendra

Je trouve qu’il s’adapte parfaitement au monde qui nous entoure, lui laissant la possibilité de renaître comme le message d’amour du poète : Y ese dia vendra… Je me limiterai dans le Monde de la Tauromachie qui nous intéresse dans ces éditos. Il est loin d’être parfait. Nous nous préoccupons pour son avenir mais celui qui nous entoure l’est encore moins. La plupart des pays sur la terre d’aujourd’hui sont officiellement gouvernés par des régimes démocratiques… et la plupart s’en réclament. La Démocratie naquit à Athènes au VIème siècle avant JC, pendant une grave crise que vivait la cité. La démocratie athénienne ne naît pas d’insurrections populaires mais de l’engagement de citoyens en politique pour assurer l’unité de la cité. Ils surent la créer pour assurer cette unité dominée jusque là par de profondes injustices. Le thème est complexe car elle évolua des lois écrites par Dacron (610-620 avant JC) aux réformes de Périclès (451 avant JC) en passant par les réformes de Solon et Clisthène. Ce ne fut pas parfait mais c’est la première démarche connue dans le détail pour régler les lourdes différences qui marquaient leur civilisation.

Les gouvernants actuels devraient s’inspirer de cette partie de l’histoire des civilisations et de ses principes pour chercher des solutions pour mieux vivre ensemble. Le monde taurin n’échappe pas aux comportements injustes. La tauromachie est une tradition puissante qui touche les peuples du sud et ceux des Amériques hispanisantes à qui elle fut transmise. Elle est basée sur un équilibre instable. Le torero a besoin du public pour le soutenir, tant dans le ruedo face au toro que dans la vie, car sans lui, il n’existe pas. Pourtant le torero développe en lui un ego qui relève parfois de l’égoïsme lorsqu’il sort de sa situation d’homme public où il doit soigner son relationnel. Les personnes qui vivent professionnellement dans son entourage doivent pourtant avoir une solidarité de groupe importante et de fidélité vis-à-vis de son maestro pour que la cuadrilla fonctionne. Ce qui ne veut pas dire que la démocratie y fonctionne car l’interprète majeur, s’il écoute parfois les conseils de ses proches, doit décider et agir seul. Dans ce groupe uni, il existe pourtant des incompatibilités qui, à la longue, peuvent entraîner des ruptures. En fait, le maestro qui les jours de corrida joue sa vie dans le ruedo, seul face au toro bravo, développe automatiquement en lui un sentiment, parfois un comportement, individualiste. Il le cache le plus souvent mais j’ai pu le ressentir auprès de ceux que j’ai eu la chance d’approcher, sans remettre en cause cependant notre amitié. Après réflexion, je me suis rendu compte que c’était souvent une réaction inconsciente pour ces êtres qui pendant leur carrière doivent assumer seuls des instants extrêmes. Par le passé, le torero et son apoderado faisaient bloc pour affronter la loi du monde taurin et les empresas qui de nature ne font pas de cadeau. J’ai eu l’occasion de dénoncer l’évolution des rapports entre les empresarios et les toreros. J’ai évoqué la constitution de véritables « teams » de toreros rattachées directement à un groupe empresarial qui bloque une majorité des cartels des férias, avant même le début de la temporada. Trois groupes majeurs maîtrisent une majorité de toreros qui fonctionnent ainsi que les spectacles taurins directement avec la collaboration de simples satellites. Il est compréhensible que les toreros aient besoin de sûreté sur la qualité ou la quantité des corridas qu’ils vont affronter. Cela leur apporte la sérénité mais a malheureusement des conséquences sur la qualité et l’intensité du monde taurin que nous vivons, par l’absence de competencia entre les toreros et parfois même entre les empresas majeures qui se partagent le gâteau. La competencia a une double définition et peut entraîner un double comportement. D’une part, elle entraîne un affrontement (contienda) qui peut se traduire à titre physique ou psychologique entre deux personnes de deux groupes pour prendre le pouvoir en gagnant le combat et en dominant le monde qui l’entoure. D’autre part, elle entraîne aussi une rivalité saine entre ceux qui prétendent arriver à la même chose, aux mêmes objectifs. Si on veut limiter l’importance des conséquences, on parlera plutôt d’émulation qui s’adapte bien au monde taurin en général et surtout aux toreros.

Récemment, le maestro Ruiz Miguel qui ouvrit 10 fois la grande porte des arènes de Madrid, a déclaré « autrefois, nous nous gagnions le droit de toréer jour après jour. Maintenant, tout est engagé au préalable ». Cette situation est préjudiciable à la tauromachie qui demande cette competencia, cette saine rivalité qui n’empêche pas le respect mais pousse les toreros à s’engager tous les jours avec autant d’envie et de motivation pour gagner ou conserver sa place dans l’estime du public, pour l’intérêt des empresas à les engager dans leurs arènes. Le danger existe tous les jours dans le ruedo mais la volonté et la prise de risque née de cette competencia, sont indispensables pour motiver le public, l’aficion, tant avant que pendant et après la corrida. Ceux qui ont connu les tertulias d’antan savent de quoi je parle. Je puis comprendre que le torero recherche cette sécurité que peut lui apporter ce type d’accord, c’est humain d’autant plus qu’il assure aussi théoriquement des rémunérations. Même si les toreros de second niveau ont parfois des surprises au moment des liquidations en fin de temporada. Je n’ai pas l’espoir que le monde de la tauromachie devienne un monde de démocratie. Ce serait un contresens, tout du moins pour ce qui se passe dans le ruedo. Il serait souhaitable qu’il le soit en ce qui concerne son comportement vis-à-vis de son public qui le fait vivre. C’est lui qui doit savoir utiliser ses mouchoirs comme des votes sur le comportement des toreros mais qui doit savoir faire entendre SA VOIX sur ce qu’on lui propose ou sur ce qu’on ne lui propose plus. Devant le comportement de ce MONDE et de celui qui l’entoure, je ne devrais pas avoir beaucoup d’espoir, pourtant je conclurai quand même :

« Y ESE DIA VENDRA… »

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 67 – Novembre 2018