ÉDITORIAL AOÛT 2021

1970-1980 : C’ÉTAIT UN TEMPS !

Le début des années 70 a connu, dans nos plaines languedociennes, l’apparition et le développement de la machine à vendanger venue de l’état de New-York (Chrislhom-Ryder). Les vendanges représentaient jusque là un travail dur qui demandait une main d’œuvre importante, souvent espagnole, mais qui conservait un côté festif et amical qui a disparu aujourd’hui dans les zones mécanisées. C’était indispensable, mais regrettable au niveau du contact humain.
C’était un temps !

Dans le monde taurin, en 1968, est apparu le marquage au fer pendant l’herradero, du dernier numéro de l’année de naissance des veaux sur l’épaule. Il attestait de l’âge de naissance de l’animal. L’objectif des pouvoirs publics espagnols, appuyés par l’aficion, était d’éviter la lidia de toros-novillos en corrida. Jusque là le seul contrôle imparfait était post-mortem à partir de la dentition. Après une époque décevante due notamment à la faiblesse des toros pour des raisons d’alimentation excessive tardive, de sélection et de manque d’exercice des animaux destinés à la corrida, la situation s’est améliorée. Cela exige de bonifier le comportement des toros durant le combat en travaillant sur son élevage sans oublier le déroulement de la lidia dans le ruedo. Le but était de rendre l’émotion à la corrida sans laquelle l’affrontement du toro avec le torero et la mort dans le ruedo perdent leur raison d’être. Cela dénaturait cet évènement unique qui s’est développé pendant des siècles dans les territoires français du sud, en Espagne et dans les pays latino-américains. Nous avons constaté du mieux par rapport aux années 70-80 mais il reste encore à améliorer, aussi bien dans la lidia que dans la mobilité et la bravoure du toro.
C’était un temps où élevages les plus toréés étaient les descendants de la raza Vistahermosa que l’on retrouve dans la majorité des ganaderias, notamment tous les Domecq. Les Atanasio Fernandez et les Conte de la Corte, représentants majeurs du campo de Salamanca et d’Extremadura avec leurs qualités indéniables qui permettaient de voir ces toros aller a mas après la pique avec des faenas mémorables. Progressivement, on a vu décliner ces deux élevages, à l’exception du résultat du croisement des Atanasio avec les Lisardo Sanchez que l’on retrouve chez la famille Fraile.
La lignée Santa Coloma provenant du croisement Ibarra/Saltillo au début du XXème siècle a permis de dégager deux origines qui ont marqué cette époque. Le comportement typique du petit toro gris de Buendia et plus tard dans les années 70 l’apparition des toros de Victorino Martin d’origine Albaserrada avec plus de trapio, avait récupéré chez Santa Coloma le comportement asaltillado. Nous n’oublierons pas les noms prestigieux de Miura et Pablo Romero, encastes uniques qui ont évolué. Les toros de Zahariche se sont adoucis mais ont conservé la marque de l’encaste alors que les Pablo Romero connaissaient déjà une décadence qui paraîssait difficile à remonter.
C’était un temps !

Les Maestros majeurs de cette époque étaient caractérisés par le classicisme qui suivit la période de style hétérodoxe et spectaculaire de Manuel Benitez El Cordobes qui avait écrasé tauromachiquement et socialement les années 60.
Le trio classique composé des sévillans Diego Puerta et surtout Paco Camino avec le salmantino Santiago Martin El Viti, ont marqué cette période avec leurs triomphes retentissants à Madrid. Paco Niño Sabio de Camas, sorti 10 fois par la grande porte de Las Ventas et le Maestro de Vitigudino triompha 16 fois dans les arènes madrilènes entre 1965 et 1975. N’oublions pas que le Viti coupa 40 oreilles dans sa carrière de novillero et matador de toros dans les grandes arènes de la capitale. Je ne puis négliger Francisco Rivera Paquirri, torero poderoso, avec son répertoire largo. Il a triomphé dans toutes les arènes et plus particulièrement dans celles de Béziers où il fut le torero majeur des années 70-80. Les plus jeunes, notamment originaires du Camp Charro, ont brillé dans des styles différents : Niño de la Capea, Julio Robles et Roberto Dominguez ainsi que les andalous Ruiz Miguel et surtout Antonio Jose Galan qui dans son style non conformiste fut même leader de l’escalafon en 1974. La fin de cette période était devenue trop conservatrice. Heureusement Paco Ojeda vint bouleverser le début des années 80.

Et maintenant…
Au niveau des élevages, nous avons assisté, comme je le craignais, à la quasi disparition regrettable de plusieurs encastes comme les Atanasio, les Conte de la Corte, les Cobaleda… et une généralisation de l’origine Domecq avec des légères variantes suivant les ganaderos. Les origines Santa Coloma se maintiennent à un très bon niveau, soit les Saltillo Albasserrada, les Victorino et Adolfo Martin ainsi que les origines Buendia de La Quinta, Ana Romero, Rehuelga, Flor de Jara avec des résultats intéressants. Les origines Murube conservent un grand intérêt pour les Rejons. Je n’oublie pas les Baltasar Iban et les Cuadri, encastes propios. Cette tendance de l’origine ultra majoritaire Domecq démontre le pouvoir pris par les toreros et les empresas sur le monde ganadero. Le résultat global de la corrida est cependant satisfaisant ces derniers temps avec des toreros très au point pour lidier ce type de toros dans des faenas de muleta longues et millimétrées.
Vous connaissez tous Juli, Castella, Perera, Manzanares, Talavante, Luque et les fantasques Ferrera et Morante qui font une bonne temporada 2021. Nous ajouterons les jeunes Roca Rey, Pablo Aguado, Juan Ortega, Juan Leal… N’oublions pas ceux qui affrontent les élevages de Miura, de Victorino Martin et Adolfo Martin… : Octavio Chacon, Manuel Escribano, Rafaelillo, Gomez del Moral… Ils méritent notre considération et même notre admiration car ils affrontent souvent des adversaires très exigeants. Ils ont leur place dans la tauromachie moderne.
La situation artistique de la corrida paraît excellente mais elle ne reproduit plus à mon goût, les émotions qui m’enchantaient par leur profondeur et leur majesté (Camino, Viti, Angel Teruel, Curro Romero, de Paula, Ojeda et Jose Tomas…). Je regrette aussi le manque d’incertitude que le toro apportait par le passé dans le combat et dans la lidia. Le toro moderne est bien sûr dangereux mais je constate un comportement plutôt uniforme regrettable, dû à la sélection excessive dans certains élevages.

Et l’avenir ?
Depuis une dizaine d’années la tauromachie est fortement remise en cause par les écologistes et plus précisément par les groupes animalistes qui attaquent violemment les activités traditionnelles avec une véhémence particulière, soutenus par les médias habituels. En fait, les pouvoirs publics confrontés à ces remises en cause, ont confirmé par les organismes compétents, la légalité de la corrida dans les pays de tradition, à l’exception de ceux où la vraie démocratie est bafouée. Je pense que les aficionados, les éleveurs, les organisateurs, les toreros doivent se montrer unis face à ces attaques surexcitées, intolérantes et même fanatiques mais pilotées par des esprits malins et organisées avec des objectifs calculés.

Notre monde doit rester très vigilant et faire en sorte que le combat de l’homme et du toro, créé depuis des siècles dans nos terres du Sud, évolue sans perdre son essence et l’émotion sans laquelle il ne pourra se maintenir.

FUERA LES PEURS, FUERA LES COMPLEXES !
Il ne reste plus qu’à se serrer les coudes, se réinventer et travailler unis au bénéfice de la tauromachie dans son ensemble. Certains le font déjà. C’est maintenant ou jamais.
Antonio PURROY UNANUA, Professeur de l’Université Publique de Navarre

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU Édito n° 99 – Août 2021

ÉDITORIAL JUILLET 2021

MAL NOMMER UN OBJET,
C’EST AJOUTER AU MALHEUR DU MONDE

Cette phrase est attribuée par les spécialistes à Albert Camus, philosophe majeur de la Pensée Française du XXème siècle, mort accidentellement à 47 ans. Il a eu le temps de marquer la compréhension du monde notamment dans la Résistance pendant la deuxième guerre mondiale et par la suite, dans des ouvrages majeurs : L’étranger (1942), Le Mythe de Sisyphe (1942), La Chute (1946), l’Homme Révolté (1951)… Il lutta sans cesse et toute sa vie contre les idéologies qui éloignent de l’humain. Il refusa l’existentialisme mais aussi les totalitarismes, ce qui l’amena à couper les ponts avec Jean-Paul Sartre et ses anciens amis politiques.

Je n’ai pu que réagir récemment selon ces principes devant l’initiative calculée et perfide de la Fondation Brigitte Bardot sur les affiches publiques anti-corridas où ils revendiquent par la phrase Spectacle garanti avec la souffrance animale leurs slogans habituels dénonçant la cruauté, la barbarie et les longues tortures organisées.
L’analyse que je fais de cette phrase correspond parfaitement au commentaire d’Albert Camus sur l’utilisation volontaire de termes provocateurs pour aveugler la pensée de personnes impressionnables, renforcer celle des antis mais surtout heurter les férus passionnés des territoires concernés par la corrida de toros. Ces termes sont non seulement provocateurs mais mensongers car si la corrida est une activité publique organisée où l’être humain et le toro bravo s’affrontent depuis des milliers d’années, elle n’est en aucun cas animée par la cruauté et la souffrance animale. Ce sont bien ces mots qui sont mal nommés pour ajouter au malheur du monde. Ils ne peuvent qu’abîmer le souvenir de nos ancêtres et révolter les aficionados affectés par cette terminologie. Ils cherchent à pervertir la pensée des âmes sincères pour les entraîner vers des incidents majeurs.

En fait, la phrase de Camus est extraite d’un commentaire sur la pensée du philosophe français Brice Patain dont l’œuvre est marquée par son mépris et son rejet du mensonge. Sans savoir ou sans dire comment cela est possible, il sait que la grande tâche de l’homme est de ne pas servir le mensonge comme l’ont fait ces affiches conçues par les amis de Brigitte Bardot d’autant plus que nous savons que l’actrice, dans son époque brillante, n’a pas toujours eu un comportement aussi violent contre le monde taurin.

Pablo Picasso a certainement été le plus grand peintre du XXème siècle inspiré par la tauromachie et le culte du toro. Les exemples sont multiples. En 1956, l’artiste qui vivait à Vallauris, s’affichait sans retenue avec ses proches, Jean Cocteau et Luis Miguel Dominguin, dans les arènes du sud-est de la France comme Arles et Fréjus, sans oublier Vallauris où avaient lieu aussi des spectacles taurins. Personne ne pouvait méconnaître la passion pour le Maître de Malaga pour le monde de la tauromachie dont on voit tant d’œuvres à plusieurs époques de sa vie. A sa demande, Brigitte Bardot fut reçue à Vallauris chez Picasso à l’occasion du 9ème Festival de Cannes pour la présentation du film de Clouzot Le Mystère Picasso. (voir les photos de Jérôme-Brierre)

Certains affirment qu’elle souhaitait que le grand artiste fasse son portrait attirée par le succès des tableaux réalisés avec le modèle Sylvette David qui avait un physique similaire. Il existe plusieurs photos où la jeune sex-symbol du cinéma français de l’époque s’affiche avec le grand peintre des combats de l’homme, du toro et de la femme sous des formes les plus diverses. Ni la jeune Brigitte, ni ses représentants artistiques ne pouvaient méconnaître la carrière, les œuvres de Picasso. C’était certainement pour eux une manière de se mettre en valeur auprès de ce représentant majeur de l’art dont l’inspiration tauromachique était mondialement connue. Il n’accepta de faire ces tableaux par excès de ressemblance avec le modèle antérieur. Je ne donne aucune importance à l’histoire de cette vingtaine de photos. Je fais simplement remarquer que les mots inacceptables utilisés sur l’affiche des amis de l’actrice tropézienne contre la corrida ne font pas honneur à leurs auteurs qui auraient dû se rappeler de l’épisode des photos de la Villa de la Californie de Vallauris. Il est vrai que la Brigitte Bardot que nous connaissons depuis quelques années n’est plus la sémillante jeune BB que nous avons connue dans notre jeunesse. J’admets que des personnes n’aiment pas la corrida mais je ne puis accepter que des mots aussi agressifs et malveillants soient utilisés sur des affiches publiques pour nuire et certainement faire pression sur le pouvoir actuel et une partie de la population.
Rappelons-nous que le néo-philosophe Michel Onfray, membre de l’Alliance anti-corrida, a écrit un ramassis d’insultes qui mérite le bannissement du titre d’intellectuel que certains lui ont attribué lorsqu’il écrit les mots cerveau reptilien qu’il attribue aux tortionnaires, aux inquisiteurs et autres gens qui font couler le sang dont les toreros. Dans l’arène, il y a tout ce que l’on veut sauf de la vertu. Il y a du sadisme, des passions tristes, de la joie mauvaise, de la cruauté, de la férocité, de la méchanceté. Je préfère arrêter la liste inqualifiable des adjectifs ou des mots qu’il nous attribue. Mais pour qui se prend-il pour utiliser un tel langage rattaché tant aux toreros qu’aux aficionados ? Ce personnage qui se qualifie de philosophe, avec la complicité des détenteurs de la pensée unique ou moderne, est un intellectuel qui a besoin de faire parler de lui pour faire adhérer ses fidèles à ces mots inqualifiables, sensés nous décrier et nous déshonorer.

Oui ! Camus après Brice Patain écrit que la grandeur de l’homme est de ne pas servir le mensonge car mal nommer un objet (une idée) c’est ajouter au malheur du monde. Michel Onfray lui, n’a pas d’autre objectif que de nuire, de détruire ce que son petit esprit est incapable de ressentir, quand il insulte ou prononce une disqualification délétère. Ce personnage n’apporte rien au monde qui l’entoure sauf de vendre son image à ses lecteurs clientélistes. C’est pour ces penseurs mensongers que Camus écrit La vérité n’est pas une vertu mais une passion. Pour lui, la solution c’est la révolte contre la haine et le mensonge. Par contre, il refuse que cette révolte soit une revendication destructrice, une revendication de liberté totale qu’il appelle révolution.

Il nous a déjà demandé à nous, peuples du Sud, s’il le faut de défendre nos idées par rapport aux dominants. Je n’incite personne à la violence mais à une détermination à défendre nos libertés. Il nous incite à résister face aux antis et à leurs penseurs qui veulent nous présenter comme des arriérés. J’ai lu avec étonnement le 15 août, dans l’édition locale du Midi Libre, une page anti-taurine avec les interventions des leaders anti-corridas locaux et nationaux, qui ont utilisé le langage habituel du Colbac, de la Fondation Brigitte Bardot et la représentante du parti animaliste. Rien de nouveau malgré leurs défaites devant les tribunaux de la République. Ils ont des moyens financiers extérieurs et espèrent qu’un jour le pouvoir central, à la recherche de voix avant des échéances électorales, puisse trouver des arguments dans des projets de loi à l’encontre de la corrida chez nous. J’ai été encore plus désabusé, mais pas abattu, par l’aide inattendue, dans cette même page anti-taurine, de l’apparition d’un nouvel intervenant recruté par les animalistes. Le dénommé Loïc Fertin y déclare Le spectacle ne m’a pas du tout séduit. Il a eu recours à des extraits du texte de Francis Cabrel sur la Corrida, pour illustrer ses affirmations. Apparemment, il ne connaît pas la corrida ou fait semblant de ne pas la connaître pour apporter un témoignage d’un authentique candide qui conclue banalement la corrida n’a pas sa place dans notre société. Je lui réponds que les derniers abus utilisés de nos jours pour tromper la jeunesse qu’ils sont sensés protéger, sont dangereux et pervers. La comparaison ne mérite pas de rentrer dans le détail tant ces nouvelles pratiques en tout genre sont destructrices de la pensée humaine et de la santé mentale. Pourtant, elles ne les gênent pas.

Je constate, avec satisfaction, qu’à l’occasion de la Feria 2019, Béziers a repris la tradition de notre chant national chanté à pleine voix par son peuple pour ouvrir les corridas. La clôture par le Se Canto occitan rappelle à nos adversaires en tout genre que chanter avec force deux hymnes anciens illustre l’histoire et la culture de nos terres du Sud : sans insulte mais suffisamment guerriers pour nous défendre devant les infamies, les offenses et les ignominies nous concernant.
La Feria qui s’achève a souffert des diverses conséquences sanitaires et économiques mais elle s’est défendue, tant pour les participations sur les gradins que pour la qualité des spectacles dont les résultats auraient pu être plus éclatants sans les échecs à l’épée du jeudi et du vendredi. Ce n’était pas parfait mais je ne suis pas là pour rabaisser ces efforts dans ces moments difficiles. Je préfère positiver après avoir vu les triomphes de trois jeunes des élèves de l’École Taurine Biterroise en présence, à divers titres, de nos trois matadors de toros à leurs côtés.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 98 – Juillet 2021

ÉDITORIAL JUIN 2021

LA PENSÉE UNIQUE

Je me rappelle dans ma jeunesse qu’il existait une indépendance de pensée des aficionados et de la presse taurine vis-à-vis des toreros, même si en France la revue Toros qui avait un monopole de fait, était devenue le reflet de la pensée officielle de la tauromachie. C’étaient de bons aficionados, tant au niveau de leurs connaissances que de leur passion pour la corrida mais qui, à mes yeux, avaient le tort de vouloir imposer une vision unique. Ils montraient une connaissance et une culture indéniables mais restaient figés sur des idées arrêtées qui se transformaient parfois en diktat. Paquito, Francis Cantier, avait pris la suite de sa mère Miquelita, créatrice en 1925 de Biou y Toros dont le titre se contractera en Toros.

La nouvelle direction imposa à cette revue un style austère et parfois injuste à mes yeux. C’était la référence des aficionados français, même si nous avions aussi de grands journalistes indépendants : Paco Tolosa, Don Severo, Don Fernando, El Tio Pepe, Jean-Pierre Darracq… Pierre Dupuy devenu la référence de Toros, oh combien érudit et sévère, était très compétent mais partial. Ceux de ma génération se rappelleront certainement du jugement inique que Dupuy et ses inconditionnels ont porté pendant plusieurs années sur Damaso Gonzalez, le Maestro d’Albacete. Ils lui reprochaient son absence d’esthétique et se moquaient même de sa petite taille, de sa cravate dégrafée… Eux, les connaisseurs, auraient dû se rappeler du physique de Juan Belmonte et surtout se rendre compte de la capacité impressionnante du toreo de Damaso avec sa muleta qui s’imposait à la majorité des toros, même de face.

Plus tard, son succès grandissant dans le public libre, ils abandonnèrent leurs commentaires ridicules mais sans reconnaître leurs erreurs antérieures. C’était la pensée unique de l’aficion française endoctrinée par la pensée de leurs maîtres influenceurs. J’ai horreur de ce terme, de cette notion à la mode ces derniers temps, censée différencier les personnes aptes à donner des leçons pour orienter leurs lecteurs et les réseaux sociaux (en faisant parfois le négoce). Leurs déclarations antérieures avaient un effet préjudiciable pour certains toreros auprès des nombreux lecteurs fidèles de la revue nîmoise. Cela aboutit progressivement à la pensée unique, qui s’imposait comme une certitude, étant donné la confiance aveugle que les habitués avaient en ces spécialistes, la plupart du temps compétents mais qui souvent avaient trop d’a priori. Ils se basaient sur des critères aveuglés par une analyse trop personnelle et parfois erronée. De nos jours, Toros reste une revue sérieuse. Elle a perdu son monopole mais aussi son côté inquisiteur.

Le 28 juin dernier, je regardais à la télévision la corrida d’ouverture de la temporada 2021 de Las Ventas avec une corrida sérieuse de 6 Victorino Martin de plus de cinq ans. Manuel Escribano, chef de lidia, aborda la faena du 4ème Victorino, d’une noblesse sauvage, typique de l’encaste, par deux changements dans le dos au centre du ruedo, enchaînant de très bonnes naturelles. Le public sectaire du Sol de Las Ventas, essaya de le déstabiliser criant en permanence cruzate, oubliant que se croiser est important au début d’une série de muleta mais ignorant peut-être que se croiser entre toutes les passes est contraire à la ligazon. Lorsqu’elle se fit, la plaza rugit car toro et torero étaient en harmonie. Ils oubliaient que le toreo commence toujours à la deuxième passe (Semana Grande du 28 juin 2021). Après une grande estocade dans le haut, Escribano ne se vit attribuer qu’une oreille. Il est vrai que la pétition du public des tendidos 7 fut tiède contrairement au reste de la plaza. Depuis son époque de novillero, ces aficionados sont très exigeants envers Manuel ? La télévision nous permit de voir et d’entendre au callejon l’apoderado et ancien matador de toros, Jose Luis Moreno, qui commentait très ému les efforts prodigieux qu’avait dû faire le torero après les trois gravissimes blessures dont il avait souffert suite à son engagement extrême. Quand je constate que la presse spécialisée a quasiment passé sous silence le premier indulto par Manuel d’un toro de Miura, Tahonero, en juillet 2019, je m’interroge. Cette presse, connut par une collaboration facile, aurait fait des commentaires dithyrambiques dans d’autres circonstances, en fait dans d’autres mains plus médiatisées. C’est la Pensée Unique.

Manuel Escribano face à Atlas de chez Margé – Vuelta pour le bicho et deux oreilles !

Je me permets de conclure en demandant aux organisateurs d’ouvrir le système restreint qui gère les cartels de nos jours, limité aux relations empresariales et à l’intérêt de leurs propres protégés. Cela limite les competencias avec la nouvelle génération moins armée et l’émotion nécessaire à la vie de la tauromachie. Certains pourraient me faire remarquer mon amitié familiale avec Escribano depuis plus de 30 ans. Je puis vous parler aussi, parmi d’autres, du matador de toros de Salamanque, Juan Del Alamo. Il a coupé en tant que matador de toros, 10 oreilles en 20 actuations à Las Ventas dont celles de sa sortie en triomphe en 2017. Malgré ce, il ne fut classé que 50ème à l’escalafon 2019 ? Je sais pourquoi mais cela ne me convient pas ! Les aficionados influencés par la coalition de la presse spécialisée, dépendante du système et les accords des empresas, ont fait progressivement disparaître l’image de Juan. L’aficion est un complice involontaire. C’est la conséquence de la pensée unique. Elle devient dominante dans toute la société actuelle, amplifiée par les réseaux sociaux, parfois alliés sans le savoir. Afin de ne pas ouvrir le débat sur d’autres nombreux thèmes de société basiques mais conflictuels par les temps qui courent, je m’abstiendrai…

Revenons chez nous ! Je ne fuis pas ces débats mais je préfère me limiter au monde taurin qui est la motivation de ces lignes. Les cartels des corridas de la Feria de Béziers 2021 sont attractifs. La substitution d’Enrique Ponce par Daniel Luque donne, pour moi, encore plus d’intérêt à l’affiche du 13 août tant le torero de Gerena se montre profond et inspiré. Je me soucie davantage de l’effet de la corrida du 14 sur le public alors que celles des 12 et 15 août sont très attirantes, avec des toreros qui fonctionnent au plus haut niveau. Ils montrent leurs motivations depuis le début de la temporada pour reconquérir leurs places ou mieux se faire connaître, comme Rafi, dans cette terre si liée à l’histoire de sa famille.

El Rafi à Nîmes 12 juin 2021 face à Cantaor- 2 oreilles

Il est évident que la présentation et la force des toros restent inconnues, même parmi les élevages majeurs. J’ai particulièrement remarqué la présence des Victoriano del Rio qui ont brillé récemment à Burgos, Badajoz et Madrid le 7 juillet, tant par leur comportement que par leur trapio. Les maestros Roca Rey, Perera, Emilio de Justo, Ferrera, Manzanares, Luque… ont montré à plusieurs occasions leur volonté, leur inspiration et nous connaissons leur expérience. Prémices d’une temporada importante si les contraintes sanitaires le permettent.

Pour conclure : por favor, ne répétez pas toujours les mêmes toreros et ganaderos qu’imposent les groupes empresarios/apoderados. Ne soyez pas complices de la pensée unique ! Elle m’ennuie fortement en politique et dans ces médias qui reprennent les informations de ces doctrines de groupes sans le moindre doute ni défiance. Mais qu’ils ne l’imposent pas dans les ruedos. C’est certainement moins grave. Mais pour nous ce serait lassant et ne permettrait pas à des toreros hors système de démontrer leur talent, leur courage et pourquoi pas de bousculer l’ordre établi par ce système.
Ne nous laissons pas enlever nos illusions, nos émotions, nos visions personnelles que peuvent nous apporter certaines tardes dans les ruedos.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 97 – Juin 2021

ÉDITORIAL MAI 2021

LES ANCIENS ET LES MODERNES

Ce titre rappelle les chamailleries entre les écoles de la culture littéraire du XVIIème siècle en France. Ces controverses, ces querelles se reproduiront à d’autres époques et dans plusieurs pays majeurs de la civilisation occidentale. Dans l’époque compliquée que connait la tauromachie tant au niveau politique que culturel, sans oublier le sanitaire, nous alternons des moments d’abattement et des instants plus sereins que n’arrivent pas à stabiliser notre appréhension sur l’avenir de notre passion. Pendant la période des XIX et XXème siècles, les Anciens ont vécu l’âge d’or de la tauromachie moderne. Ils ont écrit l’histoire de notre aficion. Pourtant de nos jours, ce sont les Modernes qui vont devoir « relever le gant » pour survivre dans les années difficiles qui nous attendent, pour des raisons politico philosophiques souvent inadaptées à la réalité fondamentale de nos tracas. Espérons que la pandémie qui nous étouffe et nous paralyse ne sera que temporaire.

Ces dernières semaines m’ont apporté des points positifs non négligeables :

– Le tribunal correctionnel de Béziers a rejeté la plainte absurde déposée par la S.P.A. contre la corrida à Béziers : nominativement contre Sébastien Castella, le maire Robert Ménard et l’organisateur Robert Margé. Je pensais que cette attaque était vouée à l’échec. Le tribunal correctionnel de Béziers m’a conforté par des attendus fermes et sans équivoque. Merci à ceux qui ont su, au lieu de perdre leur temps dans des querelles et diatribes non efficaces, conforter légalement dans notre pays la corrida dans les zones de tradition. Restons vigilants mais ces dispositions sont solides et constitutionnelles. Seul l’éventuel référendum inspiré par les sollicitations des tenants de la « Convention citoyenne pour le climat » pourrait nous inquiéter, bien qu’elle n’ait rien à voir avec la corrida.

L’annonce du retour de la ville de Nîmes au sein de l’U.V.T.F. ne peut que me réjouir. L’Aficion Française avait besoin d’être unie pour faire face à nos adversaires dans toutes les démarches futures.
– En Espagne, la décision de Pablo Iglesias, leader politique du groupe PODEMOS, de quitter la politique après sa défaite cinglante aux élections de Madrid ne peut que satisfaire le monde de la tauromachie. Mon sentiment ne concerne pas la politique mais l’individu, imbu de son pouvoir par sa présence au gouvernement, m’a indigné par son comportement. Il a montré tant de haine et de volonté destructrice vis-à-vis du monde taurin espagnol en s’acharnant même contre les plus faibles : banderilleros et éleveurs touchés par les conséquences économiques de la pandémie. Les électeurs ont compris et l’ont sanctionné devant ses comportements aveuglés par son entrée au gouvernement et son acharnement destructif. Il est vrai que, depuis ces dernières décennies, les détenteurs du pouvoir dans l’organisation tauromachique (les Anciens) n’ont pas montré un comportement unitaire pour défendre  notre corrida contre les attaques qu’elle subissait.
Certains de ces Anciens restent encore attachés au pouvoir qu’ils ont si mal utilisé. Il n’y a qu’à voir les critiques inacceptables, venant du groupement des « grands » organisateurs espagnols, contre Victorino Martin Garcia qui est à la tête de la Fundacion del Toro de Lidia depuis 2017. Il a pourtant fait un travail considérable en prenant part dans la vie publique espagnole pour la promotion et la diffusion de la culture taurine. Il n’a pas craint d’intervenir devant la Commission de la Culture et des Sports au Sénat à Madrid où il a fait ressortir notamment les conséquences néfastes de l’animalisme sur la culture de son pays. Son objectif : promouvoir, maintenir, améliorer, défendre, divulguer le magnifique Toro de Lidia « élevé » en pleine nature dans le Campo et la Tauromachie comme culture et discipline artistique dans « tous les domaines matériels et immatériels ».

Depuis l’apparition du Covid-19 qui ruine l’activité économique européenne et la civilisation taurine en Espagne, la Fundacion s’ingénie avec les éleveurs et les organisateurs locaux volontaires à mettre en place une compétition dans toutes les régions espagnoles. Cela permet de récompenser les efforts des jeunes méritants et surtout talentueux avec l’aide des télévisions et des organismes des diverses autonomies tout en permettant aux ganaderos de lidier des novillos et des toros au lieu de faire abattre leur bétail en absence de spectacles, privés de public. Cette activité s’est maintenue dans la démarche des Modernes alors que les Anciens sont trop souvent intervenus pour défendre leur supériorité dans un monde où ils ont démontré leur incapacité d’agir, ruinant le travail de leurs prédécesseurs. A mes yeux il est indispensable que ces attitudes se développent pour maintenir la tauromachie face aux difficultés sanitaires et à ce monde agressif qui veut sa perte.

Certains Anciens détenteurs du pouvoir attendent que les solutions se règlent seules du moment qu’ils gardent leur place dans le système. Ils doivent pourtant craindre que si de nouveaux visages audacieux avec des idées novatrices apparaissent, ils soient rapidement opérationnels et risquent de les écarter de ce monde quand la situation du covid s’améliorera (?). A quelques exceptions près ils n’ont rien fait pour apporter des solutions aux problèmes qui progressivement ont touché la corrida, qu’ils proviennent des adversités extérieures ou de la désaffection d’une partie de notre public qui ne retrouvait plus l’émotion que leur apportait le combat taurin codifié par l’Espagne depuis le début du XIXème siècle. Ils espéraient que l’apparition naturelle d’un nouveau génie tous les dix ans permettrait de redonner l’illusion, l’exaltation à l’aficion et relancerait l’activité. Pendant ce temps ils géraient le symptôme pour le conserver à leur main sans aucune dynamique nouvelle. Ce sont ces adeptes de l’événementiel, toujours souhaitable, qui oublient que la tauromachie ne peut exister que si elle est nourrie de l’intérieur par les fondamentaux, tant au niveau du toro que des jeunes toreros ambitieux avec leur talent et leur passion. Ils ne veulent pas que la diversité déstabilise leurs acquis, sans se rendre compte qu’ils l’ont déjà trop affaibli. Cela n’a pas pour motivation de recréer les talents innés des créateurs qui ont montré le chemin. Je regrette ces personnages du passé qui, sans oublier leur propre ambition et leur logique intérêt lucratif ont agi pour que cette histoire fonctionne en prenant des risques :
– tant physiques comme les « initiateurs » : Pedro Romero, Pepe Hillo, Francisco Montes, Cuchares… comme les « monstres » : Joselito, Belmonte, Manolete et ceux que nous avons admirés dans notre jeunesse.
– que financiers comme Don Pedro Balaña Espinos à Barcelona, Don Livinio Stuyck à Madrid et plus près de nous le grand Manolo Chopera ou les Lozano…

Pour moi ces personnages ne rentrent pas dans la catégorie des Anciens mais des Précurseurs. Ne les oublions jamais. Je pense à eux quand j’entends les vers que Calogero fait chanter à Florent Pagny :
« Quand on n’est plus à la hauteur
Restent les Murs Porteurs
Des amis en béton…
Pour voir à l’horizon »
« Restent les Murs Porteurs
Pour tenir la longueur
Faire face aux tremblements »
« Restent les murs porteurs
Pour se protéger du froid
Pour conjurer le malheur
Et retrouver sa voie. »

Depuis 2020 nous avons vu des toreros confirmés se remettre en cause. Julian « El Juli » démontre cette année sa recherche d’excellence exigible de son poste de leader comme s’il s’était rendu compte qu’il était un « Mur Porteur ».    Ce sont les exemples à suivre comme celui de Daniel Luque redevenu au niveau du jeune prodige surdoué qu’il était.
Les nouvelles générations comprennent qu’ils doivent faire un effort supplémentaire pour affronter leurs aînés prestigieux, pour maintenir la competencia : Fidel San Justo, Pablo Aguado, Juan Ortega. L’affrontement d’Antonio Ferrera face aux 6 Adolfo Martin relève de ce défi. Les empresas Modernes : Carlos Zuñiga, Tauroemocion, Lances de Futuro, Jean-Baptiste Jalabert… ont démontré leur volonté de résister. Je ne les cite pas tous : toreros, empresas, ganaderos, savent qu’ils peuvent, qu’ils doivent faire cet effort difficile et exigeant. Qu’ils soient Anciens ou Modernes.

Nous avons déjà vu comment Carlos Zuñiga a rendu cette année aux corridas des fêtes de San Fernando d’Aranjuez leur niveau de la fin des années 90. Le public a répondu positivement. Malheureusement l’initiative d’Antonio Matilla à Vistalegre pour la « San Isidro » vient de s’achever avec un public trop insuffisant. C’était un risque important puisque cette plaza madrilène, même après sa rénovation, n’a jamais connu une telle Feria. Souhaitons-lui un succès dans ses prochaines organisations à Castellon, Granada, Jerez…
Je ne suis pas pour une guerre d’empresas des Anciens et des Modernes mais pour une remise en cause de la profession qui permette aux jeunes générations d’assouvir leur passion et aux Figuras de leur montrer le chemin.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU – Édito n° 96 – Mai 2021

ÉDITORIAL AVRIL 2021

LA CORRIDA DU SIÈCLE

J’ai lu récemment l’ouvrage du biterrois Pierre Alazard édité par le Chameau malin « D’un lustre à l’autre 1846-1946 Cent ans d’immigration espagnole et andorrane au Campnau” (Capnau). Ce livre, très documenté sur l’évolution de cette population, m’a permis de me rappeler que mon grand-père (Satgé) d’origine Tarnaise, me parlait du CAPNAU où ses ancêtres avaient résidé il y a plus de 200 ans. C’était un quartier peuplé de gens venus pour la plupart de zones rurales. C’était un quartier populaire où se regroupèrent progressivement les nouveaux arrivants qui cherchaient travail et subsistance.

Place Saint Esprit

Le Capnau est situé sur les hauteurs de Béziers au-dessus de l’Orb, le long de l’actuel Boulevard d’Angleterre entre les églises de La Madeleine et de Saint Aphrodise et le Couvent des Clarisses aujourd’hui disparu. A leur arrivée à Béziers, on retrouve dans les registres municipaux : des Carlistes fuyant les guerres fratricides espagnoles (1840-1875), des Catalans Pyrénéens de la province de Lérida, des Andorrans et les « Gavachs » du Tarn et de l’Aveyron. Beaucoup s’installèrent dans les humbles rues des Soeurs Grises, de la Vierge, du Calvaire, du Malpas, des Tisserands, des Pénitents Noirs, de la Porte Olivier… avant d’émigrer vers d’autres quartiers de la cité. Suivant les divers recensements on a pu évaluer la population du quartier de 1600 à 2200 habitants suivant les fluctuations dues aux crises viticoles du phylloxéra et de la mévente du vin jusqu’aux événements tragiques de 1907. Il faut rajouter les épidémies de choléra en 1854 suivies d’une importante mortalité de nourrissons et d’enfants en 1860 due à la variole et la chloroquine. Cela n’empêchera pas la population de Béziers de passer de 15 000 habitants en 1820 à plus de 50 000 habitants au recensement de 1901. Pierre Alazard fait remarquer que plus de 53% viennent de ces régions, de ce pays qu’il dénombre avec précision : l’Espagne, l’Andorre, l’Italie et les Gavachs du Sud du Massif Central.

Rue Sainte Claire

Cette lecture me rappela que dans les années 80 j’allais voir les Corridas de la San Isidro au Bar du Capnau, à l’angle de la rue Cassan et de la rue Charles Labor le long de l’église de la Madeleine. Ce bar, aujourd’hui fermé, était géré par le sympathique José MATEO d’origine espagnole. C’était le seul lieu public du quartier en-dehors des Églises. Il avait deux intérêts pour moi, voir les corridas à la télévision espagnole (T.V.E.) et boire le Fino, spécialité du Bar. J’avais choisi la date du 1er Juin 1982 car le Cartel présentait un intérêt majeur pour moi, les Toros de la Ganadería de Victorino Martin. L’éleveur de Galapagar, dans les abords de Madrid, a ramené l’élevage Sévillan de Don Escudero Calvo de pure origine Albaserrada par Saltillo et Santa Coloma, ces bêtes qui paissent de nos jours en Extremadura. Le Cartel des Toreros était parfaitement adapté aux critères exigeants de Toros exigeants de Victorino. Le chef de lidia était le chevronné Ruiz MIGUEL habitué aux corridas difficiles comme les toros de MIURA, Pablo ROMERO et encore plus VICTORINO MARTIN.

Vic Fezensac a immortalisé son triomphe de la Feria de Pentecôte 1970 face à ces toros (2 oreilles et la queue) par une statue grandeur nature implantée face à la grande porte des Arènes Gersoises. Lui qui sortit 10 fois en triomphe des Arènes de Las Vantas était le torero de ces Toros tant pour le Ganadero que pour ses compagnons de Cartel à qui il apportait maîtrise et expérience. Ce fut le cas ce jour là. Luis Francisco ESPLA fût un torero précoce préparé avec son frère Juan Antonio par leur père à Alicante. Bambi, comme l’appelaient ses proches, commença sa carrière de novillada avec picador en 1974 à 16 ans. Après un passage rapide comme novillero puntero il prit l’alternative dès le 20 mai 1976 à 18 ans des mains de Paco CAMINO, et NIÑO de la CAPEA comme témoin, tous toreros de la Casa Chopera qui l’apodèrait à ce moment là. Malheureusement le passage dans la catégorie majeure fut trop précoce malgré son talent et sa connaissance du toreo. Peut-être n’était-il pas le mieux adapté aux corridas des figuras et de leurs toros. La protection de ses débuts disparut. Il fallait se remettre en cause s’il voulait ressurgir. La corrida de Victorino MARTIN à Madrid durant la San Isidro était un pari (apuesta) risqué mais nécessaire pour donner un renouveau à sa carrière qui avait connu un bache dur à supporter même s’il n’avait que 24 ans. José Luis PALOMAR originaire de Soria prit une alternative de qualité en 1978 (26 ans) avec les maestros J.M. Manzanares et Capea. Bon torero classique et sérieux il connut un grand succès pour la Beneficiencia 1980 sortant en triomphe des Arènes de Las Ventas face aux Victorinos.

Cartel parfait pour cette corrida du 1er juin 1982. L’émotion fut permanente toute la tarde. Le premier toro fut exceptionnel de puissance et de bravoure. De nom POBRETON, très bien présenté, sans poids excessif, il prit 3 piques en partant de loin avec alegria et en poussant sous le fer avec rectitude. Il permit à Ruiz MIGUEL de couper 1 oreille avec une très forte porte pétition de deuxième, influencée par le comportement hors norme du Toro. Le torero Gaditano de San Fernando fut supérieur devant son second, faisant briller son Victorino dans sa faena de muleta alors que Pobreton lui avait pris parfois le dessus dans la première : une oreille. Au fur et à mesure que la corrida se déroulait, le ton montait. Il y avait une grande émotion dans le public dès le premier tiers avec ces piques, cette bravoure franche qu’ils n’avaient pas l’habitude de voir, surtout à cette époque là. L’exception fut le 2ème toro, puissant et brave, au cheval mais très compliqué et dangereux pour Espla. L’ensemble de la course fut « unique » avec des tercios de pique impressionnants par leur régularité et l’entrega vers le cheval sous le peto. Même dans le bar du Capnau devant la télévision je me rendais compte que nous assistions à un événement surprenant.

Luis Francisco ESPLA avait accepté le combat devant son premier adversaire dangereux. Il devait triompher devant le cinquième puisqu’il était seul à ne pas avoir coupé d’oreille. Heureusement pour lui ce toro sortit brave noble et plus suave. Le torero d’Alicante sut montrer à l’aficion ses qualités avec intelligence en cachant sa faiblesse grâce au temple de sa muleta. Le torero sut vendre au maximum son art, amélioré et embelli par ses adornos qui le caractérisaient. Le sommet arriva en fin de faena. En face du toro il lâche sa muleta, défait calmement son corbatin et l’attache délicatement et avec solennité à la corne impressionnante du toro. Ce geste ne plut pas trop à Victorino qui voyait son toro à ce point dominé, mais il transmit au public une ambiance de folie. Même dans la salle du Bar du Capnau les clients étaient enthousiasmés et je ne pouvais pas retenir cette sensation, pourtant je n’avais bu que deux verres de Fino! Devant le triomphe et les clameurs du public la présidence accorda les 2 oreilles

La pression sur José Luis PALOMAR est forte. Après une première oreille coupée au troisième et 2 vueltas al ruedo dans des arènes déchainées, il doit couper une oreille supplémentaire au dernier pour accompagner ses camarades sortants en triomphe. On put voir RUIZ MIGUEL se rapprocher de lui dans le callejon pour l’encourager et le tranquilliser à la sortie du sixième. José Luis PALOMAR, torero classique donna le maximum particulièrement avec la muleta. Ce fut un toreo dominateur embelli par des naturelles de face. Il termina la faena par des passes aidées par le haut en utilisant l’épée de muerte qu’il gardait durant toutes ses faenas. Après l’estocade qui suivit, l’oreille s’imposait avec un public déchainé.

La sortie en triomphe de Victorino MARTIN et des trois toreros est spectaculaire et émouvante. Cette image restera dans l’histoire : 6 oreilles devant une corrida complète de Victorino dont 5 toros resteront gravés dans les mémoires pour leur qualité et leur bravoure pendant toute leur présence dans le ruedo. Cette corrida devient historique et porta le nom de « CORRIDA DU SIÈCLE » que je n’ai pas oubliée comme tous ceux qui la virent en direct.

La salle du Bar était bruyante, tous impressionnés par un événement taurin aussi complet. Je suis parti les larmes aux yeux en courant, je n’avais que 40 ans, au siège de l’Union Taurine Biterroise sur les Allées Paul Riquet au-dessus du café Glacier ou les sociétaires  se réunissaient les mercredis soirs pour les tertulias où nous commentions avec passion l’actualité taurine et les vidéos que nous pouvions récupérer. Je fis le compte rendu sur la corrida historique que je venais de voir au BAR du CAPNAU. Cette année fut inoubliable pour Victorino.

Le 19 Juillet 1982 la Corrida de la Presse était organisée en corrida concours avec Manolo CORTES, J.A. CAMPUZANO et Ortega CANO. Des ganaderias historiques avaient été retenues : Hernandez Pla, Bohorquez, Victorino Martin, Miura, Guardiola, Cuadri. Le toro Belador de Victorino sort en troisième position pour Ortega CANO. Il renverse la cavalerie spectaculairement dès la première pique et les deux suivantes sont excellentes. Le public est enthousiaste et demande une 4ème pique que le Président n’accorde pas. Les spectateurs réclamant l’indulto dès la moitié de la faena de CANO, réservé devant la bravoure et la noblesse étonnante du Victorino. Le président confirme l’indulto de Belador, qui est le premier dans les Arènes de Las Ventas. Le Toro fixé au centre refuse de sortir pendant plus d’une heure. Ortega CANO se voit octroyer aucun triomphe, tant le public n’a d’yeux que pour Belador. Certains diront que l’indulto de ce Victorino était dû au succès de ses frères du 1er Juin.

Je regrette que la dernière corrida de Victorino Martin à Béziers ait été décevante même si deux Toros permettaient. J’espère que nous pourrons les revoir prochainement chez nous. C’est un élevage majeur de l’Histoire Taurine moderne !

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU -Édito n° 95 – AVRIL 2021

L’UTB remercie pour ses trois pastels du Capnau l’artiste Johanna Bouvarel.

ÉDITORIAL MARS 2021

LAS COSAS FACILES NUNCA TIENEN
UNA RECOMPENSA GRANDE
(Cristina Sanchez – Torero)

La matadora de toros Cristina Sanchez a fait cette déclaration pour commenter sa récente décision de se lancer dans un nouveau chemin professionnel : apoderamiento du jeune espoir de la tauromachie de Salamanque  Raquel Sanchez. Cet objectif est ambitieux dans le monde taurin. C’est un changement total pour elle qui a connu toutes les embûches dès ses débuts à l’âge de 12 ans à l’école taurine de Madrid, pour arriver à son alternative prestigieuse en 1996. Je résidais à Gerena au moment de ses débuts en novillada avec picador pendant l’été 1993. L’aficion sévillane avait appris la présence de la jeune Cristina au cartel annoncé à Aracena dans les collines de la Sierra Morena, sur la route qui relie Séville au Portugal. Le monde taurin était déjà informé du talent de la débutante madrilène qui avait toréé sa première becerrada au début 1986, toujours accompagné de son père Antonio Sanchez, banderillero. Cristina avait pris l’habitude, par aficion, de le suivre les dimanches où il toréait dans les cuadrillas de la région de Madrid. Je m’étais déplacé avec quelques amis à Aracena, capitale du fameux jambon pata negra de bellota (le gland des nombreux chênes de la Sierra), près du pittoresque pueblo de Jabugo. Dans les arènes, on pouvait voir sur les gradins et dans le callejon plusieurs taurinos venus assister à cette présentation en Andalousie. Les aficionados et les professionnels ont été étonnés de voir une jeune fille très esthétique, avec allure et classe dans un traje de luces, courageuse et avec un bagage technique étonnant. Contrairement à la réputation machiste des andalous, le public avait soutenu la jeune madrilène tout au long de ses faenas et pour la pétition des trophées.

Quelques semaines plus tard, j’étais à Osuna qui est une des villes les plus charmantes de la province de Séville, connue pour ses monuments et la beauté de ses belles maisons bourgeoises des siècles passés. J’accompagnais le novillero El Cobo qui venait de triompher à Séville. Ce soir-là, à Osuna, il alternait au cartel de la novillada avec Cristina Sanchez qui coupa les oreilles de ses novillos, avec un large soutien du public enthousiaste malgré quelques difficultés à l’épée. Le monde taurin andalou qui suivit ces deux novilladas, concluait qu’outre ses qualités artistiques, sa maîtrise, sans oublier sa grâce et son courage, la jeune Cristina avait un impact favorable auprès du public qui venait de découvrir la jeune débutante dont rapidement parlèrent la presse taurine et les revues grand public. Effectivement, dans le ruedo, encouragée et protégée par son père, Cristina toréait bien, avec aficion et habileté, sans abuser d’effets racoleurs. Pour expliquer sa passion, Cristina racontera que la première fois où elle commença à toréer une vachette : j’ai ressenti une émotion très forte, spéciale, ce genre de bonheur qui remplit totalement et qu’on se dit que rien d’autre pourra te l’apporter.

Cristina Sanchez continua une carrière de novillera très appliquée en Espagne où l’on remarquait sa volonté de devenir torero. Surprenant ses interlocuteurs, elle a toujours déclaré qu’elle voulait être torero car ce nom n’a pas de féminin mais sans renier sa féminité. C’était son ambition, sa recherche, sa fierté de prendre l’alternative. Dans ma vie je suis femme mais dans l’arène je suis torero. Il est vrai que si l’on écarte les concours hippiques ou les courses de voile, les femmes ne participent pas à la même compétition que les hommes, à part les relais mixtes. Certes, une corrida n’est pas une épreuve sportive entre des participants mais comme Ernest Hemingway la décrivit la première fois à ses lecteurs de la presse yankee : C’est une tragédie. Pour autant, on ne peut nier, outre le combat avec le toro, la competencia qui existe entre les toreros pour prendre le dessus sur leurs partenaires au cartel ou dans le classement à l’escalafon. Quand je lis les déclarations de Cristina Sanchez, j’entends la voix de Jacques Brel chanter ces paroles de Mitch Leigh dans la quête de Don Quijote :
Rêver comme un impossible rêve
Tenter, sans force et sans armure, d’atteindre l’inaccessible étoile
Telle est ma quête, suivre l’étoile
Et puis lutter toujours…
Heureusement, pour Cristina, son ambition fut récompensée par une prise d’alternative mémorable et glorieuse, après 121 novilladas, notamment dans des arènes majeures comme Séville, Quito et son succès à la San Isidro en 1995.

Le 25 mai 1996, dans les arènes de Nîmes, elle fit le paseo avec son parrain Curro Romero accompagné de Jose Maria Manzanares. Elle sortit en triomphe après avoir coupé 2 oreilles à chacun de ses deux toros d’Alcurrucen. Sa personnalité, sa maîtrise de torero et son exception ont incité trois médias majeurs de la presse française à titrer sur l’exploit de cette alternative unique, sur sa personnalité et ses capacités techniques qui résumaient la force de sa volonté pour arriver à sa recherche, sa quête vers ce qui pouvait paraître à ses débuts son inaccessible étoile. Le Monde, Libération et l’Express ont donné, au niveau atteint par cet évènement, la récompense et la notoriété qu’il méritait.

En Espagne, après sa première corrida de torero d’alternative avec Oscar Higares et Javier Conde, il n’a pas toujours été facile d’entrer dans les cartels des figuras, malgré le soutien inconditionnel de Manuel Diaz El Cordobes que suivirent Emilio Muñoz, Enrique Ponce, Finito de Cordoba… En Amérique Latine, après l’échec en 1996 de Caracas (Vénézuela) annoncée avec Ortega Cano et malheureusement annulée par la pluie, elle confirma son alternative à la Mexico le 12 janvier 1997 avec Armillita Chico et Alejandro Silveti. Malgré l’opposition initiale de Jesulin de Ubrique, elle torera enfin avec lui en mano a mano en 1997 à Castellon. Elle se retira du toreo actif en 1999 après avoir coupé 316 oreilles dans sa carrière. Elle s’est mariée avec un taurin portugais, Alejandro da Silva avec lequel elle a 2 garçons de 16 et 14 ans, Alejandro et Antonio. Cristina réapparut exceptionnellement à la Feria de Cuenca 2016 avec Enrique Ponce et El Juli, en faisant cadeau de son cachet à l’hôpital de Madrid spécialisé dans la lutte contre le cancer des enfants. Elle sortit en triomphe avec El Juli, portée par ses enfants, après avoir coupé 2 oreilles à son premier qu’elle leur avait brindé. Elle leur promit ce jour-là de ne plus participer à une corrida.
Sa tâche a toujours été difficile jusqu’à cette alternative exceptionnelle, tant par l’importance de l’arène que par ses illustres compagnons de cartel et pour sa répercussion médiatique. Il est évident que d’autres femmes ont essayé de toréer à pied à partir de 1973, incluses dans des cartels de toreros comme Maribel Atienzar, Marie-Paz Vega, Hilda Tenorio (Mexique)…

Je dois citer particulièrement le cas historique de Juanita Cruz. Après des succès comme novillera à partir de 1934, elle dut s’exiler en 1937 en Amérique Latine à cause de ses convictions républicaines. Elle remporta de nombreux succès dans tous ces pays de tradition taurine où elle toréa plus de 700 corridas et prit son alternative au Mexique en 1940. Elle dut arrêter sa carrière en 1944 après une grave blessure à Bogota. Les commentaires sur son toreo étaient élogieux. Elle marqua aussi la tauromachie par ses habits de lumières personnels où une jupe longue fendue remplaçait la taleguilla traditionnelle. On peut la voir sur la magnifique statue érigée sur sa tombe à Madrid.

De nos jours, après Conchita Cintron et Marie Sara, la rejoneadora française Léa Vicens est en tête de l’escalafon du toreo à cheval. Même si la corrida à pied me paraît encore plus exigeante pour une femme, je ne puis que reconnaître qu’elle a atteint ce niveau exceptionnel par ses efforts, sa maîtrise du cheval et sa connaissance du toro qui lui ont permis de réaliser son objectif, sa quête.
Aujourd’hui, quelques jeunes filles continuent, inscrites dans les écoles taurines, avec plus ou moins d’aptitudes alors que Cristina Sanchez avait toujours vécu dans le monde taurin, accompagnée de son père. Cela lui apporta jeune, des sensations émotionnelles et une sûreté qui lui forgeront un mental admirable et un savoir-faire de haut niveau lui permettant d’affronter avec succès le toro de 4 ans. Le public, étonné de la maîtrise de cette jeune femme, a soutenu sa carrière provoquant la jalousie de certains toreros.

Les jeunes novilleros qui essayent de commencer sérieusement l’aventure de matadors de toros, peuvent prendre à leur compte la déclaration de Cristina Sanchez. Ils doivent se persuader que le chemin qu’ils choisissent ne sera pas facile et que c’est dans la difficulté et l’engagement permanent qu’ils pourront arriver à cette recompensa grande qu’elle a ressentie.La situation n’était déjà pas facile, malgré les efforts des écoles taurines bien organisées. Le nombre de festejos a fortement diminué depuis 10 ans à cause de l’économie et la pandémie actuelle a rendu leur objectif encore plus difficile.
La volonté de Cristina Sanchez d’apoderer la jeune Raquel Martin est encore plus méritoire et semée d’embûches. Même après son engagement dans le monde de la mode féminine ainsi que dans la presse télévisée pendant près de 20 ans, elle a pris sa décision, motivée certainement par la qualité et la volonté extrême de cette jeune salmantina. Pour autant elle n’a pas choisi la facilité alors qu’elle n’avait plus rien à prouver. Cela va lui demander à nouveau générosité, altruisme, sacrifices pour permettre à sa protégée de réussir son objectif : être torero d’alternative avec brio.

Nous commençons à avoir des informations sur des projets d’ouverture de temporada mais qu’en sera-t-il dans quelques mois ? Les empresas et les toreros paraissent décidés mais personne ne peut nous assurer sur l’avenir proche de la pandémie.

Le responsable de rédaction : Francis ANDREU -Édito n° 94 – Mars 2021